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T'as qu'à t'bouger !

Publié le 01 avril 2010 par Db Du Jardin

Le cancer ne m'a jamais fait mal. Les traitements, oui, ça, je les ai sentis passer. Mais la maladie elle-même, non.

Au début, j'étais fatiguée. Juste fatiguée. C'est rien, la fatigue, c'est un truc de feignasse, en fait. Ce sont les flemmards qui sont fatigués, ceux qui s'écoutent vivre, qui n'ont pas de vrais problèmes dans la vie.

Donc j'étais fatiguée, tout le temps. Je croyais que cette fatigue était insurmontable ; je ne savais pas ce qui m'attendait. Parce que maintenant, quand je repense à cette période qui a précédé le diagnostic, je me rends bien compte qu'en fait je grimpais aux rideaux. Et avant cette fatigue ? Je ne sais plus. C'est trop loin.

Le problème, c'est que dès le départ j'ai induit le Dr S. en erreur. Je suis allée le voir en septembre 2008 :

- J'en peux plus !

- Tout va bien dans votre vie ?

- Bof... Mon boulot me pèse. Je suis payée trois francs six sous et je suis sous-utilisée (et franchement les gens avec qui je bosse sont vraiment pas intéressants).

- Ah.

- Ouais et puis en plus ils ont voulu me virer après deux ans de période d'essai en CNE, et depuis je suis au placard.

- Bien. Vous avez déjà eu des épisodes dépressifs auparavant ?

- Bah oui, en fait. J'ai même été soignée en hôpital de jour il y a longtemps, j'avais pas trente ans, et puis j'ai vu un psy pendant trois ans.

- Voilà voilà. Moi je dis que vous souffrez d'un syndrôme dépressif conjoncturel. Je vais vous donner huit jours d'arrêt, et puis on va faire une radio des poumons et un bilan sanguin, quand même. Ça fait vingt-deux euros.

Rien sur la radio des poumons, et pas le début du quart d'une once de fer dans les veines. Typiquement féminin, ça. J'ai gobé des comprimés de fer tous les jours. Et j'étais toujours aussi fatiguée ; je l'étais même de plus en plus.

Décembre 2008 : j'arrive au boulot, j'ai mal partout, chaque matin est une torture, chaque réveil une épreuve que je ne veux plus supporter. Un collègue me dit je ne sais plus quoi. J'explose. Je lui saute à la gorge, je vocifère, je glapis, je jette dans son bureau tout ce qui traîne sur le mien et je pars en claquant la porte.

- Docteur, c'est plus possible, je pète les plombs.

- On va vérifier le fer, mais si vous prenez vos comprimés depuis trois mois normalement ça devrait aller. Vous avez juste besoin de repos. Quinze jours d'arrêt.

Cet épisode violent au travail a au moins eu un effet bénéfique que je n'attendais pas. Mon chef a soudain réalisé que je prenais mon boulot à cœur et que la frustration liée au fait que je ne pouvais pas m'engager davantage me devenait franchement insupportable. Et il est devenu sympathique, et même très agréable. En moins d'un mois, j'ai officieusement pris la place du sous-chef. Hélas, je n'ai pas pris son salaire.

Et la fatigue, elle, continuait de croître. Mon fiston voulait que je l'emmène à son club équestre le matin avant de partir travailler : une demi-heure de trajet en plus, une demi-heure de sommeil en moins, c'était trop me demander. Impossible. Je suis devenue une mauvaise mère. Lorsque le soir je m'installais sur le canapé devant la télévision, je m'endormais au bout de quelques minutes, sans rien pouvoir faire contre le sommeil. Je faisais la gueule tout le temps. Le week-end, il était impossible de me sortir de mon lit. L'homme de ma vie était ulcéré.

- T'as vu comment tu nous traites ? On vit avec un zombie !

- J'suis trop fatiguée !

- T'as qu'à te coucher plus tôt !

- Tu sais pas à quelle heure je me couche. Et puis en plus tu ronfles tellement que c'est pas possible de se reposer avec un boucan pareil.

- Alors ça je m'y attendais, tu vois : c'est de ma faute.

- J'ai pas dit ça ; mais si je dis que je suis fatiguée c'est que vraiment c'est vrai.

- Le docteur t'a dit de prendre du fer.

- Ça me fait autant d'effet que des Smarties.

- C'est parce que tu te couches trop tard.

La fatigue, c'est un truc de filles. La déprime, tout ça, avec les règles abondantes, c'est rien que du grand classique. Rien de bien sérieux, juste un film que les gonzesses nous jouent à l'infini depuis la nuit des temps. La fatigue, c'est un mythe féminin. Si t'es pas travailleur manuel, ou même si t'es pas un mec, la fatigue, ça n'existe pas. C'est comme la migraine : un prétexte pour ne rien foutre.

Quand je suis arrivée aux urgences de Montauban en juin 2009, pissant le sang, le médecin a lourdement insisté après m'avoir examinée :

- Dites-moi, Madame, vous ne vous êtes pas sentie fatiguée ces derniers temps ?

- Si vous saviez !

- Fatiguée comment ? Très ?

- Épuisée.

- Je vois.

Le cancer, ça commence comme ça. C'est même souvent le seul symptôme. Après, c'est que le crabe est vraiment devenu méchant. Mais au début, quand il te ronge en silence, tranquillement, invisible mais appliqué, tu ne sens rien. Beaucoup de gens perdent l'appétit et mangent moins, ils perdent du poids. Mais moi j'ai toujours eu un appétit d'oiseau, je n'aime pas manger, ça me saoûle, c'est une perte de temps. Alors je n'ai pas maigri.

Et pendant des mois, je n'ai été qu'une feignasse qui ne voulait pas se bouger.

Sur le site de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (http://www.fnclcc.fr/), j'ai trouvé cet article sur la fatigue : http://www.fnclcc.fr/fr/patients/dico/definition.php?id_definition=579. C'est un vrai symptôme. Mais cela ne change rien : quand tu es fatiguée, tu nous fais des coquetteries ; en revanche, si tu es asthénique, là, peut-être bien que tu es malade pour de vrai.

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La photo du jour n'est franchement pas terrible ; c'est tout ce que j'ai trouvé. Elle vient du site guerir.org (http://www.guerir.org/), et illustre un article qui traite lui aussi du sujet de la fatigue liée au cancer, intitulé "L'anémie et ses symptômes sont souvent associés au cancer" (http://www.guerir.org/magazine/lanemie-et-ses-symptomes-sont-souvent-associes-au-cancer).


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