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Kitano et moi

Par Tred @limpossibleblog

Le cinéma asiatique n’a pas été une évidence pour moi. Je mentirais si je disais que le premier film asiatique que j’ai vu m’a fait tomber amoureux de la cinématographie du continent. Je mentirais aussi si j’affirmais me rappeler parfaitement quel fut le premier film asiatique à m’être passé sous les yeux. Les premiers coréens oui, car l’arrivée du cinéma coréen dans les salles françaises est plus tardive (à quelques exceptions près)… mais les autres…
Par contre s’il y a bien une chose dont je me souviens de mes débuts cinéphiles, c’est de la présence de Takeshi Kitano dans les environs. La chronologie est plus floue dans mon esprit, car à cette époque le cinéma asiatique était une dense forêt que j’avais bien du mal à appréhender. Mais au milieu de ces années 90 d’où j’ai émergé en tant que cinéphile, Kitano était un grand nom du cinéma mondial, en pleine expression de son talent.
Kitano et moiLa première image du cinéma du réalisateur japonais qui me revient en mémoire, c’est une séquence de Sonatine, le premier Kitano que j’ai vu, quand j’étais adolescent. Un jeu de roulette russe sur une plage venteuse. Kitano et sa bille de triste clown à ce jeu de vie et de mort, l’air tragicomique, comme souvent. Je n’étais alors pas un spectateur passionné. Je ne me suis pas pris instantanément de passion pour Kitano. D’ailleurs je ne me suis certainement jamais pris de passion pour Kitano, sinon j’aurais vu tous ses films, ce qui n’est pas le cas. Je n’étais par exemple pas allé voir Kids Return, son film qui a suivi Sonatine, sûrement trop occupé à aller voir un blockbuster décérébré hollywoodien. Il faut me pardonner j’avais 15 ans lorsqu’il est sorti en France, et à cet âge-là, je voyais beaucoup trop d’inutiles films hollywoodiens, même si j’avais déjà entamé un virage dans mes goûts ciné.
Ma rencontre suivante avec Kitano s’est donc faite sur Hana Bi, auréolé d’un prestigieux Lion d’Or à Venise en 1997. Mai le garçon de 16 ans que j’étais avait plus été impressionné par la mise en scène virevoltante de Volte/Face de John Woo, vu quelques jours plus tôt, que par le scénario alambiqué du film de Kitano. Je me souviens clairement m’être demandé ce qu’on pouvait bien trouver d’extraordinaire là-dedans.
En fait j’ai attendu les dernières heures de la décennie pour retrouver des images indélébiles dans le cinéma de Kitano. Une première fois à la Fête du Cinéma de juin 1999. Un week-end à l’UGC Ciné Cité des Halles (déjà) pendant la Fête du Cinéma, une expédition folle que je n’oserais plus tenter aujourd’hui, mais qui me plaisait bien à 17 ans, et que nous avions tentée avec mon pote Ilyess. Et aux Halles, un jour de Fête du Cinéma, on ne choisit pas vraiment ce qu’on va voir. On dégote une place là où il y en a. Et nous avons eu droit à A scene at the sea, un Kitano datant de 1991 mais qui trouvait seulement le chemin des salles obscures françaises.
Un film quasi muet, sur une plage japonaise, entre deux vagues. Un moment Kitano et moide poésie suspendu, une surprise comme je m’en payais rarement à l’époque. Tout à coup, Kitano reprenait sens à mes yeux. Tout à coup, un second film sortait en 1999, réalisé par ses soins. A l’automne, quelques mois après sa présentation au Festival de Cannes, L’été de Kikujiro débarquait et il me sembla évident que je devais le voir. Tout à coup, je voyais enfin en Kitano un grand cinéaste. J’exagère un peu, car je crois me souvenir que la plus forte impression que m’ait faite Kikujiro fut quelques années plus tard, lors de sa diffusion à la télévision. Rétrospectivement je donnerais les yeux fermés la Palme au film de Kitano cette année-là (Rosetta ?).
Voilà plus de dix ans que Kitano a réalisé L’été de Kikujiro. Les années 2000 suivirent, et avec elles je ne retrouvai jamais le Kitano des années 90. Le cinéaste japonais se perdit à mes yeux dans un cinéma trop vaporeux (Dolls), attendu (Zatoichi) ou fermé (Takeshi’s).
Cette année, c’est une nouvelle décennie qui commence, pour Kitano comme pour tout le monde. Et en 2010, Kitano est plus incontournable que jamais dans le paysage culturel français. Une exposition à la Fondation Cartier courant jusqu’en septembre. Une rétrospective intégrale au Centre Pompidou, jusqu’en juin. Et un nouveau film, datant de 2008, mais qui nous parvient seulement maintenant. Achille et la Tortue. Un film auquel je me suis rendu avec tout le scepticisme d’un spectateur déçu depuis une dix ans par le cinéma de Kitano. Mais finalement un film dont je suis sorti avec la joie et la conviction de découvrir le meilleur film de Kitano depuis L’été de Kikujiro.
Kitano et moiKitano parle d’art à travers Achille et la tortue. Bien sûr il l’a déjà fait récemment, mais jusqu’ici le cinéaste parlait de la difficulté de la création avec un esprit trop brouillon, trop labyrinthique, trop ethnocentrique. Kitano a enfin levé le nez de son nombril et signé une œuvre riche, puissante, délicate, qui regarde au-delà des affres de la création. Son film est un portrait humain, l’histoire d’une vie centrée sur l’art mais qui ne se résume pas à l’art. A travers cet homme qui passe sa vie d’enfant, d’adulte et de quasi vieil homme à tenter de vivre de sa passion, à tenter de trouver son expression artistique, sa voix unique et reconnaissable entre toutes, Kitano dresse un portrait amer de la société japonaise.
Vivre sa vie à travers sa passion, oubliant de regarder ce qui se passe autour autrement qu’en tant que matériel à la création. Courir après la reconnaissance durant toute son existence. Fuir la réalité qui nous entoure, une réalité faite de découragement, de renoncement, de mort, pour ne pas sombrer soi-même. Choisir de ne pas s’arrêter à ce goût d’amertume qui parcourt la vie, pour sans cesse rebondir et trouver ce parfum de bonheur et de réussite auquel on aspire tous.
Kitano a mis beaucoup de lui-même dans ce film, à n’en pas douter. Lui, cet amuseur public, artisteKitano et moi aux yeux de certains, clown pour d’autres, visage protéiforme du Japon moderne qui a tout connu, reconnaissance artistique et publique, et en profite pour observer la vie fictive d’un homme qui, lui, est voué à courir toute sa vie pour espérer un jour attraper cette reconnaissance. On pourra reprocher à Kitano de s’essouffler un peu en cours de route, gérant mal un segment du film où le burlesque prend trop longtemps le pas sur le ton mélancolique de l’ensemble… Mais c’est une faible reproche tant l’œuvre dans son ensemble parvient à nous emporter dans cette vie d’artiste inconnu.
La lumière du nom Kitano commençait à décliner dans mon panthéon ciné, depuis trop longtemps. Et pourtant il suffit d’un film pour rallumer la flamme, un Achille et la tortue, pour booster l’envie de dévorer les films qui me manquent au cours de la rétrospective qui commence ces jours-ci à Beaubourg. Rattraper ces films qui jusqu’ici m’ont échappé. Kitano et moi, ce n’est pas fini. Le maître a encore quelques films à me montrer.


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