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Une taxe de libre-échange au secours du plan Keynes

Publié le 23 avril 2010 par Edgar @edgarpoe

C'était en 1944, Keynes propose un plan de rénovation du système monétaire international rejetté par les Etats-Unis. C'est le plan de Harry Dexter White, beaucoup moins ambitieux, qui est retenu.

  Pour comprendre les problèmes du système monétaire actuel, même s'il a considérablement évolué depuis 1944, je me réfère à un livre de Michel Herland, publié en 1981 et sobrement titré "Keynes". L'ouvrage est très clair et pédagogique.

  Nous sommes aujourd'hui, en 2010, dans une situation où globalement, l'offre excède de loin la demande. Dans chacun des pays la richesse a évolué vers une plus forte concentration individuelle, et, au niveau des états, les réserves des plus grands pays créditeurs atteignent des niveaux  impressionnants (2000 milliards de dollars en 2002, près de 8000 en 2010 - source Natixis). Les déséquilibres internationaux sont clairement excessifs et les réserves de devises qui s'accumulent sont des nuisances.

Que dit Michel Herland lecteur de Keynes sur les excédents dans le plan Keynes ?

Ceci : "le plan Keynes contenait une disposition automatique à l'encontre des excédents excessifs [...] Dans la Théorie générale, Keynes était parti d'une analyse des conséquences néfastes de la thésaurisation monétaire pour proposer [...] d'instaurer une taxe sur la monnaie. Or, qu'est-ce qu'un excédent de la balance des paiements sinon une thésaurisation de monnaie internationale ? [...] C'est pourquoi le plan Keynes proposait de faire payer un taux d'intérêt [sur les excédents de devises des pays, d'environ 1%]."

  A l'équilibre, dans les échanges internationaux, les excédents commerciaux devraient être minimes, les taux de change jouant un rôle d'amortisseur. Un pays en excédent voit sa devise prendre de la valeur, ce qui renchérit ses exportations et accroît ses importations. La Chine aujourd'hui empêche le yuan de prendre de la valeur en contrôlant son taux de change. Les Etats-Unis ont une devise probablement sous-évaluée mais une balance commerciale excédentaire néanmoins. Cela résulte de leur position particulière d'émetteur de la devise de réserve internationale - auquel l'Union européenne a refusé de mettre fin en rejetant la proposition chinoise de mise en place d'une monnaie de réserve internationale. L'Allemagne bénéficie d'un système de change fixe dans toute la zone euro, qui profite au pays qui contrôle le mieux son inflation.  

Ce qu'il est important de comprendre c'est que les excédents commerciaux, que ce soit ceux de la Chine comme de l'Allemagne, ne résultent pas d'une vertu particulière. Ce sont des signes de déséquilibre économique majeurs, dû en grande partie à l'absence de système monétaire international satisfaisant. De fait, les déséquilibres surviennent quand on introduit des régimes de change fixe.

Keynes entendait, par son plan de 1944, forcer le rééquilibrage du système. Avant de taxer les pays disposant d'excédents de réserves comme signalé ci-dessus, il souhaitait également les convaincre d'adopter des mesures énumérées ainsi, toujours par Michel Herland :

- Politique économique d'expansion du crédit et de la demande internes. [Ce que fait la Chine actuelle mais à son rythme]

- Diminution des droits de douane et autres barrières aux importations. [ces instruments ont un rôle bien moindre aujourd'hui]

- Prêts au développement international. [impact limité]

- Réévaluation de la monnaie nationale ou, alternativement, encouragement à la hausse des rémunérations nominales. [aujourd'hui ni les Etats-Unis ni la Chine ne veulent réévaluer, ni d'ailleurs élever les salaires. Pour la zone euro, même chose pour les salaires et le système de change fixe qu'est l'euro empêche toute réévaluation de la devise allemande].

En l'absence de système de rééquilibrage, les pays européens de la zone euro subissent une double peine !

Ils souffrent d'abord du change fixe entre le dollar et le yuan chinois, les deux devises étant sous-évaluées par rapport à l'euro, c'est la première peine. La deuxième peine c'est que les différentiels d'inflation entre les pays européens membres de la zone euro ne sont plus compensés par des ajustements de change : l'euro monnaie unique est en réalité l'établissement d'un taux de change fixe de un pour un entre les devises des pays membres.

Certains pays européens perdent plus à ce jeu que d'autres : l'Allemagne ne souffre que du premier effet (change fixe dollar/yuan), pas du second - elle maîtrise son inflation mieux que les autres pays membres de la zone euro. La France perd sur les deux tableaux, mais moins que d'autres pays plus inflationnistes encore, comme la Grèce ou l'Italie.

Comment sortir de cette impasse ?

*

 Aujourd'hui, le système monétaire international manque du dispositif subtil de rééquilibrage automatique qu'avait imposé Keynes (note aux amateurs de Dupont-Aignan : c'était un système supranational et intelligent et utile. Tout ce qui est supranational n'est pas mauvais en soi).

Que peut faire un pays tel que la France, disposant d'une taille moyenne à importante, sur la scène économique mondiale ? Sachant qu'il n'est donc pas question de taxer les excédents de la Chine ou de l'Allemagne, de les forcer à entamer des politiques expansionnistes, ou autres mesures évoquées par Keynes ?

Une idée demeure : il faut taxer leurs importations de façon à compenser exactement les déséquilibres imposés par la sous-évaluation de leurs devises.

Keynes souhaitait imposer cela de façon centralisée, par une caisse de compensation mondiale des excédents et déficits de devises - la clearing union. Hé bien rien n'empêche les pays, individuellement, de se comporter comme si existait une telle clearing union

 *

C'est la proposition de taxe de libre-échange que j'ai déjà évoquée/esquissée à plusieurs reprises.

L'intérêt serait qu'elle permettrait un système de protection ajusté, contrairement au protectionnisme commercial classique qui ne sait pas se donner d'objectif de protection (taxer quel produit, à quel pourcentage ? Au nom de quoi ?)

Il s'agit de partir de l'idée que les taux de change sont faits pour équilibrer les balances commerciales et qu'à l'équilibre on doit constater qu'une voiture, produite en Chine vendue en yuan, doit coûter autant qu'une voiture française identique vendue en euros francs ou qu'une voiture américaine vendue en dollars. Des calculs complexes permettent d'aboutir à un taux de change d'équilibre moyen - les formules de calcul sont certainement complexes mais pas plus que de calculer un taux d'inflation.

Il faut donc ensuite frapper les importations des pays dont la devise est en dessous du seuil d'équilibre pour compenser exactement l'avantage indû qu'ils retirent de la sous-évaluation.

Concrètement, cela signifie que la France aujourd'hui taxerait les produits américains, chinois et allemands, et verrait taxés ses produits en Grèce et en Italie notamment (taxation d'envrion 20% pour les produits chinois, 5% à 10% pour les produits allemands).

Cela peut sembler dur pour les travailleurs chinois. A court terme il est évident qu'une telle mesure peut frapper durement des pays tiers. Trois réponses peuvent cependant être apportées :

1.  rien n'impose de mettre une telle taxe en oeuvre brutalement. Une mise en place transparente (ie : annoncée à l'avance) sur cinq années est tout à fait concevable ;

2. cette taxe doit être ajustable périodiquement. Au fur et à mesure que le yuan et le dollar seraient réévalués, la taxe s'effacerait ;

3. Pour rééquilibrer (à la baisse) leur balance commerciale, les pays excédentaires, plutôt que de payer une taxe, souhaiteront assez vite, quitte à renchérir leurs exportations, accroître les salaires et/ou mettre en place des régimes de protection sociale. L'effet est donc socialement vertueux.

*

L'introduction d'une telle taxe aurait donc un effet profondément rééqulibrant sur le commerce international et sur la désindustrialisation des pays occidentaux. Elle lèserait à court terme les dirigeants des groupes industriels occidentaux qui jouent, depuis le début des années 80, contre les intérêts de leurs salariés en usant des les travailleurs des pays émergents.

Il n'y a plus d'intérêt aux délocalisations si les produits fabriqués en Chine et revenant chez nous sont frappés d'une taxe annulant l'avantage de coûts... Les salariés occidentaux (ceux qui ont pu conserver un travail) y perdraient légèrement au démarrage - raison de plus pour mettre cela en place progressivement -, par le biais de la hausse des prix des magnétoscopes ipods importés.

Cela ne durerait que le temps que ces biens soient de nouveau produits localement...

*

Addendum : je découvre que la Chine est en déficit de son commerce extérieur pour la première fois depuis longtemps. Plus de sous-évaluation, plus rien à taxer ? Il peut y avoir sous-évaluation du yuan et déficit tout de même, notamment du fait de la quantité formidable de matières premières qu'achète la Chine. Avec une taxe, la Chine n'aurait sans doute pas eu 8% de croissance minimum depuis plusieurs années. Peut-être un peu moins mais avec une croissance moins extravertie. Exactement ce qu'il faut. Et puis on nous annonce que ce déficit ne devrait pas durer


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