Magazine Culture

Pas Revoir et Neige rien, de Valérie Rouzeau (édition poche, lecture de Benoît Moreau)

Par Florence Trocmé

Rouzeau, poche Table Ronde  De la poésie en "poche", pour 7 euros … On pense à un petit cadeau à risquer, à offrir à des amis qui ne lisent jamais de poésie (ça existe) … Pour un petit cadeau militant, c'est un choix à la fois "modéré" et audacieux. "Modéré" car Valérie Rouzeau aime parler de ce qui touche chacune de nos vies, même celles des lecteurs de romans. Audacieux cependant car elle écrit en une langue recréée, proche de la pensée, avec ses emboîtements, ses télescopages, ses associations, ses bonds, ses polysémies, ses jeux. A chaque relecture d'une page de ce délicat kaléidoscope, des facettes de texte semblent avoir changé de place, de sens, de couleur.
Pas revoir est le livre d'un adieu au père. 79 poèmes d'un récit en guirlande où présent et passé s'enlacent, où douleur du deuil et joie du souvenir se font face en miroir. Et aussi un vaste bouquet, une grande brassée de noms de couleurs et de noms de fleurs qui rythment tout le livre : le blanc de la neige, des draps, des mouchoirs, des lapins, poules et chèvres du passé ; le jaune des jonquilles, des forsythias et des boutons d'or, et le jaune de la peau et des yeux du malade ; le rouge des roses mises partout, des yeux en chagrin, des joues de la mère, et du cuivre ; le bleu de la robe, du ciel, des oiseaux, des fleurs ; le vert de la voiture et des bottes ; le gris des baleines ; le noir de la fourmi, du camion, de la grue, du cambouis, du fauteuil, de la robe noire, des yeux qui coulent noir, du marc de café ; et d'autres fleurs encore : œillets d'Inde, herbes folles, coucous, myosotis, lilas, crocus, grandes fleurs communes, pissenlits, bégonias.
Les fleurs de l'hommage, du don, de la tendresse, car C'est difficile de t'offrir quelque chose, ç'a toujours été. Alors, Gerbes gerbes les mêmes qu'autant de courses gagnées mon père fleuri de la tête aux pieds. Quelques êtres inconscients et sereins habitent le bouquet : guêpe, fourmi, crapaud, abeille, alouette, bourdon, araignée. Quelques objets aussi, que le père utilisait chaque jour : bottes, marteaux. Quelques témoins : flaques, étoiles, cosmos qui n'aide pas beaucoup mais qui est là, qui sera toujours là.
Là-haut vais me coucher après voir des étoiles.
Je sais qu'elles brillent aussi sur toi.
Des étoiles attendues en mâchant un plat froid.

Le plus précieux, ce sont les souvenirs magiques, rêves mêlés de chansons de Noël.
Enfant dans les grands sapins verts c'était toi qui sifflais soufflais enfant dans les grands sapins blancs

La vie est différente désormais :
Miroir dis-moi voir c'est ma tête ?
N'ai-je pas une grimace, une nouvelle ligne aussi à me barrer le front ?
Fais voir un peu ma figure : la figure orpheline ressemblante.

Désormais, on a toute la vie pour élucider les questions jamais posées, et les plis venant au front seront un héritage.
De la cabine du camion noir tu éprouvais les routes sans fin. (…)
Tu préférais l'été qui raccourcit les nuits tu avais des soucis à semer sur les routes ça faisait à ton front des lignes d'horizon

On se sent plus proches que jamais.
Ma main là posée sur la table de dehors.
De la même couleur que sa main à mon père.


par Benoît Moreau

Valérie Rouzeau
Pas revoir, suivi de Neige rien.
La Table Ronde, 2010, réédition de poche (Collection La Petite Vermillon) avec une préface d'André Velter.
7 €


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines