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Dans quelle ville voulons nous vivre demain ?

Publié le 14 mars 2010 par Objectifliberte
TOD-vision La ville de demain, une question qui ne vous concerne pas ? Voire ! L'urbanisme et le développement urbain sont des sujets apparemment rébarbatifs, ou prompt à des débats de techniciens dont le citoyen non spécialiste pourrait à tort se sentir exclu. Pourtant, peu de questions ont autant d'importance pour notre avenir. 80% des Français vivent dans des zones urbaines, et encore la dénomination "non urbaine" de certains villages de nos campagnes prêterait elle à réinterprétation.
A quoi ressemblera la ville dans laquelle nous vivrons demain, combien cela nous coûtera-t-il d'y vivre, l'environnement y sera-t-il agréable, et pourrons nous y tisser toutes les relations économiques et sociales que nous souhaitons ? Avouez que peu de questions auront une influence plus déterminante sur notre qualité de vie future et celle de nos enfants.
Danger : l'élite technocratique pense pour vous !
Pourtant, que les choses soient claires: votre avis sur l'évolution de vos villes n'a aucune importance. Absolument aucune. L'état nounou, dans sa grande bonté, a décidé de vous dispenser de pouvoir exprimer des choix en la matière. Aujourd'hui, des bureaucraties, qui ont détourné les rouages institutionnels à leur service, prétendent sous couvert de leur "expertise" contrôler toujours plus étroitement le moindre aspect du développement futur de nos villes, et donc de nos vies.
Or, nombre de politiques urbaines prônées aujourd'hui sont fondées bien plus sur des préjugés et peurs irrationnelles (ah, l'étalement urbain...), ou gouvernées par une idéologie environnementaliste de type extrémiste sous-jacente. Cela ne veut pas dire que toutes les personnes voulant appliquer  zonages, lutte contre l'étalement urbain, et développement centré sur les transports collectifs soient tous des éco-fascistes, loin de là. Mais quelques leaders d'opinion, quelques concepts marketing aussi biaisés que porteurs, mélangez le tout avec la sociologie des bureaucraties interventionnistes, et voilà le résultat...
Si j'ai abondamment évoqué le zonage et l'étalement urbain par le passé, je voudrais m'attarder un peu sur la question du "développement orienté vers les transports collectifs", qui est une tendance très lourde de l'urbanisme officiel, et qui est un des aspects les plus notables des lois dites "Grenelle 2" qui doivent normalement passer comme une lettre à la poste à l'assemblée sous quelques semaines.
Un concept importé, le Transit Oriented Development - TOD
Dans son article publié ici même ce dimanche, Jean-Michel Bélouve fait remarquer fort justement que les dispositions de loi contenues dans le projet intitulé "Grenelle 2" visent à forcer les gens à habiter des quartiers à densité plus élevée bâtis dans les limites des centres urbains existants, au nom de la lutte contre l'étalement urbain. Ce type de développement à haute densité suppose un fort développement des transports collectifs en site propre, trams et métros principalement, pour parvenir à prendre en compte les besoins de mobilité des populations concernées.

La loi Grenelle 2 stipule donc - Dans la continuité des lois antérieures qu'elle ne fait que renforcer -  que les plans locaux d'urbanisme devront évidemment se conformer aux SCOT (Schémas de Cohérence Territoriaux) créés par la loi SRU, qui eux mêmes devront prendre en compte les Plans Locaux de l'Habitat (PLH) et Plans de déplacement Urbain (PDU), ces documents devant être bâtis en synergie de façon à permettre la densification urbaine autour des axes de transport en commun les plus fréquentés.

Cette stratégie devrait, selon ses promoteurs, réduire les émissions de CO2 grâce à l'augmentation de l'usage des transports en commun de type "propre", réduire la "consommation d'espace", concept déjà éreinté dans ces colonnes, réduire la congestion routière en réduisant le recours à l'automobile, et augmenter l'efficacité des investissement collectifs urbains en favorisant une meilleure utilisation de ces équipements du fait de zones de chalandise plus peuplées.


Cette conception liée à la densification des pôles urbains nouveaux ou renouvelés autour d'investissement lourds dans les transports collectifs est appelée "Transit Oriented Developpement", en abrégé TOD, outre Manche et Atlantique, et est l'une des clés de voûte des nouvelles politiques de planification urbaines que la technocratie veut nous imposer ici et là bas. (En savoir plus, côté partisans du TOD)
Est-ce que le TOD répond aux espoirs placés en lui ? Nous allons voir que non. Mais plutôt qu'une approche théorique,  abordons cette évidence par le petit bout de la lorgnette, à travers l'exemple des politiques de TOD vues par certains organes de presse de la gauche honnête et courageuse à San Francisco.
L'échec du TOD à San Francisco

S'il est une ville ou le TOD devrait avoir bonne presse, c'est là bas. Ville historique à centre ville compact et dense, politiquement très à gauche tendance Bourgeoise-Bohême, ayant d'ores et déjà investi dans nombre de projets de transports en commun très couteux, San Francisco fut la première à se doter dès la fin des années 60 de "Smart Growth Policies", littéralement "politique de croissance élégante", comprendre "planifée par des professionnels" selon des schémas très stricts dans lequel tout projet de développement qui ne serait pas compatible avec les smart growth plans serait immanquablement rejeté.

San-francisco


Pourtant, même certains journalistes de gauche commencent à douter du bien fondé de ces politiques de TOD comme on peut le voir sur cet article d'un journal Franciscain. L'auteur, Mark Salomon, qui ne fait aucun mystère de son aversion pour le parti républicain dans le corps de l'article, écrit (traduction maison):
Après un examen minutieux de la réalité concrète sur le terrain, A San Francisco, le TOD est un leurre vert visant à accroître les profits des développeurs tout en conduisant à exacerber les conditions qui amènent à un accroissement des émissions [de GES], au changement climatique, à la congestion et à des transports de surface plus lents et moins fiables. Le simple fait que des aspects d'une politique paraissent fonctionner sur le papier ne signifie pas qu'elles marchent comme prévu en réalité, ou que certains de leurs aspects n'aillent pas à l'encontre de leurs effets désirables.
On ne saurait mieux dire que le TOD n'a pas rempli ses objectifs séduisants sur la papier. Pour parvenir à ce constat, courageux de sa part, puisqu'il va a l'encontre des préceptes soutenus en plus haut lieu par ses amis politiques, M. Salomon fait quelques constats simples.
Tout d'abord, l'emploi dans l'agglomération a fui le centre ville. Les principaux pôles d'activité au sein de l'aire urbaine de San Francisco sont en banlieue, à commencer par la célèbre Silicon Valley. Wendell Cox, dont la firme "Demographia" tient une des bases de données urbaines du monde anglo saxon la plus riche qui soit, note dans son commentaire de l'article de M. Solomon qu'en fait, 90% des emplois sont situés hors du centre ville. Cela a une influence déterminante sur la mobilité.
Deux handicaps rédhibitoires

M. Salomon rapporte une enquête diligentée par l'état de Californie montrant que même en limitant le périmètre de l'étude à des quartiers bien desservis par les transports en commun, et bien que l'investissement routier à San Francisco n'ait pas été le plus dynamique qui soit ces dernières années, smart growth oblige, les temps de parcours domicile-travail moyen des employés des 30 principales firmes localisées à San Francisco serait de 2 à 4.75 (moyenne 3.5, +250%) fois plus élevé, en moyenne, s'il devait être fait en transports en commun plutôt qu'en voiture.
M. Salomon note en outre que le prix des logements en immeubles bâtis dans les quartiers centraux près des grandes lignes de métro ou de tram coûtent plus de deux fois plus cher que celles construites dans les banlieues "étalées" de San Francisco (prix médian de 627 000 $ contre 298 000). L'auteur semble admettre une causalité entre TOD et prix élevés, ce qui est à mon sens inexact: les prix élevés sont la conséquence du zonage et de la difficulté de libérer des terrains à la construction, et le TOD, en tant qu'outil d'accompagnement de ces politiques, est évidemment corrélé aux prix élevés mais n'en est pas la cause directe. Mais peu importe.
M. Salomon, en être humain sensé, constate qu'une ville "vivable" doit être certes "plaisante" mais aussi "financièrement accessible", sans quoi le côté plaisant sera réservé aux plus riches. Or il note que le TOD n'est pas compétitif face au développement classique par étalement urbain sur deux aspects: les salariés forcés à vivre selon les préceptes du TOD devraient payer leur logement deux fois plus cher et multiplier leurs temps de parcours par 3 et plus.
Evidemment, M. Solomon retombe dans le travers collectiviste en affirmant que seuls des investissements massifs de 20 Milliards (!!) de dollars dans des lignes de métro modernes pourraient rendre le TOD compétitif face à l'auto. Les métros peuvent dans certains cas se justifier (très hautes densités, etc.) mais l'auteur ne se pose visiblement pas de question sur l'opportunité économique d'un tel investissement par rapport à la fréquentation qui peut en être espérée...
Théorie
Maintenant, la théorie. Lorsque vous empêchez le développement urbain par la périphérie, vous réduisez considérablement la capacité de construire la quantité de logements nécessaires pour répondre à la demande globale, surtout lorsque celle ci est alimentée par un boom artificiel du crédit. Faute de concurrence, les prix des logements existants et des rares terrains constructibles près des centres villes tend à exploser, ce qui pousse bien des ménages moyens à rechercher à s'établir en banlieue, voire, si les règlements contraignent aussi la construction dans les couronnes proches, à chercher du foncier abordable au delà de la zone de "perturbation réglementaire" introduite par les règles de zonage trop strictes.
Que font les employeurs dans ces conditions ? Ils font de même ! D'une part, ils ont besoin de grandes surfaces pour accueillir beaucoup d'employés (C'est pour cela qu'Apple est établie à Cupertino plutôt qu'à S.Francisco, ou que Microsoft a son siège à Redmond plutôt qu'à Seattle). D'autre part, toute politique augmentant le coût du terrain au centre ville va les inciter à s'excentrer davantage, comme les particuliers: les entreprises aussi cherchent à minimiser leurs coûts.
Du coup, la dispersion des points d'origine et de destination des voyageurs devient telle qu'il est impossible de tous les desservir par des transports directs et non pénalisés par le problème du "dernier kilomètre", au départ comme à l'arrivée, et que la politique de lutte contre l'étalement urbain, en renforçant l'attractivité financière de l'éloignement des centres, exacerbe cette tendance.
De fait, même si les infrastructures routières peuvent par endroit se trouver saturées, aucun transport en commun ne peut rivaliser, en temps de parcours moyen de porte à porte, avec celui offert par l'automobile. J'insiste bien sur le terme moyen: si le temps de parcours "moyen" est multiplié par 3 entre la voiture et les TC, il se trouvera, selon une courbe de Gauss classique, quelques individus qui verront leur temps de transport réduit et auront, sur ce critère, intérêt à les utiliser: ceux qui auront la double chance d'avoir leur logement à moins de 5-10 minutes d'une ligne rapide (en site propre, de préférence) reliant directement leur emploi, lui même situé à moins de 5 minutes de la station d'arrivée. Et encore faut il que les deux stations ne soient pas en bout de ligne, auquel cas se posera la difficulté du manque de fréquence des rames hors heures de pointe.
Ce cas de figure étant rare, il ne faut pas s'étonner qu'un peu partout dans le monde occidental, richement doté en automobiles, la part de marché des transports en commun urbains soit faible (exemples: Portland 8.0% des déplacements domicile travail et 2% des passagers x km totaux, San Francisco 4.8% des P x km, ou plus près de nous Nantes, 19% des déplacements tous motifs hors marche à pied - 15% tous modes confondus, malgré une subvention moyenne de 82% du prix du voyage...) et n'augmente pas, sauf lorsque des politiques très coercitives sont mises en oeuvre, comme dans certaines villes Suisses. J'y reviendrai. 
Tant l'exemple franciscain que la théorie nous montrent que non seulement les politiques de TOD ne sont pas désirables dans l'absolu, mais qu'elles tendent à amplifier les effets supposément pervers qu'elles devraient contrecarrer.
On ne combat pas la congestion par le report modal
L'on nous dit qu'un "report modal" de l'automobile vers les transports collectifs réduirait la "congestion", laquelle est une "externalité négative" engendrant un fort "coût social" pour la collectivité.
Dès que l'on parle "d'externalités", méfiance, tant il est possible de faire dire n'importe quoi à ce concept, qui pourtant, sur le papier, fait sens. Il s'agit de dire que toute action humaine entraine des conséquences pour des tiers dont l'auteur de l'action ne supporte pas le coût et dont celui ci est reportés sur la collectivité le plus souvent.
Dans le cas de la congestion, l'étude du fonctionnement des axes routiers a montré que le seuil de passage de la fluidité à la congestion était relativement abrupt: il suffit que le trafic sur une route augmente de 10 à 15% par rapport à son écoulement optimal pour créer une congestion augmentant les temps de parcours de 100% des usagers dans des proportions parfois importantes. Les 85% d'automobilistes qui auraient bénéficié d'un parcours fluide sont donc en quelque sorte "victimes" des 10 à 15% d'automobilistes marginaux supplémentaires. Des études très sérieuses ont essayé d'estimer ce surcoût en convertissant le temps perdu et la surconsommation de carburant en unités monétaires.
Mais cela ne constitue en rien une justification automatique des investissements susceptibles d'entrainer un report modal de ces 10 à 15% surtout lorsque le coût par passager*km desdits investissements est hors de proportion avec le gain marginal obtenu sur les trafics.
Surtout, au vu des temps de parcours, on peine à comprendre pourquoi les études ne comptabilisent jamais l'allongement des temps de transport dans les TC comme un coût, qu'il soit internalisé ou externalisé.
Car ce qui compte dans l'esprit de l'usager, c'est entre autres le temps total de parcours (ainsi que le confort, le risque d'agression, le risque d'accident, la commodité du coffre, toutes sortes d'argument pouvant faire pencher la balance pour l'un ou l'autre des modes de transport) plus que la présence d'embouteillages, que le confort des véhicules modernes permet de rendre supportables.
Plusieurs études, notamment celles du Texas Transportation Insitute, ou de Hartgen et Fields,  de l'université de Caroline du Nord (cités par S.Staley), montrent que l'allongement moyen du temps de parcours lié à la congestion aux heures de pointe varie de +4% (imperceptible) à +75% (très sévère) par rapport au même parcours en heures creuses dans la plupart des villes américaines. Cela reste très inférieur aux +250% (* 3.5) que représenterait pour les intéressés un report modal vers les transports collectifs dans une ville comme San Francisco.
Par conséquent, le coût de la congestion, qui est parfaitement internalisé par l'automobiliste par ailleurs, est bien moins élevé que ne serait le coup du temps perdu à cause de transferts modaux forcés vers les transports en commun. Inutile de dire que les études "anti-voitures" ne mentionnent jamais ce détail passablement gênant.
Conséquences sociales de l'augmentation des temps de transport
Cela veut il dire que les efforts pour réduire la congestion sont illégitimes ? Certainement pas. En revanche, on peut douter de l'utilité des programmes pharaoniques de transport en commun pour y parvenir.
Comme je l'ai déjà écrit à propos de la sécurité routière, le temps passé dans l'opération de transport d'un point A à un point B n'a pas de valeur pour l'individu, ce qui compte pour lui est de pouvoir effectuer les activités qui l'attirent au point A ou au point B: vie professionnelle, vie sociale et affective, vie familiale, loisirs... S'il existait un moyen pratique de se téléporter, plus personne, ne perdrait de temps à se transporter, sauf cas marginaux. Voilà pourquoi les individus cherchent à réduire leur temps de transport, au risque d'ailleurs parfois de compromettre leur sécurité.
Christian Gérondeau note dans son ouvrage "les danseuses de la république" qu'il existe dans le monde entier une sorte de seuil psychologique de temps de déplacement total au delà duquel les gens sont réticents à entreprendre un déplacement, pour quelque motif que ce soit. Ce seuil, selon diverses études, ressort à peu près à 60 minutes par jour en moyenne, avec des disparités locales assez restreintes.
Cela veut dire que si une personne passe 60 minutes dans son déplacement domicile travail, elle sera bien moins encline à entreprendre un autre déplacement que si elle n'en passe que 30. Au détriment, bien sûr, du restaurant, du cinéma, de la visite chez des amis, de la pratique sportive, et même, des études l'ont montré, des relations amoureuses*.
L'absolutisme pro transports urbains collectifs n'est pas la solution
A San Francisco, nous avons vu que le temps de parcours moyen d'un usager de l'automobile qui serait contraint par une politique de TOD plus coercitive à utiliser les transports en commun serait multiplié par 3.5, et encore, en supposant que la capacité des TC n'atteigne pas au bout d'un certain temps ses limites. Un report modal contraint vers les TC conduirait donc nombre de californiens à abandonner tout un tas d'activités extra-professionnelles et familliales, et il est peu probable que l'économie locale induite par ces activités s'en trouve renforcée, ou que le taux d'utilisation des équipements collectifs augmente...
Pire encore, le nombre d'employeurs qu'un individu pourrait mettre en concurrence dans une fenêtre temporelle de transports donnée diminuerait drastiquement, réduisant la capacité de négociation du salarié, sa capacité à trouver un travail plaisant, à saisir des opportunités d'évolution de carrière. Ces hypothèses ont été validées par plusieurs études réalisées en plusieurs endroits du monde: Rémy Prudhomme et Chang-Woon Lee constatent que tant en France qu'en Corée du Sud, la productivité des entreprises urbaines augmentent quand le nombre d'emplois atteignables par tout individu dans un délai de 30 minutes augmente (étude payante, hélas, mais il y a une version résumée en .doc ici). Waller et Hugues, pour le plutôt à gauche Progressive Policy Institute, notent que la sortie de la pauvreté est le plus souvent liée à la capacité de se doter d'une automobile bon marché, alors que la proximité de transports en commun n'apporte pas réellement d'avantages en ce domaine.  Hartgen et Fields ont calculé le retour sur investissement que rapporterait une dimonution de la congestion dans plusieurs agglomérations américaines, et leurs résultats montrent que l'impact d'une meilleure connectivité routière notamment de banlieue à banlieue serait extrêmement positif pour les économies locales (résumé, PDF complet).
Les conséquences sociales d'un jusqu'au boutisme de l'urbanisme "orienté transports collectifs" seraient donc sans aucun doute tout à fait désastreuses. L'enfer urbain est pavé de bonnes intentions planificatrices...
La civilisation centrée sur les transports en commun rêvée par les planificateurs se muerait vite en une sorte de métro-boulot dodo où seule la minorité qui conserverait la possibilité d'user de sa voiture se verrait offrir les meilleures opportunités professionnelles et personnelles. Est-ce vers cette réalité que les citoyens "ordinaires" veulent aller ? Certainement pas, à condition que ces enjeux ne leur soient pas masqués par le rabâchage des pseudo-arguments anti-étalement urbain.
L'anti-modèle suisse
Cette vision n'est hélas pas que théorique. Plusieurs cités helvétiques, telles que Berne ou Zurich, pour celles dont j'ai pu trouver les chiffres, ont mis en oeuvre des politiques drastiques de limitation de la circulation urbaine automobile en réduisant considérablement la "roulabilité" des grandes artères et en augmentant non moins considérablement les taxes sur les stationnements. Ces politiques sont souvent citées en exemples par les partisans de la planification urbaine coercitive. Mais la contrepartie en temps perdu dans les transports est dramatique.
En 2002 à Berne (aire urbaine de 310 000 habitants), le temps passé quotidiennement dans les transports était de 91 minutes, et de 88 minutes dans l'aire Zürichoise (935 000 habitants). A Nantes, ville pourtant deux fois plus peuplée que Berne, le temps passé dans les transports n'était "que" de 53 minutes, et à Paris, dans une agglomération 12 fois plus peuplée que Zürich, le temps passé n'était "que" de 83 minutes.
Le "Transport-en-communisme" que les lobbys concernés ont réussi à vendre aux suisses (par référendums...) se révèle à l'usage être un véritable handicap en terme de qualité de vie.
L'exemple de Hong Kong

La cité de Hong Kong, jusqu'en 1997, a servi d'aimant aux populations sino-vietnamiennes cherchant à fuir leurs régimes communistes, et de ce fait, a accumulé une population supérieure à 7 Millions d'habitants sur 1000 km2, avec un fort relief de surcroît. La ville de Hong Kong ne pouvant s'étendre par la périphérie pour d'évidentes raisons, a du adopter un modèle de croissance en hauteur, et dispose d'un réseau de transport en commun de tout premier ordre (et entièrement privé au moins jusqu'en 2000, faiblement subventionné depuis le retour de la Chine aux commandes), lequel assure 73% des déplacements urbains (source), un record mondial absolu, même si ce pourcentage était de 80% en 1980. Avec une densité moyenne sur l'ensemble de son territoire supérieure à 7 000 hab/km2, et bien plus dans l'hypercentre, Hong Kong ne pourrait absolument pas se passer de son métro et de ses lignes de bus. Il n'est donc pas ici question de dire que la mobilité de la presqu'île pourrait reposer uniquement sur la route, mais de savoir si le modèle de développement fondé sur des hautes densités et la prééminence du transport collectif est susceptible d'être un facteur améliorant la qualité de vie.
Malgré son réseau de TC remarquable, comme le rappelle Wendell Cox dans cette interview, le Temps de déplacement moyen journalier est de 100 minutes, bien plus que dans des agglomérations de taille comparable mais plus étalées (40 minutes à Houston 6M hab, 83 à Paris, #10M...). Hong Kong n'avait pas le choix de son mode de développement urbain, mais force est de constater que la contrainte géopolitique imposée par l'histoire n'a pas été favorable à l'allocation de plus de temps libre utile pour ses citoyens via une réduction du besoin en temps de transport, bien au contraire.
Ce qui conduit à affirmer que lorsque l'on a le choix, une autre forme de développement urbain doit être trouvée.
L'extension des capacités routières, seul moyen d'accompagner la croissance démographique urbaine
Laisser se développer au delà du raisonnable la congestion automobile aurait également un coût social insupportable, pour les mêmes raisons. Il est donc légitime de la combattre. Comment ?
Si l'approche par le report modal de l'automobile vers les TC se révèle contre productive sauf dans le cas très particulier des hyper-centres urbains très denses tels que New York, Paris, Londres ou Hong Kong, il ne reste comme option valide dans l'immense majorité des villes que d'augmenter les capacités des infrastructures routières, soit en augmentant le nombre de voies, en dénivelant les carrefours les plus fréquentés quand cela est possible, en améliorant les outils de gestion des trafics urbains (feux, etc...).
Bien que n'étant pas gratuits non plus, le retour sur investissement de l'amélioration des capacités routières est sans commune mesure avec celui des transports en commun sur rail en site propre. Et le financement par concession de ces investissements (comme pour le tunnel de l'A86 à l'Ouest de Paris), lorsqu'il est techniquement possible, permet de faire supporter la charge à l'usager et non au contribuable.
Mais surtout, laisser la ville se développer par la périphérie, et donc réduire les densités moyennes, tout en laissant les zones d'emploi s'imbriquer avec les zones d'habitation, permettrait des gains très importants. Tant les études du fournisseur de systèmes d'info-trafic Inrix que celles du Texas Transportation Institute suggèrent une corrélation positive entre densité moyenne de l'aire urbaine et temps perdus dans des épisodes de congestion routière aux USA (source).
Cela se comprend aisément. Le développement de la ville par la périphérie selon des mécanismes de marché n'est pas, contrairement à ce que les avocats de la planification à outrance affirment, "anarchique" ou "incohérent". Au contraire, les décisions des agents économiques sont prises en fonction d'un existant, et la recherche de la réduction des temps de parcours est une des informations prises en compte par les agents économiques lorsqu'ils vont décider d'implanter qui sa maison, qui son entreprise. Hayek a défini la notion "d'ordre spontané" pour qualifier les harmonies qui naissent d'un marché régi par la liberté sous contrainte de la responsabilité.
Comme le montrent Hartgen et Fields cités plus haut, des villes qui peuvent respirer à leur périphérie et dont les investissements routiers, notamment de banlieue à banlieue, permettent de maintenir la congestion dans des limites supportables, tendent à augmenter la prospérité et la productivité urbaine. Mais de plus, elles peuvent, en diminuant les temps de parcours et en augmentant la mobilité globale de la population, considérablement augmenter la qualité de vie.
Oui, mais le CO2 ?
A ce stade, si vous tentez d'évoquer ce qui précède dans une conversation de salon, on vous rétorquera que la  ville "étalée" et "auto-mobile" telle que je la défends serait une catastrophe au plan écologique, et notamment climatique, car elle rejetterait plus de ce satané CO2.
Même en admettant que le climato-sceptique que je suis se trompe et le CO2 soit bel et bien la bête noire de notre climat des années futures, un développement urbain basé sur de fortes densités serait générateur de plus de rejets de ce gaz que celui fondé sur l'étalement urbain. C'est la conclusion d'une étude menée par une association écologiste australienne sur toutes les grandes agglomérations de l'ile continent, étude citée ici par le président d'une association pro-développement des banlieues libres, Tony Recsei.
Il en ressort que le principal fournisseur de CO2 à l'atmosphère, tant en phase de fabrication qu'en phase de consommation, est le logement, et non le transport, et que les zones d'habitat individuel sont moins émettrices de CO2 que celles constituées d'immeubles. Il en résulte que les zones les plus denses sont celles qui émettent le plus de CO2, tant en phase de construction qu'en fonctionnement quotidien.
Point n'est besoin d'aller en Australie pour constater que la consommation d'énergie de l'habitat individuel est moins élevée qu'en collectif. Le peu suspect de sympathies libérales Joseph Comby, ancien président de l'ADEF, et ex-rédacteur en chef de la revue "études foncières", favorable à la maîtrise planifiée de l'étalement urbain par ailleurs, lors d'un discours prononcé à Bordeaux sur le thème de l'étalement urbain (PDF), a affirmé, je cite, que:
Ne pas se tromper de cible, c’est ne pas se battre contre la maison individuelle. Car c’est une erreur, c’est prendre l’opinion publique à rebrousse poil et c’est tout à fait inutile, la question n’est pas là. Tout le monde veut avoir une maison individuelle. On voit bien quand on regarde les autres pays européens, que dans les pays où l’on trouve beaucoup d’habitat individuel, ils n’ont pas pour autant un usage anarchique de l’espace agricole et naturel, ils les défendent même fort bien, comme la Suisse, les Pays-Bas et l’Allemagne.
Il y a aussi de mauvais arguments pour lutter contre l’étalement urbain
. Il est très étonnant de voire de quelle façon les études sont montées pour essayer de montrer l’indémontrable. On n’a pas envie pour des raisons subjectives qu’un territoire soit gâché par une urbanisation anarchique, donc on cherche à rationaliser ce rejet au nom de différents arguments, notamment au nom de la croissance des dépenses communales. On entend dire cela très fréquemment.
Finalement, ce n’est pas vrai du tout. On a fait le calcul à l’Adef : on a pris toutes les communes situées entre 15 et 30 km du centre de Paris et par simple traitement de fichiers informatisés des impôts, on a regardé les budgets communaux d’une part, et d’autre part les résultats du dernier recensement. On a classé chaque point en fonction du taux de logements individuels dans le parc. Cela nous donne un nuage de points, qui traduit, par la droite de régression, que plus il y a d’individuel, moins l’urbanisation est chère.
Il est vrai que l’individuel coûte moins cher à construire que le collectif. Il y a toutes sortes de résultats qui sont contre-intuitifs. On est persuadé que dans une maison individuelle on consomme plus d’énergie que dans un immeuble collectif. Quand on regarde les factures on observe le résultat inverse. Pourquoi ? Et bien dans un logement individuel, quand les gens s’en vont, ils éteignent le chauffage, alors que dans un immeuble collectif ils le laissent ouvert. Les factures énergétiques sont plus élevées dans l’habitat collectif que dans l’habitat individuel.
La lutte contre les rejets de CO2 n'est donc en rien favorisée par un développement urbain fondé sur l'accroissement des densités, ce qui condamne un des derniers arguments en faveur des politiques de "Développement orienté par le transport collectif".

Conclusion

Revenons au titre de cet article. Dans quelle ville voulons nous vivre demain ? Celle qu'auront conçue pour nous des planificateurs professionnels biaisés par la prééminence de certaines idéologies fondées sur la culpabilisation permanente de l'humain, et par les comportements induits par la sociologie administrative qui les force à trouver en permanence des arguments permettant la justification de leur emploi ? Celle qu'auront voulue des "experts" qui se sont toujours trompés dans leurs projections d'avenir, à qui nous devons tant de "villes nouvelles" tellement rieuses, qui nous parlent désormais d'éco-polis, et qui nous rappellent à chaque instant combien ils en savent plus que nous sur ce qui nous rendra "collectivement heureux" ?
Ou bien voulons nous une ville donnant aux individus le choix entre des environnements urbains variés, permettant au plus grand nombre de ceux qui en rêvent de vivre en maison individuelle, tout en donnant à la minorité plus urbanophile la possibilité de choisir d'autres formes d'habitat plus collectives ? Une ville où les habitants pourront choisir entre un large panel de modes de vie et tisser des liens fructueux grâce à une mobilité aisée et choisie ? Une ville où se loger selon ses désirs restera financièrement accessible ?
Mais, faute de prise de conscience suffisante du grand public des désastres que la bureaucratie planificatrice leur a fait subir, comme la bulle immobilière récente créée par la raréfaction foncière réglementaire, faute d'intérêt des ménages pour un urbanisme purement technocratique devenu abscons, il est à craindre que les grands prêtres de la "lutte contre l'étalement urbain" vont remporter une victoire législative sans précédent grâce aux lois Grenelle 2. Une victoire au détriment de la qualité de vie et du pouvoir d'achat de l'ensemble des populations modestes et des classes moyennes, principalement.
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* Au point que Sam Staley rapporte dans son ouvrage "mobility first" qu'est né sur Internet l'acronyme GU pour "Geographically Undesirable" sur les sites de rencontres par Internet, traduisant que nombre de couples ressentant un potentiel d'attraction n'entrent pas en relation à cause du temps de parcours trop élevé qui les sépare.
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