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Amor Fati et graffiti. Lady Alézia, l’art de d’écrire le monde

Publié le 23 mars 2010 par Blogcoolstuff
Amor Fati et graffiti. Lady Alézia, l’art de d’écrire le monde
Parmi les nombreux lieux communs circulant sur le compte du graffiti, celui de sa filiation supposée avec la calligraphie, pour être souvent répété, n’est que plus rarement démontré. Comme si de la calligraphie des moines copistes d’autrefois à la signature du taggeur d’aujourd’hui il n’y avait qu’un pas, celui d’une évidence ne souffrant nulle distinction de nature ni de statut. Soit.
Sauf qu’à nier de la sorte ce qui distingue a priori ces deux pratiques, on se condamne d’emblée à se montrer incapable d’organiser leur rencontre, de magnifier leur éventuelle union. C’est précisément ce travers de l’indistinction qu’évite Marina Nunez aka Lady Alézia et c’est bien entendu ce qui lui permet de marier réellement le monde de la calligraphie latine et celui du spray, d’enrichir l’une au contact de l’autre. En un mot comme en cent de faire de la calligraphie un art contemporain.
Amor Fati et graffiti. Lady Alézia, l’art de d’écrire le monde
Sur le fond, le travail d'Alézia se revendique volontiers d’une filiation avec le genre dit du « Memento mori ». Locution latine pouvant se traduire par « Souviens-toi que tu mourras», ce thème a traversé une bonne partie de l’histoire de l’art – des danses macabres du XVème siècle au cinéma japonais du XXème siècle en passant par les natures mortes du XVIIIème siècle - au point d’en être devenu l’un de ses genres.
D’une manière générale, les variations autour du Memento mori soulignent la vanité et la fugacité de toute réalisation terrestre et, plus précisément, de toute existence humaine.
Amor Fati et graffiti. Lady Alézia, l’art de d’écrire le monde
De fait, les compositions d'Alézia se présentent le plus souvent sous la forme de frises segmentées. Comme autant de prises de vue ne devant leur mouvement qu’à leur impression sur pellicule cinématographique, les éléments figuratifs (représentations végétales, animales et humaines) apparaissant, image par image, sur les frises de Marina forment un univers non pas seulement placé sous le joug de Chronos mais bien plutôt voué à lui rendre hommage.
Tout se passe ici comme si écrire le monde n’était jamais qu’une manière de décrire son incapacité à exister hors du temps. La calligraphie latine qui se superpose à cet univers graphique n’a en effet pas d’autre objet que de l’inscrire dans cette dynamique qui lui donne sens en même temps qu’elle le condamne à ne plus être. Fruit d’un geste qui prend son temps, la calligraphie a ici vocation calendaire, voire chronométrique. Elle impose plus qu’elle ne propose le décompte date par date, heure par heure, instant après instant de cet écoulement ontologique : « dix sept heures trente minutes et vingt secondes, dix sept heures trente minutes et cinq secondes… ». Elle ne dispose en conséquence, pour unique ponctuation, que de quelques virgules scandant le temps et de points de suspension qui, par leur forme ici particulièrement élaborée, participent tout autant de la calligraphie elle-même qu’à l’univers figuratif auquel cette dernière se superpose, s’impose…
Amor Fati et graffiti. Lady Alézia, l’art de d’écrire le monde
Alliant de la sorte esthétique du graffiti et pratique de la calligraphie, le travail d'Alézia permet ainsi de se débarrasser d’un second lieu commun généralement associé à la peinture à la bombe. Pour les raisons que nous venons de voir, son travail ne saurait en effet être considéré comme un simple cri de révolte contre la société dans laquelle il prend place. D’abord parce que ce n’est pas tant cette société de l’ici et du maintenant qui en est le sujet que la réalité humaine dans ce qu’elle a d’universel. Ensuite parce que, de ce point de vue précisément, la révolte n’est pas de mise. Devant le constat de la nécessaire temporalité de notre monde comme de notre existence - temporalité qui leur enjoint de disparaître dès lors qu’elle les fait être – aller à l’encontre de la dimension tragique de la vie n’est jamais qu’une manière détournée de s’en prendre à la vie elle-même.
On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que les compositions d'Alézia reflètent une certaine forme de sérénité. Il n’est pas d’autre chemin, pour qui aime la vie pour ce qu’elle est, que de l’accepter avec la dimension tragique qui est la sienne, c’est-à-dire marquée du sceau de la finitude qui lui est consubstantielle. Ce n’est pas là une posture de renoncement, c’est au contraire la seule position d’affirmation qui soit possible, la seule règle qui vaille pour qui veut jouir en toute conscience du peu de temps dont il dispose : « Amor Fati » et graffiti…
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