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Acteurs de la financiarisation de la biologie médicale en France

Publié le 05 mars 2010 par Tnlavie

Acteurs de la financiarisation de la biologie médicale en France

Art. L. 6223-4 de l’Ordonnance publiée le 15 janvier 2010 : une des « mesures prudentielles » censée protéger la profession de sa financiarisation accelérée

« l’acquisition, par une personne physique ou morale, de parts sociales de sociétés exploitant un laboratoire de biologie médicale n’est pas autorisée lorsque cette acquisition aurait pour effet de permettre à cette personne de contrôler, directement ou indirectement, sur un même territoire de santé infrarégional, une proportion de l’offre de biologie médicale supérieure à 33 % du total des examens de biologie médicale réalisés. »

Sur tout le territoire national, dans une nouvelle organisation multi sites et par un savant maillage, préparez vous à avoir le choix entre 2 à 3 chaines (si l’on tient compte de l’offre dispensé par le secteur public). Ca tombe bien, ils sont justement 4 opérateurs privés à être dans les starting block

;-)

Quels sont les acteurs de la financiarisation historique de la Biologie Médicale française?

1. UNILABS, le pionnier

La première initiative provient de ce groupe suisse créé en 1987, bien implanté dans 11 pays d’Europe (dont la Suisse, l’Italie,l’Espagne, la Russie…) et en France, où il est présent dans plusieurs villes françaises. Au 1er juin 2004, son chiffre d’affaires était d’environ 156 millions d’euros en Suisse, à 30 millions d’euros en France. Au cours de l’été 2007, le suédois Capio a marqué les esprits en prenant le contrôle d’Unilabs, formant ainsi un ensemble doté de plus de 100 laboratoires à travers l’Europe. Unilabs est très implanté en région parisienne (laboratoire d’Eylau sur 4 sites),  à Cherbourg, en Bourgogne et dans l’Hérault.

 Unilabs pratique ce qu’on appelle le  » démembrement de propriété « . La société suisse propose aux biologistes intéressés de scinder la propriété des droits sociaux :

- d’un côté, l’usufruit, qui concernerait l’investisseur, c’est-à-dire Unilabs en l’occurrence, qui récolte donc les dividendes.

- de l’autre, la  » nue-propriété « , qui reste aux biologistes.

Dans ce cadre, les biologistes gardent la majorité des droits de vote. Le principe du démembrement est donc de séparer la détention du capital des droits aux dividendes. Un principe qui fait dire aux opposants que le biologiste est apparenté dans ce cas à un salarié, même s’il a un droit de regard sur les décisions de la société. Mais quel est réellement son pouvoir de décision s’il n’a aucun pouvoir économique ? La question reste à ce jour entière. Le CNOP a engagé une procédure à l’encontre de certains directeurs de laboratoire ayant rejoint Unilabs en utilisant ces types de montage, Unilabs avait alors riposté en demandant à l’Ordre une indemnité supérieure à 100M d’euros pour le préjudice résultant de cette mise en demeure. Ordre 1. Unilabs 0. Dans son jugement du 12 mai 2009, le Tribunal administratif a rappelé que les textes applicables aux laboratoires d’analyses de biologie médicale souhaitent garantir l’indépendance des exploitants de laboratoires à l’égard des tiers et poursuivent un objectif d’intérêt général visant à éviter les collusions préjudiciables aux patients ainsi qu’à la santé publique ».

2. LABCO, l’offensif

La deuxième initiative est le résultat d’un regroupement de laboratoires à l’initiative de biologistes et de non-biologistes, d’économistes de la santé et de gestionnaires. Ce groupe, sous l’appellation  » Labco « , est composé d’une société holding (Labco SAS) qui est la compagnie financière, dont l’ambition d’expansion est à l’orgine de plusieurs plaintes déposées contre l’Etat français. Les biologistes qui ont cédé leur société, ou vendu à Labco leur participation dans une société d’exercice libéral de directeur de laboratoire (SEL), réinvestissent tout ou partie du prix de l’acquisition de leur laboratoire dans la holding et en deviennent actionnaires. Plusieurs importants groupes financiers français et étrangers participent aux investissements. Les responsables de Labco mettent en avant le fait que ce sont les biologistes qui sont les premiers investisseurs du groupe, puisqu’ils détiennent la majorité du capital mais sous forme d’actionnariat! (contre la cession de leur laboratoire lorsqu’ils rejoignent le groupe). Un raisonnement entièrement rejeté par les opposants qui mettent en avant le rôle majeur des fonds d’investissements et des banques dans les montages financiers. Ainsi, la Holding Labco SAS, afin de contourner la législation en vigueur réservant au moins 51% du capital aux seuls biologistes en exercice dans le laboratoire, prend des participations dans des sociétés d’exercice libérale (SEL) qui, elles-mêmes, vont prendre des participations dans d’autres SEL. Ainsi de suite. Jusqu’à détenir 99 % du capital. C’est ce système de maillage et de chaînage entre plusieurs sociétés qui est aujourd’hui vivement contesté par les syndicats et les Ordres professionnels qui craignent que cette pratique entraîne rapidement la disparition des laboratoires indépendants.

Labco ne propose ni plus ni moins qu’un salariat avec participation ou actionnariat et qualifie de « rémunération motivante » sa politique d’intégration des jeunes biologistes en associant à un salaire de base des bonus « provisionnés » en fonction des résultats du laboratoire et du réseau. Rappelons que résultats pour une entreprise signifie chiffre d’affaire et que la proportionnalité est directement dépendante du nombre d’analyses réalisées soit en volume soit en rapidité d’exécution. Ce qui pose un léger problème pour des jeunes praticiens de santé pour qui efficience des dépenses de santé et qualité prime d’une manière générale sur le rendement.  Si leur rémunération est -même en partie- indexée sur les résultats  de l’entreprise, nul doute que des dérives apparaitront tôt ou tard (cf.  bonus délivrés aux traders prenant pour leur banque d’immenses risques financiers…). La dilution des responsabilités dans la chaine de décision ne fera malheureusement qu’accentuer les risques encourus.

3. GENERALE DE SANTE / NOVESCIA, le versatile 

La troisième initiative vient d’une société déjà bien implantée dans le domaine de la santé, puisqu’il s’agit de la Générale de Santé (la plus importante chaîne de cliniques privées en France, ayant l’ambition de se développer à l’étranger). C’est une filiale de la Générale de santé qui prenait des participations dans des SEL de directeurs de laboratoire depuis 1992. Une procédure alors très fortement contestée, notamment par l’Ordre des pharmaciens, rappelant l’interdiction pour les établissements de santé la détention directe ou indirecte d’une SEL de directeurs de laboratoire (ce qui n’est plus le cas actuellement avec la parution de l’Ordonnance de janvier 2010…). Pour la section biologie de l’Ordre des pharmaciens, la Générale de Santé veut  » capturer le patient depuis sa prise de sang jusqu’à son hospitalisation « . Pour des juristes de cette compagnie, Générale de Santé étant avant tout une société financière (sic !), il n’y avait de toute façon avant l’Ordonnance, aucun obstacle légal valable à empêcher sa prise de participation. « Dans le cadre de la réglementation du secteur, Générale de Santé détenait des participations allant jusqu’à 99 % du capital dans ces SEL de laboratoires français par l’intermédiaire d’une entité italienne, exercant elle-meme des activites de laboratoire en Italie», commente un associé responsable du département conseil de Générale de Santé.

Rebondissement inattendu, Générale de Santé, continuant son recentrage dans l’hospitalisation privée, a vendu ses 25 laboratoires de biologie médicale. C’est Novescia -sans surprise- qui a emporté la victoire parmi des dizaines d’industriels et fonds d’investissement. L’entité Novescia regroupe déjà en France une soixantaine de laboratoires pour un chiffre d’affaires de 65 M€. Il en récupère 25 de plus répartis dans tout l’Hexagone pour un total de 130 M€ de chiffre d’affaires. La structure adopte un positionnement innovant en proposant aux dirigeants des laboratoires rachetés de rentrer au capital des holdings régionales alors créées. « Pour mener à bien ces acquisitions afin de créer des plateaux techniques en région regroupant entre 15 à 30 laboratoires, nous avons réuni trois tours de table auprès d’une quinzaine d’actionnaires pour un total de 50 M€».

