Magazine Journal intime

Coup de vieux

Par Kasey
Coup de vieux
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     Est-ce d’avoir un an de plus ou mes patients qui me vieillissent ? Chaque jour qui passe je me dis « tu sais que tu n’auras que ce jour là, demain il n’existera plus » ce qui ne m’empêche pas de me dire que j’ai jamais vécu la vie en «  carpe diem ». ^^

    Plus le temps passe, et plus je passe de temps avec mes patients, plus je me sens vieille avant l’heure. Non pas que je sois comme mes patients mais au contraire que je me sens dépassée, décalée, ou déphasée par rapport à eux. Ils ont tellement d’histoires à raconter, ils ont VECU tellement de choses, de drames et de joies.

    Si je devais être hospitalisée, je n’aurai rien à dire à mon kiné !

    
    En ce moment, nous avons une stagiaire… du collège : elle est belle, quoique qu’un peu jeune. Maquillée comme une grande, habillée classe et sexy. A la regarder, je ne lui donnais pas ses 15 ans. Plutôt 17 ou 19 ans.

    
    Tu prends d’un coup une claque en pleine gueule. Tu t’approches de la psychée et en regardant ton image tu te dis que à côté tu fais 14 ans ! Parce que toi, tu ne te maquilles pas ( ou plutôt que l’eye liner et le fond de teint sont des mots inconnus de ton vocabulaire ) , que t’as bien essayé de t’habiller comme les autres mais que ca ne marche pas, que t’as rien de la vie des autres…

    Aussi je me dis que ma vie est bien triste

    
    Et chaque patient m’en fait davantage prendre conscience. A l’aube de mes 22 ans, je trouve cela plutôt moche. Même en cherchant je ne vois pas ce que je pourrais raconter de ma vie privée à un potentiel kiné ou psy ! Oh ! C’est sur je n'ai pas eu une enfance rose mais qui n’en a pas eu ? Et certaines choses ne se disent pas.
    

    C’est plus que je ne peux rien dire. Pas de grosses bétises ( certes en cherchant j’en trouve mais pas qui méritent d’être comptés sauf pour faire fuir une éventuelle belle famille ^^ ), pas d’amour de jeunesse ( ce qui me rend le plus triste aujourd’hui… ), pas d’histoire d’amitié rocambolesque ( la règle du «  ca passe ou ca casse » ou du « tu souffres, alors pars » ), pas de vie de couple ( même les nones auraient plus de choses à raconter à ce sujet… ), pas de drames familiaux ( normal, généralement, c’est moi qui les causes, mais ca aussi je ne veux pas en parler )… Bref, une vie de 22 années sans intérêt.
 

    Mes patients à l’inverse ont plein d’histoires.

    Tenez un des derniers vraiment « chti » lui il en a fait baver aux gens ( aux kinés aussi mais faut pas le dire^^ ) : un vrai bad boy dans son genre. Et c’est amusant de l’entendre raconter tous les délits de sa jeunesse, les sports de brutes ou les bagarres. Non, qu’on encourage mais juste que ca donne un semblant de vitalité à la vie qu’on a vécue.

     Une autre a construit depuis trente ans sa vie autour de sa maladie. Du coup, y a l’avant et l’après. Mais que ce soit l’avant remplit de choses comme des grandes randonnées avec escalade de monts… et l’après qui soit à son échelle un parcours du combattant pour retrouver des capacités proches d’autrefois…

     Une autre qui me racontait qu’elle avait connu dans sa jeunesse son mari, qu’ils étaient restés ensemble jusqu’à sa mort, affrontant celle de leur fils dans un accident de voiture, adoptant le petit fils…

    Vous voyez ce que je veux dire ?

    A côté, mes 22 ans… Ils sont creux.

    Et je me sens terriblement vieille.

    Peut être parce que c’est aussi plus facile pour moi de ne pas laisser les gens penser ce qu’ils veulent, de ne pas fabriquer ma postérité estudiantine sur mes frasques… Je n’avais jamais compris l’expression «  sainte nitouche » quand on m’avait insultée y a des années de cela. Mais en globalisant le mot, je le comprends tout à fait maintenant. C’est l’illusion que les gens se font de nous, qu’ils veulent qu’on soit sous de faux prétextes parce qu’ils ne se donnent pas la peine de nous connaitre, et qui fait que quand on sort du moule qu’ils ont crée pour nous, ils ne comprennent pas.
 

     Etrangement, chaque année, je désire changer quelque chose… Devenir mieux. Allez savoir en quoi consiste le mieux ?!


    Mais chaque année, on se dit que cette année sera différente. C’était peut être plus important quand on était petite. Parce qu’on voulait être grande. Grande à l’époque c’était à 16 ans, puis à 18 ans… Maintenant… loool je cours après les trente ans comme si ca allait changer quelque chose d’en avoir trente plutôt que 22 ans.

     En fait, je crois qu’on espère comme dans les films, que les années filent, qu’on se réveille, et qu’on soit déjà dix ans plus tard avec une vie «  parfaite » ( où finalement, on a rien eu à faire pour l’avoir ) et qu’on compose avec.

    Le temps file trop vite…

    Même là je me rends compte combien je suis « pas comme les autres » là où d’autres stagiaires sont en train de s’amuser avec les patients en salle de repos, je reste dans ma chambre à bosser mes cours de neurologie ( youpi !!!! : (   )

     En discutant avec une amie comme autrefois, on parlait de notre vie actuelle : elle dans son studio, avec son année d’internat qui ne tarderait pas à commencer et qui disait que sa vie lui convenait telle qu’elle était, même si aux yeux des autres elle n’était pas « parfaite », faite d’excentricité… Mais qu’un jour, elle aimerait elle aussi avoir les choses comme les autres.

      Est-ce parce qu’on prend conscience du temps qui passe ?

    
      Ou tout simplement, que trop marquées par notre passé, notre histoire, on ne parvient pas à s’amuser comme les autres, à croire le temps immortel, la vie immortelle…


     Ou est ce à force de suivre des cours de médecine/kinésithérapie qu’on devient cynique sur l’existence ? Ou de voir des patients affrontant des tragédies et ne s’en sortant pas toujours ? Ou au contraire est ce parce qu’on est juste comme on est… tout simplement, pas à même de profiter comme les autres de la jeunesse qui nous est offerte et qu’on ne reverra plus.

     Quelque part, c’est triste qu’à mon âge, je sois déjà mélancholique de mes 22 ans.


     Et la vie d’étudiante n’aide pas ! Devoir être « dépendant » de tout le monde : de l’école qui nous «  surveille », des parents, de nous même… n’aide pas à « se trouver » ( comme on dit dans les contes initiatiques )…

     Car est ce que sans connaitre notre valeur nous sommes capables de construire quelque chose ? Ou alors ce quelque chose sans la connaissance de notre nature profonde sera forcément instable…

*rires* Pourtant, j’aimerai bien être comme mes patients. Avoir plein d’histoires à raconter aux stagiaires, et qui parfois agacent les kinés à force de les entendre. J’aimerai bien être de ces vieilles qui ressemblent à des arbres centenaires, qui ont vus les années marquées leur visage, et qui assisent au coin du feu racontent l’histoire de leur famille…

    Aujourd’hui, on a un soignant qui nous a dit que l’accident qui l’a défiguré date de ses 17 ans… Sans s’étendre sur le sujet, rien que de dire cela, ca m’a choquée. Parce que je me suis dis, que si la vie s’arrêtait là maintenant, ce serait trop horrible.

     Je n’aurai même pas des souvenirs auxquels me raccrocher. Je n’aurai pas d’existence à détester ou à choyer. Je n’aurai rien…


     Et là, tu te dis, à 17 ans, comment quand tu vis cela, tu fais pour t’en sortir ? Pour arriver aux trente ou quarante ans qu’il a aujourd’hui avec autant de gentillesse, de douceur dans l’attitude, la voix, la transmission de son savoir ? Comment ne pas être aigri par la vie qui ne te fait pas de cadeau ni avant quand tu étais beau, jeune, la vie devant toi alors que maintenant, tu es « laid », « vieux », « différent », et que la vie est derrière toi ou à reconstruire ?

     Cela me fait vraiment peur parfois…

     Oh ! Je ne me fais pas de soucis, certes je ne vois pas quoi raconter à un kiné si j’étais hospitalisée et vieille, mais je ne m’inquiète pas ma famille trouverait toujours de quoi faire fuir une éventuelle relation.


     Certes quand je présente les choses ainsi, ca fait « la pauvre fille ». Mais faut pas exagérer ! C’est juste parce que j’ai 22 ans et que je me sens vieille avant l’heure… demain, le coup de blues sera passé, même dans quelques minutes quand le nerf ulnaire ou que sais quelle lecon me passera au dessus de la tête.

     Mais j’ai une vie et des anecdotes tout de même. Certes plus d’histoires avortées qu’autre chose. Mais y a de quoi creuser. Entre les bétises de gosses, les audaces de mes trois ans, sept ans, les trois fois où j’ai failli mourir, les hommes qui n’ont pas voulu de moi, les gens qui m’ont haie ou aimée, la fois où j’ai failli tué quelqu’un… Bref, y a des ptits trucs à dire quand même qui font que t’as juste envie de plonger la tête dans le sable et faire la sourde oreille « quoi, moi ? mais non, l’écoute pas, ma mère raconte des bétises, ahahahaha ». Et y a les trucs que je refuse de dire et qu’on redoute toujours qu’ils refassent surface aux plus beaux moments de ton existence. Parce que tu ne le supporterais pas. Loool

     Donc bref, tout cela pour dire, que j’envie la vie « passée » de mes patients en tant que « vécu » dans le sens « ils ont eu une vie remplie », même si y a eu beaucoup d’accidents de parcours indésirables… que mes 22 années sont totalement insignifiantes mais que ca n’empêche pas que j’ai quand même pas été la belle au bois dormant pendant tout ce temps non plus !

    Attention n’exagérons rien !

Ouistiti


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