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Béatrice et Bénédict déçoivent l’Opéra comique

Publié le 28 février 2010 par Adurand

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Après l’éblouissante Fairy Queen de William Christie au même Opéra Comique, et avant la reprise de Falstaff de Verdi au Théâtre des Champs Elysées, le théâtre de Jean Deschamps offrait une nouvelle adaptation de Shakespeare à l’opéra, Béatrice et Bénédict de Berlioz. Une œuvre atypique, réputée injouable car mal construite. Et c’est au nom de cette difficulté que le metteur en scène Dan Jemett en propose une version pour le moins discutable, moins parce qu’elle sabre dans un texte parfois maladroit que parce qu’elle noie dans le kitsch une œuvre d’une extrême richesse.

On reproche souvent à cette réécriture de Beaucoup de bruit pour rien de l’illustre dramaturge anglais de s’être concentrée sur le volet le moins intéressant de la pièce : l’histoire d’amour des deux personnages éponymes qui se détestent mais que les fausses confidences de leurs amis respectifs vont pousser dans les bras l’un de l’autre. Je prétends pour ma part que ce marivaudage avant l’heure était chez Shakespeare d’une extrême subtilité et que ce n’est pas par hasard si le fin shakespearien qu’était Berlioz a choisi de focaliser son intrigue sur cette histoire rafraichissante. C’est souvent faute de saisir les multiples finesses d’un tel synopsis qu'on croit pouvoir réécrire cette oeuvre sans l'appauvrir, une entreprise moins simple qu'il n'y paraît.

Le metteur en scène Dan Jemett a d’ailleurs choisi de revenir aux racines shakespeariennes du livret, ce qu’on ne saurait lui reprocher. L’idée de remplacer les dialogues, prononcés dans un français pour le moins approximatif par des chanteurs non francophones, par une sorte de récitant qui reprend le texte de Shakespeare pourrait être bonne. Mais pourquoi avoir recours à ce clown absurde, qui surjoue, appuie, et déborde de vulgarité ? L’idée d’en faire une sorte de démiurge qui organise la pièce, joue des acteurs comme de marionnettes – la métaphore est d’ailleurs soulignée par la présence d’un théâtre de marionnettes sur la scène –, puis les fige pour stimuler l’imaginaire par la seule force des vers blancs du grand Will, pourrait être éminemment shakespearienne. Mais, dans un décor kitschissime, tout cela paraît profondément artificiel, et tellement chargé…

 

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Et ces gags à répétitions, déjà très limites la première fois, et qui se répètent indéfiniment, comme les sauts en quart de tour qu’effectuent systématiquement les acteurs avant de sortir de scène, mettent mal à l’aise, et jusqu’à la nausée, des spectateurs qui n’avaient pas besoin de ça pour saisir la valeur comique de l’œuvre.

La direction musicale d’Emmanuel Krivine paraît un peu routinière pour jouer du Berlioz, mais elle ne manque pas de souplesse, et semble plus inspirée pour saisir la diversité d’une œuvre moins opulente que les Troyens, mais non moins variée. Elle offre de surcroît une sobriété salutaire dans un spectacle dont la surcharge est le principal défaut.

Si leur français boiteux et leurs mimiques caricaturales mettent les chanteurs particulièrement en difficulté dans les dialogues qui ont survécu aux coupes, les passages chantés réservent en revanche quelques bonnes surprises. Et d’abord l’excellente Hero de la soprano irlandaise Ailish Tynan, dont la voix peut-être un peu fragile épouse à merveille le personnage un peu candide, mais ô combien émouvant de la future épousée. La Béatrice de Christine Rice a plus d’épaisseur, une voix plus généreuse, mais une sensibilité moins à fleur de peau qui l’empêche de rendre toute l’originalité de la psychologie du personnage. Il faut dire que le maquillage chroniquement excessif dont elle est affublée ne l’aide pas à faire dans la finesse.

On trouvera moins de satisfactions du côté masculin, avec le Bénédict transparent et bouffon d’Alan Clayton, dont je ne suis pas bien sûr qu’il ait trouvé chez Berlioz son compositeur de prédilection. Si les voix graves sont plus belles – et plus francophones –, Michel Trempont qui chante Somarone et Jérôme Varnier qui est Don Pedro sont noyés par les pitreries qu’on leur impose, et qui se font le plus souvent au détriment de la qualité du chant.

La joie de retrouver cet opéra de Berlioz beaucoup plus valable que sa triste réputation aura donc laissé la place à un sentiment plus mitigé. La volonté de réintroduire Shakespeare dans cette intrigue qu’il habite pourtant largement pourrait être louable, mais elle se réduit à une vision bien réductrice des comédies du grand dramaturge.

Béatrice et Bénédict d’Hector Berlioz à l’Opéra Comique, jusqu’au 6 mars 2010.


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