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Cadavres exquis - Julien d'Abrigeon - Le Zaroff (Léo Scheer/Laureli, 2010) par Lazare Bruyant

Publié le 21 février 2010 par Fric Frac Club
Cadavres exquis - Julien d'Abrigeon - Le Zaroff (Léo Scheer/Laureli, 2010) par Lazare Bruyant Curieux livre que ce Zaroff. Éclaté. Mis en pièces. Aménagé en chambres pourtant bien rangées. En cases thématiques (nous y reviendrons très très vite dans cet article tout tout petit). Numérotées, mais tirées au pif. Curieuse collection de sons, surprenants & redondants à merveille. Le Zaroff serait un livre qui se lit à voix haute & claire. Alors que j'en suis à ma quinzième vision de Southland Tales en trois mois, au moment où les jumeaux Roland & Roland Taverner se serrent la main pour sauver l'humanité, je me dis : Doppelgänger. Je retourne dans cet étrange Zaroff qui m'accroche les mirettes comme il faut & je trouve presque cette poignée de main, quelque part entre deux cadavres. Ça n'est peut être pas encore tout à fait clair pour vous mais ça viendra. A bien y réfléchir je me dis que ce Zaroff là, qui vient bien dix ans après un sacré Pas Billy The Kid qui m'avait fait trembler les côtes sans que je sache si c'était bien là son but, est un curieux livre.
« Certains contrats permettent de commettre des crimes gratuits tout en étant rémunéré. » Cadavres exquis - Julien d'Abrigeon - Le Zaroff (Léo Scheer/Laureli, 2010) par Lazare Bruyant
Dans le film de Ernest B. Shoedsack & Irving Pichel le comte Zaroff est un noble russe qui a fuit la révolution bolchévique & s'est réfugié sur une île avec fortune & domestiques à gogo. Si j'ai bien compris, le moteur narratif : il s'ennuie ferme. Ayant déplacé toutes les balises nautiques qui signalent l'île, il attend patiemment que des navires fassent naufrage pour commencer une chasse à l'homme avec les survivants, leurs tendant embuscades & pièges de toute sorte. Il finira par tomber sur un bon gros u.s. nonos au doux nom de Bob Rainsford. Zaroff est aussi le nom que l'on donne au personnage de Julien d'Abrigeon. Chasseur d'homme comme son modèle cinématographique, le Zaroff traque, tend des pièges tout pareil, tue & s'évapore dans la nuit, par des bretelles d'autoroutes, des détours poétiques. On sautille ainsi dans ce drôle de carnet assassin d'un meurtre à l'autre – petit carnet tranché en cinq catégorie : Chasses. Sorties. Reflets. Traques. Cavales. Chacune d'entre elles dévoilant une facette particulière de notre tueur. Chacune d'elles ne dépassant pas les deux pages. A la manière d'un B.S. Johnson dont le Fric-Frac Club a fait un de ses auteurs fétiches de 2009 (je fais ici allusion aux Malchanceux), d'Abrigeon propose un système de lecture aléatoire qui, loin d'être un simple exercice de style ou une coquetterie de pure forme mais totalement stérile, s'avère infléchir les rebonds narratifs du livre. C'est le doigt arbitraire du lecteur qui décide de la mise à mort, de la fuite, de la capture... jeu de rôle bien plus tranchant que ces reliques adolescentes dont nous Étions Les Héros, Le Zaroff propose un système de multilectures relativement économique mais surtout un travail sur la langue d'une rare fraîcheur (rappelant ainsi la bonne surprise que nous avait procuré le Basketville de Jousserand, certes dans un registre différent).
Mêlant signifiants & signifiés en sonorités bien rythmées, souvent de manière subtile, d'Abrigeon passe d'une action à l'autre avec une agilité assez réjouissante. Petits textes courts, quasi indépendants, s'irradiant pourtant les uns les autres, comme les particules d'une même vague d'écume jusqu'au bout impalpable. Une lecture rapide ainsi que répétée de ce livret (à peine plus de cent pages... & bonjour à Grenoble dans un clin d'oeil frisant l'indécence) dévoile, en fait, un petit trésor de poésie. Car on perçoit bien vite ce qui se cache derrière ce paquet d'assassinats : un recueil de poèmes exquis. On pourrait penser alors à quelque chose de plus précis, à l'arbitraire créatif des Cent mille milliards de poèmes de Queneau par exemple. Un peu. Ou/& au refus de linéarité de B. S. Johnson donc. Aussi. Le Zaroff est un éclat de poèmes modulables à l'envie & par dessus tout romanesques qui propose, l'air de rien, un sacré jeu d'interprétation & de mise en abîme. C'est surtout une opération hybride parfaitement réussie car, a aucun moment, n'apparaissent les ficelles grossières d'un tour de passe passe trop évident. Le Zaroff n'est pas un gadget narratif bricolant un charmant récit sanglant avec de petites épiphanies sans rimes, ça n'est pas non plus la dernière tentative d'hommage à Baudelaire (même si...). C'est un jeu de l'oie fictionnel qui se réamorce à l'envie. C'est juste un bon livre.


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