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Au ciel des Lumières, l'Esprit : un paysage de Simon Mathurin Lantara

Publié le 18 mars 2010 par Jeanchristophepucek


lantara esprit dieu planant sur les eaux Simon Mathurin LANTARA (Oncy, 1729-Paris, 1778),
L’Esprit de Dieu planant sur les eaux, 1752.
Huile sur toile, 46,4 x 52,5 cm, Grenoble, Musée des Beaux-Arts.
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Surtout résister à la tentation de voir dans ce petit tableau l’expression d’un artiste consciemment romantique, à moins d’admettre, bien entendu, que ce courant est bien plus ancien que ce que nous apprennent les livres d’histoire. Que pouvaient bien avoir à l’esprit un Salvator Rosa (1615-1673), un Jacob van Ruisdael (c.1628/29-1682) ou un Simon Mathurin Lantara quand ils peignaient le premier une scène de nécromancie, le deuxième un sombre cimetière juif, le dernier la marine que je vous présente aujourd’hui ? Appliquer à ces œuvres des schémas postérieurs à leur création serait évidemment tomber dans le piège de l’anachronisme. Tentons de comprendre sans distordre la réalité.

felix bracquemond lantara
Les légendes entourant la vie de Lantara (portrait gravé ci-contre) ont trouvé, au XIXe siècle, des échos enflammés dans l’esprit de la génération romantique naissante, au point que c’est une image largement déformée de lui qui est parvenue jusqu’à nous. Même les pages que lui consacre Émile de la Chavignerie (Recherches historiques, biographiques et littéraires sur le peintre Lantara…, Paris, J.B. Dumoulin, 1852), si elles incluent la transcription de précieux documents d’archives, ne sont pas exemptes de cette propension à la reconstruction poétique et orientée d’un destin dont, finalement, la majeure partie reste obscure. Ce qui est certain, preuves à l’appui, c’est que Simon Mathurin Lantara est né à Oncy, non loin de Milly (aujourd’hui Milly-la-Forêt dans l’actuel département de l’Essonne), au matin du 24 mars 1729. Le fait qu’il ait été « ondoyé dans le cas de nécessité » à la naissance indique qu’on ne lui donnait guère de chances de survie. Un mauvais départ, auquel s’ajoute une autre difficulté : Lantara est un enfant illégitime, ce qui, pour être relativement fréquent à l’époque, n’en était pas moins inconfortable. Il faudra toute l’obstination de sa mère, Françoise Malvilain, pour qu’après une procédure juridique, l’enfant soit légitimé par le mariage de ses parents, le 25 février 1732. L’extraction sociale de Lantara est modeste, son père est tisserand, sa mère fille de laboureurs, et c’est tout naturellement qu’il entre au service de Pierre Gillet, propriétaire du château de la Renommière, en qualité de vacher. C’est alors que ses talents sont remarqués par le fils de ce hobereau, François-Pierre-Nicolas Gillet de Laumont (1747-1834). S’il faut en croire la Chavignerie, le fils, amateur d’art, décide de placer le jeune paysan à Versailles chez un peintre dont, bien entendu, l’identité reste un mystère. La carrière de Lantara se déroulera ensuite entièrement à Paris dès le début de la décennie 1750, sans qu’il soit possible d’en savoir autre chose que ses nombreux changements de résidence documentés au travers d’actes notariés, lesquels nous apprennent également que la situation financière du peintre a toujours été assez précaire. C’est d’ailleurs à l’hôpital de la Charité qu’il meurt, au soir du 22 décembre 1778.

