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Salle 5 - vitrine 2 - prémices iii : du pillage contemporain des antiquités

Publié le 09 mars 2010 par Rl1948


     On ne peut qu'applaudir aux mesures sévères prises depuis peu par Mohamed-Aly, qui s'est déclaré le protecteur des monuments de l'Egypte que des sujets des nations plus civilisées ne savent pas respecter.
    
     C'est en ces termes teintés d'une certaine hypocrisie - à moins qu'empreints de remords ? - que Frédéric Cailliaud termine le chapitre LVI, p. 301 du troisième
volume de son Voyage à Méroé ..., après avoir pointé du doigt des actes de vandalisme perpétrés par les sbires du consul britannique Henry Salt dans le temple de Karnak ; après s'être personnellement, comme je l'ai expliqué mardi dernier, ici même, devant ce splendide fragment de peinture sur limon,
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rendu coupable d'un acte tout aussi inexcusable, à mes yeux à tout le moins, dans l'hypogée d'un certain Neferhotep, aujourd'hui complètement perdu sous les sables de la nécropole thébaine.
     Ce sont d'ailleurs peut-être ces mêmes remords qui motivèrent en 1862, quarante ans après les faits,  - il est alors dans sa septante-cinquième année -, cette courte annotation dans l'appendice de la deuxième livraison de l'ouvrage intitulé Voyage à l'Oasis de Thèbes et dans les déserts situés à l'Orient et à l'Occident de la Thébaïde où il établit un inventaire définitif de tout ce qu'à l'époque de ses séjours en Egypte et au Soudan il avait ramené à Paris : ... une partie de fresque représentant des lotus (comprenons des papyrus), des oiseaux, des caméléons, des papillons, etc. ; sujet curieux retiré des hypogées de Gournah, à Thèbes. Longueur 0 m. 76 sur 0 m. 43.
     Qu'une éventuelle légère hésitation subsistât encore dans l'esprit de l'un ou l'autre d'entre vous, amis lecteurs, et la voici à présent, avec semblable aveu tardif - et  précis quant aux mensurations du fragment en question -, plus que définitivement balayée : certes, Frédéric Cailliaud ne révèle pas avoir personnellement arraché ce morceau de limon d'une des parois de la tombe dans laquelle il n'était censé que recopier les peintures qu'il y découvrait, mais il est indéniable qu'à défaut, ce fut avec son aval qu'alors quelqu'un effectua  l'irrémédiable geste ...
     Acte inexcusable à mes yeux, ai-je sans équivoque aucune décrété voici quelques instants, dans la mesure où, personnellement, j'assimile ce procédé qui consistait à découper des parties d'un monument antique aux fins d'agrémenter une collection muséale ou celle d'un riche particulier à un acte de vandalisme intolérable, même si je suis absolument conscient qu'il était, au début du XIXème siècle, parfaitement admis. En effet, il fallut attendre l'arrivée au pouvoir de Mohammed Ali (1769-1849), vice-roi d'Egypte, pour que des mesures, très vite relayées par les directeurs français du Service des Antiquités de l'Egypte, Auguste Mariette et Gaston Maspero en tête, soient enfin promulguées pour tenter d'enrayer cette honteuse pratique. Tenter ...
    Toutefois, je suis aussi conscient que l'on peut arguer du fait que les monuments ainsi extorqués au pays ont mieux été protégés dans nos musées occidentaux que sur leurs terres d'origine où ils restaient toujours susceptibles de constituer la proie de voleurs avides d'en chèrement monnayer la vente.
    Pour éventuellement sonner aujourd'hui le coup d'envoi d'un débat toujours d'actualité, mais aussi pour le simple plaisir de lire ce que je considère comme un pur morceau d'anthologie sur la façon de se donner bonne conscience, en utilisant en outre l'une ou l'autre dénomination qui fort heureusement ne serait plus acceptable de nos jours, ou presque ...,
je vous propose à présent - comme promis à la fin de mon exposé de la semaine dernière - de prendre connaissance de cet édifiant extrait, que vous pourrez aussi découvrir, aux pages 322 à 324 du premier tome de l'ouvrage qu'Edmond Combes, vice-consul de France, publia en 1846, Voyage en Egypte, en Nubie, dans les déserts de Beyouda, des Bicharys et sur les côtes de la mer Rouge  :
    Pendant mon séjour en France, lorsqu'on parlait des prétendus outrages faits aux chefs-d'œuvre de l'antiquité, lorsqu'on annonçait que des archéologues, encouragés par les gouvernements et les corps scientifiques, dépouillaient les temples de la Grèce ou les monuments de l'Egypte, et que l'Europe se disputait les ruines du vieil Orient en attendant de pouvoir partager ses provinces, je m'indignais contre ces agents de destruction, et j'aurais volontiers crié au vandalisme, en voyant les restes justement admirés de la grandeur d'un peuple ancien devenir la proie, comme je le disais alors, des nations civilisées. Mais après avoir foulé les immenses débris de l'Egypte, après avoir déploré les mutilations sacrilèges qu'ont subies ces glorieux monuments, on ne peut qu'applaudir à la pensée éminemment conservatrice de ces hommes courageux qui, pour préserver ces chefs-d'œuvre d'une ruine totale, et les sauver au moins de l'éternel oubli, en emportent les lambeaux dans leur patrie, à travers mille difficultés. Sans doute, ces antiques restes perdent de leur prix et de leur prestige à être déplacés, mais lorsqu'on voit l'indifférence coupable des peuples dégénérés qui devraient en être les gardiens naturels, lorsqu'on assiste à la chute prématurée de ces immortels monuments, on sent le besoin de soustraire aux outrages des hommes et du temps ce que les hommes et le temps ont encore respecté, et, grâce à cette sage prévoyance, nos derniers descendants pourront encore admirer ces majestueux souvenirs des premiers âges, qui n'auraient pas tardé à disparaître entièrement, si on les eût abandonnés à la merci des barbares.
     Vous aurez d'évidence, amis lecteurs, tout comme moi souligné l'élégance des propos de ce représentant du gouvernement français de l'époque.
     Ajoutons-y peut-être "racaille" et "casse-toi, pauv'con", et ainsi étofferons-nous un vocabulaire qu'il m'eût agréé de considérer comme obsolète ...
 
(Keimer : 1940, 45-65)

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