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Sonate cartésienne, William H. Gass

Par Clementso
Sonate cartésienne, William H. GassSonate cartésienne est une expérience, une aventure littéraire. Dans la lignée du Tunnel, le dernier souffle littéraire héroïque de William H. Gass. Dès la nouvelle éponyme qui ouvre ce recueil, nous entrons dans une mise en abîme dans laquelle l'auteur s'interroge sur le choix de tel ou tel adjectif, d'un mot plutôt qu'un autre. Ecrire c'est exclure, puiser dans le champ des possibles et créer un cadre. A l'instar de tout autre artiste, certes. N'empêche que l' on n'a tout de même pas l'habitude de lire cela : Les méandres de l'écriture disséqués par William H. Gass.
« Il n'y a aucune raison de continuer » nous dit même l'auteur p.24. Voilà, les présentations sont faites ! Et pourtant, celui qui abandonnerait sa lecture demeurera hanté à jamais par des débuts aussi fracassants et déroutants. William H. Gass a un autre aveu à vous faire, chez lui « c'est la forme et non le contenu qui importe. » (p.29)
L'écriture, le travail sur le langage sont sans doute les points forts de cette Sonate cartésienne. Durant 336 pages, on trouve 4 longues nouvelles publiées à des époques très diverses. Des fragments de Sonate cartésienne sont apparus dans différentes revues dès 1964. La version finale d' Emma s'introduit dans une phrase d'Elizabeth Bishop date de 1998. Le recueil se lit pourtant d'une seule traite.
La nouvelle Chambres d'hôtes conte le vagabondage de Walter Riffaterre, un comptable itinérant qui culpabilise d'avoir licencié sa secrétaire. Dénué de curiosité et de nouveauté, il n'a plus d'idéaux. Malheureux de ne pouvoir rendre les autres heureux, il se sent inutile et consulte des livres abandonnés dans des motels, au gré de ses déplacements. Une des caractéristiques de cette nouvelle, et que l'on retrouve souvent dans Sonate Cartésienne, est l'impossibilité de déceler ce qui relève de l' intériorité du personnage et les observations qu'il pourrait livrer à voix haute. On trouve dans les nouvelles de Sonate Cartésienne, une somme d'états d'âmes et de courants de conscience chers à Proust ou à Joyce.
Sonate cartésienne, William H. GassDéboussolé par des changements de lieux incessants et une solitude paralysante, Walter est sensible aux petits détails de la vie et c'est une caractéristique que l'on retrouve chez Emma, le personnage principal du récit Emma s'introduit dans une phrase d'Elizabeth Bishop. Dans celle-ci, Emma la poétesse hypersensible observe la nature avec une grande acuité. Il semble difficile de rester insensible aux descriptions naturalistes de l'auteur. Cette nouvelle se présente à nouveau comme un long monologue intérieur faisant beaucoup penser au travail de Virginia Woolf.
L'écriture de William H. Gass est aussi faite de surprises. A ces passages descriptifs poétiques, répond un langage crû. « Peut-être mon père espérait-il voir, quand je me mettais toute nue, un pénis relever sa petite tête timide d'entre mes jambes. Plate comme je l' étais, il se disait peut-être qu'il y avait une chance. Mais de chance, pas la moindre. Il se pouvait très bien que j'ai été garçon dans ses couilles mais j'avais été démontée dans la matrice. » (p.189)
On trouve dans Emma s'introduit dans une phrase d'Elizabeth Bishop de nombreuses références bibliques. Une avalanche de référence constitue d'ailleurs la matière de la dernière nouvelle du recueil, Le maître des vengeances secrètes. Dans cette nouvelle, Luther Penner est possédé par un désir de vengeance. Il consacre à ce propos un pamphlet intitulé Ma proposition immodeste et énumère les nombreuses vengeances recensées en littérature (Dante, myhologie grecque), au cinéma (Eastwood), au théâtre (Shakespeare)...
Sonate cartésienne, William H. GassNous suivons donc les déambulations de William H. Gass, dans tous ces excès. Tour à tour happé et irrité par son écriture, on se dit parfois qu'il en fait trop mais quelques pages plus loin, il est évident que l'on n'a jamais eu entre les mains de telles propositions baroques, bluffantes, inimitables. Avec Sonate Cartésienne, c'est bien la proposition qui est à considérer, cette errance délicieuse. Il faut donc prendre le temps d'apprécier les tournures de phrases, les rythmes et les ruptures de ton (parfaitement rendues par une traduction irréprochable). Le labeur d'un funambule appliqué, intègre et puissant.
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