lantara paysage au clair de lune
Ce qui est conservé de la production de Lantara est aussi épars et incertain que les éléments de sa maigre biographie. Un petit ensemble de toiles et de dessins, dont une large partie pose de réels problèmes d’authenticité du fait de l’absence quasi systématique de signature, forme un beau casse-tête qu’à ma connaissance aucun chercheur ne s’est actuellement empressé de résoudre. Néanmoins, à l’instar d’un Paysage nocturne conservé au Musée du Louvre (ci-dessus), L’Esprit de Dieu planant sur les eaux, lui daté et signé, permet de se faire une idée des artistes qui ont pu l’influencer. Si le premier tableau fait penser à la peinture hollandaise du XVIIe siècle, dans la lignée de laquelle se situe tout ce que l’on peut raisonnablement attribuer à Lantara, mais aussi à celle de Claude-Joseph Vernet (1714-1789) qu’il semble avoir connu puisque le seul portrait que nous avons de Lantara se base sur une esquisse de sa main, la science de la lumière, dans la seconde, dénote clairement, jusqu’à la citation, la connaissance d’œuvres de Claude Gellée (dit le Lorrain, c.1604/5-1682, cliquez ici). La composition du tableau est a priori d’une désarmante simplicité, jouant avant tout sur les effets atmosphériques et lumineux, avec, de chaque côté de la source de lumière, deux nuages servant de coulisses. Vu de loin, il s’agit donc ici d’un paysage soigneusement mis en scène, un théâtre de nature, une marine d’une indiscutable virtuosité technique. Cependant, dès que l’on s’approche suffisamment de la toile, sa véritable dimension se révèle, puisque l’on peut apercevoir un triangle qui surmonte les flots marins sur lequel est inscrit le tétragramme sacré ; l’œuvre est donc une représentation des premiers versets de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vague et vide, les ténèbres couvraient l’abîme, l’esprit de Dieu planait sur les eaux. » Faut-il voir dans le caractère presque cryptique du tableau une volonté du commanditaire de signifier que le spectacle de la nature glorifie le nom de son Créateur ou que pour percevoir le caractère sacré de l’univers, il convient de l’observer autrement qu’en superficie et être attentif au moindre détail, deux lieux communs de la théologie ? Sans être abusivement affirmatif, ce sont des pistes de lecture tout à fait envisageables dans un siècle où le sentiment panthéiste ne cessait de gagner du terrain.

lantara petite eglise
Découvert à l’occasion de l’exposition La volupté du goût (Tours, 11 octobre 2008-12 janvier 2009, cliquez ici), qui documentait remarquablement la peinture française au temps de Madame de Pompadour, ce tableau d’apparence modeste en constituait, à mon sens, un des joyaux par la remarquable qualité de représentation d’un thème par ailleurs assez peu souvent traité. Lantara, pourtant contraint par le format restreint qui s’attachait encore, au XVIIIe siècle, au genre du paysage, réussit en effet à y créer une véritable sensation d’espace et d’élévation, mettant ses indiscutables dons de paysagiste au service d’une ample méditation sur le caractère transcendant de la beauté de la nature. La précision dans l’observation des phénomènes physiques mise au service d’un véritable souffle poétique qui ouvre sur une dimension spirituelle et sensible ferait presque passer pour authentique cette notation, d’esprit certes trop XIXe pour ne pas soulever quelque suspicion, qu’Alexandre Lenoir (1761-1839, créateur du Musée des monuments français) rapporte sur Lantara : « Souvent, on le voyait le soir, immobile sur le Pont-Neuf, à regarder, dans une sainte extase, le soleil dessinant les arches des autres ponts et se mouvant en rayons brisés sur l’eau du fleuve ; il pleurait d’admiration. »

Accompagnement musical :

Jean-Joseph CASSANÉA de MONDONVILLE (1711-1772), Dominus regnavit, grand motet en ré mineur (1734, joué deux à quatre fois par an au Concert Spirituel entre 1735 et 1758) :

1. Symphonie & chœur introductif
2. Testimonia tua (Sophie Danneman, dessus)

Les Arts Florissants.
William Christie, direction.

mondonville grands motets christie
Grands motets. 1 CD Erato 0630-17791-2. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

Illustrations complémentaires :

Félix BRACQUEMOND (Paris, 1833-Sèvres, 1914), Portrait de Lantara, d’après une esquisse Claude-Joseph Vernet, 1857. Gravure parue dans la revue L’Artiste du 1er septembre 1864.

Simon-Mathurin LANTARA :
Paysage au clair de lune
, sans date. Huile sur toile, 16x19 cm, Paris, Musée du Louvre. [cliquez sur l’image pour l’agrandir]
La petite église
, sans date. Pierre noire et craie sur papier vergé, 17,6 x 22,3 cm. Dijon, Musée Magnin. [cliquez sur l’image pour l’agrandir]


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