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obscurité (12)

Publié le 15 mars 2010 par Feuilly

Ensuite, cela n’a pas traîné, comme on le pense bien. La mère a d’abord aidé Pauline à passer par la fenêtre, c’est-à-dire qu’elle l’a plus ou moins portée au-dessus du fauteuil puis l’a littéralement jetée dans les bras de son frère. Après, elle a lancé les clefs de la voiture à son fils en lui demandant d’allumer les phares, afin d’éclairer l’intérieur du salon. Là, il y a eu un instant de frayeur car le pauvre n’avait jamais utilisé une clef de contact. Alors, au lieu de ne donner qu’un tour, il en a donné deux et la petite Peugeot a fait un ou deux bons en avant, tandis que le moteur se mettait à tousser et à hoqueter. Heureusement il a eu le réflexe de tourner la clef dans l’autre sens et le véhicule s’est aussitôt immobilisé. Quelques mètres de plus et il se trouvait au-dessus de la pente qui longe le côté de la maison ! Mieux vaut ne pas penser à ce qui aurait pu se produire alors… Bref, une fois le frein à main bien serré et les phares allumés, les enfants ont passé à leur mère, restée à l’intérieur, tout ce qui était nécessaire pour la nuit. Elle a installé les sacs de couchage sur les fauteuils, puis elle est venue les rejoindre. Le repas fut particulièrement frugal. D’abord ils tombaient de sommeil, après toutes ces émotions, mais en plus les provisions commençaient vraiment à se faire rares. Assis dans l’herbe, ils grignotèrent du bout des dents un morceau de baguette avec une tranche de saucisson puis finirent avec un biscuit sec. Hagards, ils restèrent encore là quelques minutes, les yeux dans le vague, chacun rêvant visiblement de son côté à cette expérience unique qu’ils étaient en train de vivre. Mais bon, puisqu’ils avaient la chance d’avoir un toit, pour une fois, ils n’allaient quand même pas passer la nuit dehors, à se battre contre les moustiques qui commençaient à devenir bien envahissants. Alors on éteignit les phares, on ferma la voiture à clef, puis on regagna le salon par le chemin habituel, autrement dit par la fenêtre. Quand les enfants furent bien enfoncés dans leurs sacs de couchage, la mère ferma les volets et se coucha à son tour. Bientôt, dans le noir absolu de la pièce, elle n’entendit plus que la respiration régulière de ses deux petits qui dormaient déjà. Elle resta encore éveillée un moment, pensant à tout ce qui lui arrivait. C’était quand même assez extraordinaire, il faut l’avouer. Mais elle était fière d’elle. Comme une lionne qui a su protéger ses petits, elle sentait qu’une grande force l’habitait. Il allait falloir maintenant s’arranger pour que tout cela continue. Mais elle n’eut pas le temps de faire de grands projets car elle sombra elle aussi dans un sommeil profond et réparateur. Dehors, les chouettes continuaient à se répondre de loin en loin, mais dans la maison, il n’y avait plus personne pour les entendre.

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Ils ne se réveillèrent pas avant dix heures, mais rattrapèrent vite le temps perdu. Après avoir avalé les derniers biscuits, ils ouvrirent tous les volets et firent le tour de l’habitation. Elle était spacieuse et agréable. Par les fenêtres, le soleil de juillet déversait des flots de lumière, laquelle, en se réfléchissant sur les vieux planchers cirés, faisait presque mal aux yeux. Chacun choisit une chambre et on se mit à faire les lits, avec des draps trouvés dans les armoires. « Tu ne crois qu’on va pas se faire repérer ? » demanda Pauline quand tout fut terminé. Mais la mère avait son plan. Tenter de rester incognitos semblait impossible. Le moindre fermier qui allait venir donner à boire à ses vaches allait vite remarquer des signes de vie, ne serait-ce qu’à cause de la voiture. Il fallait donc mieux adopter la tactique inverse et se montrer au grand jour. Les gens du coin penseraient que la propriétaire était revenue ou bien que la maison avait été louée pour la durée des vacances. Tiens, c’était une bonne idée, cela, les vacances. Ils n’auraient qu’à répondre cela si par malheur quelqu’un d’un peu trop curieux les interrogeait. Ils venaient de Paris et s’étaient installés chez une cousine de leur mère. Voilà, ce n’était pas plus compliqué que cela.

Au rez-de-chaussée, après avoir ouvert quelques vannes, ils constatèrent avec satisfaction que l’eau courante n’avait pas été coupée. Ils étaient sauvés ! Et il y avait mieux encore : la maison était équipée d’un gros réservoir de gaz, dont ils avaient remarqué la présence la veille, près de l’entrée du souterrain. Ils purent donc actionner le chauffe-eau de la salle de bain, dont la mise en marche fut saluée par des salves d’applaudissements. Alors, à tour de rôle, chacun pris un bain bien mérité. C’était un véritable plaisir de sentir l’eau brûlante couler de la poire de douche sur sa peau ou bien de s’immerger dans la baignoire en se laissant couler comme au fond de l’océan. Evidemment, tout cela prit un certain temps, comme on le pense bien. Il était plus de quatorze heures quand ils se retrouvèrent dehors, tout propres et rayonnants de bonheur.

Il fallait maintenant faire les courses. Ils prirent donc la direction de La Courtine où ils achetèrent tout ce dont ils avaient besoin. Le gros problème, c’était l’absence d’électricité, ce qui voulait dire qu’il faudrait se passer de congélateur. Ils négligèrent donc la viande au profit des œufs, qui se conservent mieux et achetèrent des saucissons secs et du jambon fumé en compensation. Pour le reste, le coffre était rempli de légumes frais, de bouteilles de lait et de kilos de farine quand ils remontèrent la petite route en lacets. Si on ne voulait pas trop attirer l’attention, mieux valait éviter de descendre tous les jours pour s’approvisionner en pain. Ces petits commerces sont bien sympathiques, mais ce sont des lieux où l’on parle beaucoup et mieux valait quand même éviter les questions indiscrètes. La mère avait donc décidé qu’elle ferait elle-même son pain et qu’elle utiliserait pour cela le four de la cuisinière à gaz. Une fois rentré, il fallut tout ranger, mais où ? L’enfant eut bientôt une solution, pleine de bon sens par ailleurs. Ils n’avaient quand même pas explorer la maison pour rien et s’ils avaient eu peur dans l’obscurité du souterrain, au moins savaient-ils maintenant que celui-ci était humide et frais. Toujours à la même température, il pouvait se transformer en garde-manger idéal.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Tout le monde redescendit par les caves et empila dans les niches à fromage les salades, les courgettes et autres tomates qu’ils venaient d’acheter. Il va sans dire qu’ils avaient fait aussi une bonne provision de piles pour la torche, ainsi que des bougies pour la soirée et la nuit. Le commerçant avait bien eu l’air un peu étonné qu’on lui achetât ainsi d’un coup trente grosses bougies, alors qu’on n’était même pas dans la période de Noël, mais il n’avait pas posé de questions et s’était contenté d’encaisser sans broncher les billets qu’on lui tendait.

Finalement, quand tout fut rangé et qu’on eut remis de l’ordre dans la maison, il était déjà dix-huit heures. On se promena un peu dans les environs, histoire de repérer les lieux. Fort heureusement, il n’y avait pas de voisins immédiats, juste quelques fermes dispersées, mais distantes de plusieurs kilomètres. C’était déjà cela. Evidemment, les champs de ces fermes venaient mourir contre l’habitation, et c’est de là probablement que viendrait le danger un jour, beaucoup plus que de la route, puisque le bâtiment était en retrait. Quand on rentra, les deux femmes commencèrent à préparer le dîner (laitue, omelette aux poivrons et aux petits oignons, pommes de terre nature) mais l’enfant, lui, s’éclipsa. Cela ne lui ressemblait pas car il aimait bien rester auprès de sa mère et l’aider à cuisiner.

Ce n’est que quand on passa à table qu’elles comprirent à quoi il avait consacré son temps. Il était retourné à l’entrée du souterrain et dans le fouillis de vieux outils qui traînaient à l’entrée, il était parvenu à trouver une scie pas trop rouillée. Ensuite, il s’était mis en devoir de scier les branches du pommier qui était tombé sur la terrasse. Une fois l’espace dégagé, avec du papier et des brindilles, il avait allumé un feu dans la prairie, ce qui fait que lorsque sa mère et Pauline sortirent en apportant les plats et les assiettes, croyant manger dans l’herbe, elles n’en crurent pas leurs yeux. Une table en bois et trois chaises les attendaient sur la terrasse, tandis qu’à quelques mètres, dans l’herbe, brûlait un bon feu qui pétillait en crachotant et en ronronnant. Ma foi, il allait commencer à faire froid et le soleil déclinait déjà à l’horizon... Ce feu allait être le bienvenu. De plus, il ne faudrait même pas utiliser les bougies pour s’éclairer.

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