Magazine Beaux Arts

Bill Jacobson

Publié le 04 mai 2007 par Marc Lenot

au Frac Haute-Normandie à Rouen, jusqu’au 13 Mai.

Voici un photographe américain peu connu en France, qui mérite largement une escapade rouennaise. Bill Jacobson est un adepte de la série, allant au bout d’une aventure, puis tournant à 90°, faisant abruptement autre chose. Il suit une démarche rigoureuse, avec des critères très précis, presque scientifiques, jusqu’au moment de rupture. Il modifie alors un des paramètres, et repart dans une nouvelle direction, et ainsi de suite. C’est, à mes yeux, un travail sur le réel, tel qu’il se colore et se construit, tel qu’il nous force à le voir, à l’approcher, à lui donner réalité. Jacobson a illustré les Calamus Poems de Walt Whitman; jeune photographe, il gagnait sa vie en photographiant des oeuvres minimalistes, Agnès Martin et Robert Ryman en particulier, ce qui n’est pas vraiment surprenant.

La première série présentée ici ne comprend que des portraits de jeunes hommes, visages face à l’objectif pour la plupart, un peu flous et très blancs, étonnamment blancs, comme si la photo n’était pas restée assez longtemps dans le révélateur. C’est bien à une révélation incomplète que nous assistons ici, à une disparition partielle de l’image. Cete série date de 92/94 et elle nous parle, je crois, de la peine que nous cause la disparition de ces jeunes hommes, le sida sans doute : fantômes disparus, âmes des amis défunts. Celui ci-dessus, détournant le visage, pris de trois-quart, serait-il praxitélien ?

L’étape suivante pour Bill Jacobson consista à faire l’inverse, à photographier les mêmes types, mais en saturant la photo de noir, en la sur-révélant, en se concentrant aussi sur des détails du corps, yeux, poing, pied. Ces fragments, qui évoquent pour moi les abattis de Rodin, montrent un corps éclaté, noirci, qui suscite une émotion plus brutale, moins compassionnelle. Ces yeux enfoncés, ce regard vide, cette noirceur sont désincarnés, morts.

En 1999, Jacobson tourne la page, radicalement, sort du studio et passe à la couleur. Là encore, une rupture, une nouvelle règle. Ses photographies de la ville sont floues, comme l’été quand la chaleur du bitume chauffe l’air et déforme la vision. Ces grandes photos urbaines sont très picturales, certaines peuvent évoquer Hopper, ma préférée me semble venir de l’impressionnisme : cette touche de couleur rouge ici au fond, sans forme particulière, ne sait-on pas aussitôt que c’est une charmante jeune femme marchant d’un pas vif au milieu des passants, heureuse de vivre, heureuse d’être remarquée ? Comment mieux suggérer la forme par la couleur ?

Aujourd’hui, Bill Jacobson a abandonné le flou et fait des photos plus précises de détails pris ici et là. Cela peut paraître moins intéressant, un peu trop léché, sans surprise, quotidien et mélancolique, mais ça s’inscrit bien dans la démarche rigoureuse qu’il suit depuis 15 ans.  

Toutes photos copyright Bill Jacobson, courtoisie Julie Saul Gallery New York (sauf la dernière, courtoisie Miliken, Stockholm); merci au FRAC Haute-Normandie.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Marc Lenot 482 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog