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Haïti: Fallait-il faire autant d'amputations ? Cette ques...

Publié le 15 avril 2010 par 509
Haïti: Fallait-il faire autant d'amputations ?
Cette question est et a été développée en plusieurs occasions dans les médias. La plupart des ONG présentes s'en défendent farouchement : si elles n'avaient pas amputé à tour de bras, les patients auraient perdu la vie. Certaines ONG vont jusqu'à accuser les organismes rivaux dans le but évident de chercher querelle. C'est donc un sujet épineux qui mérite d'être traité et j'en fais aujourd'hui mon cheval de bataille. Tout d'abord, je vais donner mon opinion sur l'organisme qui a fait le plus d'amputations, ensuite je parlerai des indications qui les induisent, les autorisent et quel est le protocole à suivre. Plus loin, on essayera de comprendre la mentalité des étrangers qui viennent nous aider ; une mentalité souffrant de ce que j'appellerai « le syndrome des a priori ».
Qui a le plus amputé ?
Vous vous attendez à une réponse précise... Hé bien, vous n'en aurez pas! En fait, suivant ma petite enquête : tout le monde amputait, étrangers comme haïtiens, car tous étaient sous le coup de l'émotion et croyaient bien faire. Cependant, je dois avouer que les équipes étrangères qui sont venues les premières n'avaient dans leurs bagages que le matériel pour amputer, leur priorité étant de sauver des vies pas des membres humains. Le but de cet article est de provoquer un peu de remous dans la gente médicale nationale et surtout internationale, à titre de réflexion en vue d'un changement de comportement.
Les indications pour une amputation
Avant d'amputer, il faut d'abord déterminer si le membre concerné est viable, c'est-à-dire s'il est vivant et si on peut le garder en vie. Ensuite il faut voir s'il ne constitue pas un danger pour le patient (on dit qu'il met le pronostic vital en jeu) et, en dernier lieu, s'il lui sera utile (on discute ici de sa fonctionnalité).
La viabilité d'un membre
Cette notion varie suivant le degré de développement de la médecine dans une région donnée. Ainsi, par exemple, si le vaisseau principal qui alimente un membre en sang est sectionné et que cela se passe dans l'une des provinces d'Haïti, le patient perdra son membre. Mais à Port-au-Prince, s'il a la chance de pouvoir payer rapidement un chirurgien vasculaire, ou s'il va à l'HUEH où il pourrait gratuitement en trouver un,
son membre sera sauvé. Quand le membre n'est pas viable, l'amputation se fait sans discussion, car un membre pourri met tout le monde d'accord !
La vie du patient est en jeu
Le plus souvent, il s'agit d'une infection localisée mais qui risque de se généraliser, car on n'arrive pas à la dominer. Je dois ici faire une pause pour parler un peu du risque infectieux des plaies. Avant 8 heures, la plaie est considérée comme infectée et après ce laps de temps, on parle de plaie infectée. Cependant, sauf dans de rares cas, l'infection met au moins trois jours avant de se déclarer de façon drastique et menacer le patient. On peut la prévenir en nettoyant la plaie avec de l'eau potable et on peut même y mettre du miel. Je sais que je crée la polémique en l'affirmant, mais j'en ai fait moi-même l'expérience. Ainsi nous n'avons pas besoin de produits chers quasiment introuvables lors d'un tremblement de terre. Tout doit donc être fait pour éviter une sanction qui mutilera à vie.
Dans d'autres cas de figure, c'est plutôt une plaie béante qui draine toute l'énergie du malade ou tout simplement une tumeur. A ce moment, les discussions sont assez animées car de par la diversité de la nature humaine, aucun pronostic précis ne peut être affirmé et la discussion se fait en fonction de la probabilité du risque encouru. Il va s'en dire que notre marge, d'erreur est plus grande chez nous qu'ailleurs vu les conditions dans lesquelles nous évoluons.
Le membre ne sert plus à rien
Ici, les dégâts causés au membre sont tels que lorsque celui-ci est guéri, il n'est plus fonctionnel, il s'agit par exemple de main enraidie à la préhension impossible ou encore de jambes qui se dérobent interdisant tout appui. Mais, aussi, on peut avoir des membres tellement douloureux qu'ils transforment la vie du patient en un véritable calvaire. Le praticien peut alors proposer l'amputation et l'utilisation d'une prothèse qui, dans bien des cas, fera sortir le patient du monde des dépendants.
Autres indications !
