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Fête du Livre de Bron, acte II, Laurent Mauvignier retour sur romans et interview

Publié le 15 avril 2010 par Irigoyen
Fête du Livre de Bron, acte II, Laurent Mauvignier retour sur romans et interview

Fête du Livre de Bron, acte II, Laurent Mauvignier retour sur romans et interview

Il s'agit de retrouvailles entre Elle et Lui, deux personnages sans plus d'identité. Ils se sont connus il y a longtemps. Ils se sont perdus de vue. Mais ils n'ont jamais vraiment perdu le contact, ce qui donne un écho à la citation de Javier Marias en préambule de cette histoire :

Peut-être le lien se limiterait-il à cela, une espèce d'enchantement (...), qui, tout bien considéré, n'est autre que la condamnation au souvenir, au fait que les événements et les personnes reviennent et réapparaissent indéfiniment et ne disparaissent, ne passent, ne nous abandonnent jamais tout à fait, et à partir d'un certain moment demeurent ou habitent dans notre tête, dans la veille ou le sommeil, s'y logent faute de lieux plus confortables, se débattant contre la dissolution et voulant d'incarner en la seule possibilité qui leur reste de perpétuer présence et relation, la répétition ou la réverbération infinie de ce qu'ils firent un jour ou de ce qui eut lieu (...)

(Demain dans la bataille pense à moi)

Ils se sont connus, oui. Ils ont même partagé le même toit. Dans ce texte qui m'a évoqué Marguerite Duras, Laurent Mauvignier fait montre, une nouvelle fois, d'une extrême pudeur vis-à-vis de ses personnages. Comme s'il s'agissait de ne pas les déranger quand ils se souviennent :

(...) sans jamais avoir ce débordement de toi, que je trouvais ailleurs, surprenant, toujours intact et neuf quand, à travers le bruit de la clé dans la serrure du cellier, j'entendais le mouvement de ton poignet. Et tout de suite la fermeté de ta main, sa décision.

Le poignet ici, les doigts plus loin :

(...) quand il s'agit de dire ce que défie la parole, oui, mes doigts vont plus vite

Et puis, il y a ces nouvelles références à la guerre d'Algérie, évocation d'une mémoire individuelle ...

Les bêtes de la nuit, dans les déserts de ta jeunesse, en Algérie.

... douloureuse mais sans qu'elle ne déborde jamais littérairement, vue à travers le regard de l'autre :

L'Algérie t'a vu pleurer de honte. Elle a vu ton enfance tomber comme une vieille peau fanée. Tes dents pleine de sang et de pus à cause des mâchoires trop serrées. Tes certitudes d'être du bon côté, rognées jusqu'à l'os. Tout ce qui tenait ta liberté en otage devait être vaincu. Toi. Les autres. Tes parents et leurs yeux baissés sur les années de l'Occupation. Ta honte a tout soufflé. Moi aussi, tu m'as vaincue. Tu as tout pris. Tout jeté. Tout consommé.

Ensemble, ils vont écrire un livre. Peut-être pour laisser une trace et laisser la mémoire suivre son propre chemin. Cela ressemble à l'épilogue d'une vie ponctuée par ce commentaire dont la simplicité m'a bouleversé :

Au fond, j'ai beaucoup couru pour bien peu d'étonnement.

Fête du Livre de Bron, acte II, Laurent Mauvignier retour sur romans et interview

Je faisais référence, il y a peu, à ce livre de Laurent Mauvignier à propos du dernier roman de Catherine Lépront. Tous les deux ont un point commun : la mémoire de la guerre d'Algérie déclenchée chez un ou plusieurs personnages à la suite d'un événement précis.

Nous voici projetés à La Bassée – ce n'est pas la première fois que Laurent Mauvignier choisit le décor de ce village limousin imaginaire -. Une fête est donnée en l'honneur de Solange. L'un de ses frères, surnommé Feu de Bois, lui offre un cadeau. Démarche totalement inhabituelle...

(...)elle n'osait pas ouvrir, parce qu'elle savait non pas ce qui s'y trouvait mais les conséquences, les doutes, les risques, la peur déjà, je suis sûr, il suffisait d'entendre, de voir, de regarder comment le silence était à la fois poreux et épais, traversant la salle des fêtes les fumées de cigarettes et les souffles des invités.

... entreprise par un homme fracassé :

Parce que quand même, lui qu'on avait connu si grande gueule et hautain, c'était comme si un ressort avait été cassé à force d'avoir été trop tendu, trop remonté, et fait place à un flottement qu'on voyait danser dans le bleu de ses yeux, quand il vous regardait ou qu'on croyait être regardé par lui, sans en être sûr, seulement imaginant que c'était un regard à cause d'une légère insistance, d'une fixité glauque malgré le clignement de la paupière.

Ce ressort, trop tendu, finit par lâcher. Feu de Bois se met à insulter un des hommes présents à la fête, Chefraoui qu'il traite de bougnoule. C'est donc l'histoire d'une colère trop longtemps contenue qui finit par exploser. Histoire racontée par le cousin de Feu de Bois, Rabut – rebut de la société ? -.

Mais cette insulte, forme violente de la parole, donne également lieu à un questionnement :

Monsieur le Maire, vous vous souvenez de la première fois que vous avez vu un Arabe ?

C'est alors que la machine se met en route :

J'entendais encore cette phrase et déjà, à ce moment-là, j'ai ressenti en moi s'affaisser, s'enliser, s'écraser tout une part de moi, seulement cachée ou calfeutrée, je ne sais pas, endormie, et cette fois comme dans un sursaut, elle s'était réveillée, les yeux grands ouverts et le front soucieux, la tête lourde, cette vieille carcasse endormie dans ma tête quand je me suis demandé pourquoi cette phrase-là avait surgi et avait fait un tel bond dans ma poitrine – parce que le mouvement du coeur je l'ai senti comme l'angoisse d'attendre, attendre encore un rendez-vous, un moment comme un jour d'examen, et la colère aussi, ce scandale aussi, en moi, de vouloir les faire taire, eux, les gendarmes, Ménard avec ses descriptions et ses détails, et moi en rajoutant quand j'avais entendu ses mots, moi les inventant, invitant les visages, les peurs, les images, tout ce qu'il avait dit, et ce mouvement aussi, ce retournement, pourquoi j'avais voulu défendre Feu-de-Bois en voulant jeter ces mots-là au maire.

Il faut une centaine de pages avant que le roman nous entraîne de l'autre côté de la Méditerranée, comme s'il s'agissait de retarder au maximum l'entrée en scène de ce personnage principal qu'est la guerre d'Algérie, dont on comprend bien vite qu'elle a bousillé la vie de Feu de Bois, qu'elle est à l'origine de sa séparation...

Et Mireille ? La seule réponse avait été le moteur de l'Ami 8.

Cette conscription en Algérie, Feu de Bois l'a entamée alors que le passif familial était déjà lourd après le décès d'une sœur – qu'il traite de salope alors qu'elle est encore dans son cercueil -, des relations impossibles avec sa mère – qui lui aurait volé de l'argent, à l'entendre -.

28 mois à l'armée, c'est long surtout quand on arrive plein de tout cela, sans être forcément armé pour comprendre, pour digérer.

(...) ça, quand même, combien l'Alsace est loi de Marseille, il se souvient l'avoir appris à l'école, il y a longtemps. Dans une autre vie.

Alors, dans la nouvelle vie, il faut trouver des moyens de s'en sortir.

(...) se réfugier dans le silence, là où sa colère doit se tenir à l'écart

car

parler c'est devenir une cible

C'est l'Algérie qui a transformé cet homme en Feu de Bois. Là-bas, c'était Bernard. Bernard, l'amoureux de Mireille qui reçoit des lettres de sa bien-aimée lui disant combien son ami Rabut est adorable.

Alors, comme cette jalousie qu'il ressent est un sentiment honteux, il n'en parle pas.

Ne vous attendez pas à un roman sur la Guerre d'Algérie mais qui parle aussi de cet épisode de l'histoire contemporaine. Laurent Mauvignier ne multiplie pas les détails sur le conflit. L'auteur dit qu'il est d'ailleurs possible de lire ce roman de façon décontextualisée.

Sale bougnoule... on croit comprendre la raison d'une telle insulte quand, de retour de permission, Bernard et Rabut retournent à leur base et n'y trouvent plus personne – il est question de trahison par un certain Abdelmalik -.

Voilà donc tout ce passé qui ressurgit de façon violente, tel un torrent :

Je me suis dit que bientôt les dates et les villes ne diraient bientôt plus rien à personne, que personne ne saurait plus les histoires autour des images ni même ce que signifiaient les noms, les lieux, au dos (des photos)

Il y a dans ce roman des phrases somptueuses...

(...) je voudrais savoir si l'on peut commencer à vivre quand on sait que c'est trop tard.

... et au final un livre absolument remarquable que Laurent Mauvignier dit avoir mis des années à écrire. Tant mieux pour nous, ses lecteurs car arriver à garder cette distance réglementaire déjà évoquée ici-même est un véritable tour de force.

Fête du Livre de Bron, acte II, Laurent Mauvignier retour sur romans et interview

Voici donc l'enregistrement de cette rencontre. Attention, il faut laisser quelques secondes avant que cela ne démarre. Cela vous permettra, j'en suis sûr, de vous installer confortablement pour écouter avec attention Laurent Mauvignier.

Bonne écoute.

Durée : 1h20


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