A qui appartient Novescia ?

Le président du groupe, Sylvain Chapuis, ancien responsable du pôle de biologie médicale de la Générale de Santé, possède 10 % des parts de sa société tandis que des fonds d’investissements régionaux, dont la Socadif, détiennent 45 % et des entrepreneurs issus de Family office possèdent le solde. Evoluant sur un marché français, estimé à 4,5 Md€ de chiffre d’affaires où 3500 laboratoires resteraient encore indépendants, le groupe devrait poursuivre ses achats ciblés en région. « Notre ambition serait de finir l’année avec 40 à 60 laboratoires supplémentaires pour atteindre entre 180 et 200 M€ de chiffre d’affaires ».

4. Pasteur-Cerba/ Biomnis : des cas à part?

Ces laboratoires d’analyses spécialisé, ne traitant pas directement avec le patient et prestant pour d’autres laboratoires privés ou publics a également vu l’arrivée dans son capital des fonds de placements et d’investissements. A noter qu’ils bénéficient d’une place à part puisque n’étant pas -encore- organisé pour proposer une offre de 1er recours avec des laboratoires ouverts au public, ils occupent une place bien particulière et nécessaire d’expertise biomédicale.

Quelle place est laissée aux jeunes biologistes dans ce contexte?

On entend beaucoup de contre vérités à leur encontre, délivrés par des autorités dites compétentes pour évaluer à leur place ce qui est bon ou mieux pour eux. Une profession féminisée, pour qui la qualité de vie prime avant tout, des futurs salariés contents de l’être et qui ne se posent aucune question existentielle.

Nous les détrompons.

Les premières années du post internat, les remplacements ou l’exercice salarié sont effectivement très répandus afin d’acquérir de l’expérience et un capital de départ. Passé quelques années, comme leurs ainés avant eux, de nombreux jeunes biologistes aspirent à pouvoir diriger leur laboratoire, être des entrepreneurs à part entière, maitre de leurs décisions, libres de leur investissement, en somme exercer comme une profession libérale à part entière ! Compte tenu de l’évolution (que l’on peut déplorer ou non), les jeunes biologistes vont devoir s’adapter. A défaut de devenir seul dirigeant et propriétaire de leur laboratoire, devenu quelque peu utopique dans ce contexte extrêmement concurrentiel (le seuil de viabilité d’un laboratoire étant arbitrairement défini à 300 dossiers jour), ils vont devoir trouver des solution viables et alternatives. Un modèle suivant lequel les jeunes biologistes intègreront un laboratoire qui sera co dirigé et détenu par plusieurs biologistes en association, en toute indépendance et qui leur laissera la possibilité de le co gérer avec eux. Nous n’avons pas besoin des financiers pour cela. Intégrer en douceur un adjoint salarié dans le capital social est la meilleure façon de faire fonctionner la solidarité entre les générations et repose sur des principes éthiques éprouvés. De nombreux modèles existent afin de bénéficier de la fiscalité avantageuse de l’endettement des SELs : apport “en nature” du cabinet à une SCP dont les parts sont rachetées progressivement par la nouvelle génération, portage de part au sein de la SEL. Le vendeur voit évidemment ses revenus futurs amoindris, mais il dispose en contrepartie d’un capital plus important, à même de compenser cette perte. Il crée une structure plus solide, bénéficiant de compétences diversifiées, se dégageant du temps libre pour améliorer les missions (de formation, de service publics…)  incombant à sa structure, à même de supporter la concurrence financière d’acteurs extérieurs à la profession.

Plusieurs modèles doivent continuer de co exister.

Les pouvoirs publics ont l’immense responsabilité de prendre dès maintenant les mesures nécessaires à l’émergence d’un modèle alternatif. Les super réseaux d’analyse cotés en bourse ne peuvent à terme être les seuls prestataires d’analyses en France, il est vital pour l’émulation commune et le maintien d’une grande qualité de soin délivrés aux patients de favoriser la constitution de structures continuant d’intégrer de façon non minoritaire les jeunes biologistes.

Le SJBM est là pour le leur rappeler.



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