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Le “Schmilblick” du contrôle fiscal d’un ancien animateur vedette (CEDH, 18 février 2010, Taffin et Contribuables associés c. France)

Publié le 19 février 2010 par Combatsdh

Ou lorsqu’un ancien animateur télé jouait aux vachettes avec son inspectrice des impôts…

Le célèbre animateur de télévision, « G. L. » (Guy Lux!), qui « avait fait l’objet de deux contrôles fiscaux, au titre de sa société de production et à titre personnel » (§ 7) a accordé en juillet 2001 un entretien à la publication trimestrielle « Tous contribuables » éditée par l’association « contribuables associés ». A cette occasion, il affirma que l’inspectrice des impôts qui a mis en œuvre ces contrôles - et dont il cite expressément le nom -, était « décidée, comme l’ont dit [s]es conseillers fiscaux, ‘à avoir [s]a peau à n’importe quel prix’ » et l’accusa d’avoir « commis, non seulement des erreurs, mais des graves irrégularités » (§ 7). La procédure initiée par cette inspectrice a conduit à la condamnation, en première instance, de ce dernier comme auteur principal « du délit de diffamation publique envers un fonctionnaire » et de la directrice de la publication de la revue comme complice. Ils ont tous deux été condamnés à une amende et au paiement de dommages-intérêts, l’association « contribuable associés » [très présents dans des médias de droite extrême comme la  porte parole Taffin à Radio courtoisie ou Valeurs actuelles] étant quant à elle déclarée civilement responsable. Seule la directrice de la publication fit appel et se pourvut en cassation - sans succès -, Guy Lux étant lui décédé en 2003.

Après avoir écarté comme irrecevable la requête de l’association faute pour celle-ci d’avoir épuisé les voies de recours internes (§ 26 - absence d’appel contre le jugement de première instance), la Cour européenne des droits de l’homme examine le grief de violation du droit à la liberté d’expression (Art. 10) exposé dans la requête de la directrice de la publication. Sur le terrain de la nécessité « dans une société démocratique » de l’ingérence au sein de ce dernier droit (v. les principes jurisprudentiels en ce domaine - § 46-48), la juridiction strasbourgeoise relève tout d’abord que « les impôts sont incontestablement un sujet d’intérêt général pour la collectivité, sur lequel la requérante avait le droit de communiquer des informations au public à travers la revue dont elle était directrice de la publication » (§ 50) et rappelle « le rôle fondamental que joue la liberté de la presse dans le bon fonctionnement d’une société démocratique » (§ 51). Certes, elle souligne également qu’il importe de « distinguer avec soin entre faits et jugements de valeur » et que ces derniers « ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude » (§ 58). Toutefois, « même un jugement de valeur peut se révéler excessif s’il est totalement dépourvu de base factuelle » (§ 59). Or, en l’espèce, s’agissant des « accusations […] d’une extrême gravité » (§ 63) formulées contre l’inspectrice des impôts, « la Cour ne peut que constater que la requérante a échoué à démontrer, devant les juridictions internes, aussi bien la vérité de ces allégations que sa bonne foi » (§ 62).

Les juges européens étayent également cette conclusion par d’autres éléments, tels que la nature du litigeun litige privé ayant opposé une personnalité très connue à une fonctionnaire du fisc et n’avait donc pas pour but de donner des informations générales sur les impôts » - § 63) , le « caractère médiatique et très médiatisé » [sic] de l’accusateur (§ 63) ainsi que la nécessité « de […] protéger [les fonctionnaires], qui doivent, pour s’acquitter de leurs fonctions, bénéficier de la confiance du public sans être indûment perturbés,] particulièrement contre des attaques verbales offensantes lorsqu’ils sont en service » (§ 64).

En conséquence, la condamnation litigieuse ne constitue pas une ingérence disproportionnée au sein du droit à la liberté d’expression au regard de son objectif de protection de « la réputation et [d]es droits d’autrui » (§ 67).

Partant, la France n’est pas condamnée pour violation de l’article 10.

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Guy Lux avait nommément mis en cause son inspectrice des impôts dans un journal de l’association “Contribuables associés”, véhiculant une idéologique libérale (suppression ISF) et proche de la droite extrême (au passage sa fiche wikipédia est très complaisante…). Ils ont été condamnés pour diffamation publique envers un fonctionnaire, et ce sans porter atteinte à la liberté d’expression pour la Cour de Strasbourg

Taffin et Contribuables associés c. France (Cour EDH, 5e Sect. 18 février 2010, Req. no 42396/04)

“Critiques et accusations d’un contribuable contrôlé visant par voie de presse une inspectrice des impôts”,

Actualités droits-libertés du 18 février 2010 (2) par Nicolas Hervieu

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