Elles ne sont pas académiques, car elles sont économiques et, comme vous le constaterez, elles sont inhumaines. Ainsi, l'amputation peut être demandée si le praticien estime qu'il n'aura pas la possibilité de combattre l'infection quand celle-ci se présentera. Un exemple ? Dans un hôpital public arrive un patient avec une jambe en mauvais état suite à un accident de la route. Il ne peut acheter ses médicaments et finira par être infecté et mourir. Dans ce cas, en fin de compte, l'amputation est proposée, car personne n'a envie de faire le maximum pour le patient qui, résigné, accepte la sanction ; avec un peu de chance, il trouvera une prothèse et redeviendra fonctionnel ou l'utilisera pour aller mendier et survivre ainsi.
Cette solution est aussi utilisée dans certains pays. Je me souviens qu'une de mes patientes que je traitais pour une infection au pied décida, à l'injonction de ses enfants, de retourner aux USA où elle résidait. Là-bas, on l'amputa et elle eut sa prothèse. Pourquoi ? Elle était âgée et dépendait de l'assistance publique; pourquoi l'État dépenserait-il beaucoup d'argent pour elle ?
Protocole à suivre
Quel que soit le cas de figure, l'amputation ne peut se faire sans l'autorisation du malade ou, s'il est inconscient ou mineur, celle de celui qui en est responsable. Et ceci doit se faire sous forme d'un consentement éclairé écrit et dûment signé du patient ou de son tuteur, avec en plus la signature d'un ou préférablement de deux témoins (un parent et une personne de l'équipe médicale). L'amputation ne peut donc pas être imposée et si le patient la refuse on ne peut pratiquer. Un recours en urgence auprès du commissaire du gouvernement est cependant possible quand le patient n'est pas responsable (inconscient ou mineur) face au refus du tuteur. Cependant, je ne pense pas qu'un médecin haïtien le ferait. Si le tuteur refuse, il s'en ira avec le patient après avoir signé une décharge déresponsabilisant ainsi l'équipe médicale et l'institution hospitalière des conséquences néfastes de sa décision.
Le complexe des a priori !
Pour bien comprendre la réaction des expatriés qui viennent nous « aider », il faut savoir ce qu'ils pensent. Je m'en vais vous faire ici un résumé qui a pour défaut de généraliser. Cependant, ce mode de procédé est quand même majoritaire chez ces étrangers. Tout d'abord, ce sont des pics de la Mirandole, des puits de science infuse qui condescendent à venir dans un pays en voie de développement pour lui inculquer les rudiments d'une saine civilisation. Pour eux, notre pays est essentiellement fait de pauvres qui se font exploiter à outrance par une élite pourrie ; l'État est inexistant parce que formé de fonctionnaires corrompus avec qui il faut le moins possible avoir de contact. Côté santé, ils se font une image similaire faite de médecins qui priorisent leur pratique privée aux dépens des normes des hôpitaux publics qu'ils pillent d'ailleurs allègrement.
Ceci entraine comme réaction : des équipes qui s'amènent pour amputer d'abord, car, de toute façon, ce genre de traitement est meilleur que de laisser les pauvres haïtiens sans soin. Les indications pour amputation deviennent alors autre chose. Ainsi, on coupe les membres pour éviter une infection alors qu'il faillait la prévenir, on sectionne une jambe infectée alors qu'il fallait tout d'abord tenter de la juguler. Et le pire, c'est que cela est fait avec la conviction de bien faire pour parfaire le tout, « on » justifie ces actes sous le label de « médecine de guerre ». Mais elle est lointaine, l'époque où la médecine de guerre signifiait grands besoins en soins, précarité des moyens, inaccessibilité aux blessés se trouvant sur la ligne du front.
Ainsi, certaines ONG adoptent un comportement aberrant où les critères appliqués vont appliquer ici sont décriés dans leur pays quand ils ne sont pas simplement interdits. Je me rappelle des mesures drastiques d'asepsie en vigueur en milieu opératoire à l'étranger pour éviter toutes infections. Arrivés en Haïti, ces mêmes chirurgiens entrent en salle d'opération avec le pyjama qui a circulé partout ! Ils le font sans aucun complexe car, chez nous, aucune chance de leur faire un procès n'existe.
Vous êtes médecin et tentez de professer à l'étranger ? Impossible sans avoir passé toute une batterie d'examens. Mais chez nous, n'importe qui peut venir faire n'importe quoi tout en se présentant comme de superbes spécialistes animés du sentiment de bien faire...
Parce qu'en fin de compte, c'est là tout le problème. Ces associations de santé emploient des passionnés qui, ne pouvant changer grand-chose chez eux, prétendent changer le monde dans les pays marqués par un profond dénuement.
En conclusion ? Tout ce qui nous arrive aujourd'hui est encore de notre faute !
Dr Philippe DESMANGLES [email protected]

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