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Don Carlo n’a pas pris une ride à Bastille

Publié le 07 mars 2010 par Adurand

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On reproche souvent aux productions de plus de dix ans de rouiller, de se figer, et de lasser. Et quelques grandes œuvres du répertoire de l’Opéra de Paris mériteraient sans doute un dépoussiérage de leur mise en scène – à commencer par Tosca et la Bohème. Pourtant, le Don Carlo mis en scène par Graham Vick à la fin des années 90 se porte à merveille malgré ses douze ans d’âge et continue, dans son classicisme, à éclairer cette œuvre majeure du patrimoine verdien d’une lumière particulière.

Une production en forme de retour aux sources, puisque c’est à l’occasion de son entrée à l’Opéra de Paris que j’y ai moi-même fait mes premiers pas en 1999. De ce spectacle je garde le souvenir de l’éblouissant Philippe II de Ferruccio Furlanetto, de l’émouvant Carlo de Sergei Larin, star éphémère en France dont le souvenir semble s’être effacé, et de la relative déception de l’Elisabeth de Karita Mattila.

Il me restait peu de souvenir, en revanche, de la belle mise en scène de Graham Vick : la forme obsédante de la croix qui demeure au centre de la scène, tantôt en ombre tantôt en lumière, en relief ou en creux, en est le principal leitmotiv. Nul besoin de chercher très loin pour trouver dans le livret une légitimation de ce choix de focale ; on pourrait à la limite lui faire la critique opposée, en voyant dans ce motif une porte ouverte sans cesse enfoncée. Mais ce serait ignorer le jeu qui est fait avec cette forme qui n’est pas qu’un accessoire de décor, mais un prétexte renouvelé pour opposer les personnages – Posa, le sacrifié, qui brille une dernière fois dans la lumière christique tandis que Carlo sombre dans l’obscurité, la procession de Philippe transformé au sens très littéral en un chemin de croix… Autant d’arguments d’ordre dramatique auxquels il convient d’ajouter l’indiscutable beauté de ces tableaux non pas sursignifiants mais juste esthétiques.

 

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Pour cette reprise, les chanteurs en présence sont sans doute un cran en dessous de ceux qui créèrent cette production il y a onze ans, mais ils lui rendent pareillement justice. Le Philippe II de Giacomo Prestia a toute la prestance nécessaire pour incarner un roi. La voix est particulièrement élégante au centre de la tessiture, mais elle rencontre plus de difficulté dans le grave et dans l’aigu, masquant à chaque fois ses insuffisances par un vibrato excessif qui rejaillit sur l’impression d’ensemble.
S’il met quelques temps à entrer dans le personnage, passant un peu à côté de son duo du premier acte avec Carlo, Ludovic Tézier est une nouvelle fois un Posa de rêve, au timbre parfaitement clair, éclaboussant de classe le pauvre Stefano Secco qui n’avait pas besoin de ça pour paraître rabougri.

Il n’y a pourtant pas lieu d’accabler ce fidèle entre les fidèles de l’Opéra

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de Paris, qui s’attaque ici avec plus ou moins de bonheur à tous les grands rôles verdiens (Gabriele Adorno, le Duc de Mantoue, Macduff…) et au-delà (Rodolfo cette saison). Certes ce physique malingre et cette présence scénique limitée ne l’avantagent pas pour chanter les jeunes premiers, et l’on ne comprend guère en le voyant comment Elisabeth, la princesse Eboli et Posa lui-même succombent chacun à leur manière à son charme. Mais le chanteur est plus fringant que l’acteur, le brillant des aigus compensant le terne de la gestuelle. Et surtout, cette vision du personnage, courbé et accablé, vaincu sans combattre, n’est pas sans résonnance avec celui de Schiller, et s’intègre finalement fort bien à la vision d’ensemble de Graham Vick.

Côté féminin, on appréciera la pureté du timbre de Sondra Radvanovsky (Elisabeth), qu’on aimerait entendre bien vite dans d’autres rôles mieux faits pour elle. Quant à l’Eboli de Luciana D’Intino, on saluera son aisance dans le grave tout en regrettant l'étrange hétérogénéité de cette voix qui ne ménage aucune continuité entre les deux extrêmes de sa tessiture, pourtant également brillants.

Seule véritable faiblesse de cette agréable soirée, la direction brouillonne et imprécise d’un Carlo Rizzi qui couvre régulièrement les chanteurs avec des cuivres trop bruyants. Et que dire de ce « jour plein d’allégresse », où les désynchronisations successives donnent une impression d’indescriptible cacophonie ? Qu’à leur manière, et à eux seuls, ils entachent l’impression générale qui aurait dû rester de ce spectacle : celle d’une production toujours digne, capable encore de tenir la tête de l’affiche.

Don Carlo de Giuseppe Verdi, à l’Opéra Bastille, jusqu’au 14 mars 2010.


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