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Mauboussin et le luxe accessible

Publié le 13 février 2010 par Michelgutsatz

Je n'aurais pas décidé d'écrire cette note sur Mauboussin si son Président, Alain Némarq, n'avait pris la plume pour écrire une tribune dans Le Monde le 8 février dernier "La modernité du luxe, c'est le partage". Cet article m'a sidéré: le président d'une marque de joaillerie de la place Vendôme nous parlait de "riches... stupides", de "client drogué du luxe", de marques qui prennent "le client pour un gogo et un névrosé"! Il oppose les "riches" aux "gens normaux" et évoque la "justice sociale". Il nous parle d'un monde où le luxe à force d'exclusivité, de prix élevés, de distinction, se serait coupé de la réalité. Il met en avant un "luxe accessible" et "raisonnable" offrant des "produits de grande qualité", un luxe "respectueux des consommateurs".

Cette analyse mérite que nous nous y arrêtions, parce qu'elle rejoint sur plusieurs points des analyses que je développe sur BrandWatch depuis sa création: les marques de luxe ont perdu le sens du prix - en pratiquant des prix bien trop élevés -, le sens de la qualité - en proposant des produits indignes de leur image -, de la rareté - en multipliant les points de vente - et de l'émotion - en banalisant leur offre et leur relation au client.

J'ai donc décidé de porter un œil avisé sur Mauboussin, afin de répondre (à ma manière) à la question qui agite le monde du luxe: "Mauboussin, est-ce encore du luxe?". Je vous propose de le faire en faisant la liste des décisions iconoclastes prises par la marque.. et d'en tirer quelques enseignements:

  • 2002: achat de la marque par Dominique Frémont à la famille Mauboussin - et arrivée d'Alain Némarq. Bien sur la presse a mis en avant qu'il avait enseigné le marketing à HEC, mais je pense beaucoup plus intéressant de noter qu'il a successivement travaillé chez Boussac (en charge de la confection et du décor de la maison), chez Balsan (fabricant de moquettes), chez YSL Homme, chez Kenzo Homme, chez Tehen (fabricant de maille) et enfin chez Vestra (vêtement masculin). Il a ainsi complètement transformé une société de confection déficitaire en "un laboratoire de création, un outil de mise au point de techniques d'industrialisation et un appareil de promotion et de diffusion de marques". Le propriétaire a donc installé à la tête de Mauboussin un homme maitrisant les marques, la production, la mode... et non pas un homme issu du luxe ni de la joaillerie. Donc un homme qui porte sur celle-ci un regard neuf - plus proche du consommateur que ne le serait un homme du sérail (comme Robert Polet au Gucci Group).  
  • 2004: Mauboussin décide d'afficher systématiquement les prix de ses bijoux. Ceci est une pratique de mass-market mais elle permet au client de pénétrer dans la boutique en toute connaissance de cause - et donc de ne pas se trouver confronté à la gêne (la honte?) de montrer que le prix prononcé par le vendeur est bien au delà de ses moyens.
  • 2005: lancement d'un solitaire "grand public" avec un diamant dont la qualité ne correspondait pas aux standards de la haute joaillerie. "On a crié au scandale, à la rupture des codes du luxe. Le succès de cette bague a été énorme. Nous en avons vendu 40.000 en moins de quatre ans".
  • 2007: lancement d'une première campagne de communication à la télévision. L'opprobre dans laquelle est tenu ce média dans le milieu du luxe (qui préfère le cinéma - plus noble?) n'empêche pas toute la parfumerie et la beauté d'y recourir souvent avec bonheur.
  • 2008: campagne publicitaire dans le métro parisien (prix affiché bien sur). Mauboussin investit donc le lieu emblématique du mass-market... et fait scandale. Mais pourquoi le métro ferait-il scandale et pas les panneaux Decaux où nous voyons régulièrement des marques de luxe s'afficher?
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  • 2009: mise en vente pour une semaine de 500 bagues de diamant en série limitée à 450€ l'unité... en utilisant la presse gratuite comme support de communication.

Cette stratégie de prix bas s'accompagne d'investissements importants (croissance du réseau de boutiques) et d'investissements de communication lourds (17% du CA là où Bulgari est à 11%).

Les résultats économiques sont intéressants à connaitre: le CA de la marque est passé de 12,3 à 35 millions d'euros en 8 ans. Mon modèle d'analyse des évolutions de CA des marques de luxe montre que Mauboussin se situe dans la moyenne (comme Tiffany pour reprendre un autre joailler - mais faisant mieux qu' Hermès). Là où le bât blesse c'est la profitabilité de la marque: après des pertes en 2007, Mauboussin annonce un résultat net de 1% en 2008 et vise 5% en 2012. Les marques joaillères sont plutôt sur des résultats nets de 10 à 15% (Bulgari 13.8% en 2007 - Tiffany 11%). Les résultats financiers ne sont donc que le reflet de la politique de "luxe accessible" de la marque: des prix bas, des marges plus faibles que le secteur, des investissements importants.

Une stratégie de "luxe accessible" ne fonctionne que si deux conditions sont réunies:

  1. Le volume est au rendez-vous - c'est ce que nous enseigne l'exemple de Coach (exemple de marque de "luxe accessible") qui a ainsi réussi à passer de 500 millions de dollars à plus de 3 milliards en 10 ans avec une profitabilité passée de 3% à 24%.
  2. L'image de la marque reste marquée par l'émotion, le désir, des formes de rareté permettant à des clients qui la découvrent grâce à ses prix d'entrée à "monter" dans la gamme vers des produits plus... chers. A cet égard Cartier est un exemple: la marque qui a été sauvée il y a 30 ans par la création des Must, après les avoir supprimés.. vient de les relancer en Novembre dernier. Il faut au luxe une entrée de gamme et un haut de gamme... C'est de la "tension" entre les deux que naît le désir.
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Mauboussin en est encore loin. Alain Némarq devrait se méfier de ne pas perdre la clientèle aisée traditionnelle de la marque (qui doit assurer à Mauboussin encore une part non négligeable de son CA) qui ne se retrouvera pas dans les manifestations excessives de la communication actuelle ni dans l'identité très banale de la nouvelle architecture des boutiques, ni dans les sites web dont aucun ne fait rêver. Puis-je me permettre de lui rappeler l'étymologie du mot "luxe": "luxus" signifie "qui ne pousse pas droit", "déviant".. et a donné aussi "luxuriant" et "luxure". A mes yeux la "déviance" ici ne concerne pas la marque mais plutôt le comportement du consommateur - qui dévie de la "norme". Nous en revenons donc à notre point de départ: par définition tous les consommateurs de luxe au monde - loin d'être des gens "normaux" - sont des "déviants".

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LES COMMENTAIRES (4)

Par Thomas
posté le 06 décembre à 17:51
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Mon expérience : • Achat en juin • Mise à la taille du produit • On récupère le produit en septembre (3 mois) • Produit complètement déformé en octobre Résultat : une bague à 3800 € à la poubelle

Merci Mauboussin pour tout ce qui à l'air d'être une belle arnaque

Par cathymini
posté le 31 janvier à 22:17
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Bonsoir, Mauboussin = Qualité médiocre et prix élevé, nos alliances ressemblent à deux pauvres morceaux de métal tordus en 2 ans.... 2600 € l'alliance femme et 600 € le modèle homme !!!! Sans compter le rodiage à refaire tous les 8 mois sous peine de voir apparaitre une couleur sans nom, entre le délavé et le cuivre .... Mauboussin veut démocratiser le luxe ???

Par rim
posté le 16 mai à 18:04
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je souhaite vous envoyer mon c.v pour proposer ma candidature : responsable de boutique pour votre boutique de casablanca Maroc 15 ans d'expérience en boutique de luxe à Paris. 0663268955.Merci de me rensigner ou me contacter.

Par Michel Zim
posté le 28 avril à 23:05
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Et si vous saviez comment est fait maintenant la plupart des pièces de joaillerie dites de luxe, vous comprendriez à quel point la direction prise depuis quelques décennies est suicidaire...pour la France, la Place Vendôme et tout le monde des ouvriers et de créateurs....de jadis. Rien pour créer de l'emploi et respecter les plus nobles aspirations....

Tout est maintenant question de performance, de chiffres, de rentabilité, obsessions des conseils d'administration.....

La France y perdra......et se réveillera trop tard....

Triste...triste....

Michel Zimmermann Artisan

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