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Comprendre les échecs pour mieux reconstruire Toussaint L...

Publié le 29 avril 2010 par 509
Comprendre les échecs pour mieux reconstruire
Toussaint Louverture avant de rares hommes d'Etat haïtiens avait compris que la viabilité de son projet reposait sur sa capacité à « connecter » ces Africains nouveaux libres avec le grand réseau mondial du commerce et du savoir occidental. Il voulait par « l'imitation » faire de Saint-Domingue un Etat qui marche comme ceux inventés par les occidentaux. Certaines écoles de pensée y voient de l'aliénation, mais la Sociologie moderne et les Sciences du développement ont démontré que ce génie avait vu loin. Il était inspiré. Par les leçons apprises des Français qu'il a côtoyés, mais aussi par sa fine connaissance de la culture marron qui allait imprégner la mentalité haïtienne de ses marques profondes et douloureuses.
En essayant de comprendre les retards de l'Amérique latine sur le registre du Développement , des sociologues latino -américains sont parvenus à la conclusion que le refus des élites locales de « connecter » leur société au capitalisme mondial est la cause première de nos mauvaises performances . Voir (Andrenacci, atelier sur l'exclusion sociale, PAP, juin, 2009). A la lumière de cette théorie, je suis enclin à penser que l'échec de notre projet national vient en premier lieu de l'abandon de la pensée louverturienne par les généraux haïtiens qui allaient gagner la guerre de l'Indépendance. Ce délestage idéologique allait prendre la forme d'un grand mépris du savoir et de la technique instrumentalise de la manière la plus brutale qui soit.
Certains critiques ont reproché à Louverture sa volonté d'établir une société multiethnique dans laquelle la liberté conquise serait au service de la création de richesses. Mais les résultats de sa gouvernance sont incontestables. Henry Christophe dans son Royaume du Nord ( 1807-1820) tenta de remettre en oeuvre, avec des nuances, l'expérience louverturienne. Son succès sur le plan de l'organisation étatique et la production avait mis cette partie du territoire sur la bonne voie. L'autre tentative de « connexion » avec l'Occident fut l'Occupation américaine de 1915. Une expérience amère mais aux résultats immenses à divers égards : stabilité, hygiène publique, équipements administratifs, effectivité de l'Etat central, l'éducation, finances publiques et autres.
Pour résumer cette partie de notre exposé, il est indéniable que durant ces trois moments de « connexion » avec l'Occident Haïti fit des bonds sur le plan économico- social. Plus près de nous, le président Estimé en organisant l'Exposition Universelle de 1949 tenta lui aussi de « connecter » notre pays avec le reste du monde. Mais nous savons que les élites économiques ont boycotté l'événement et ont financé un coup d'Etat avant même la fermeture officielle de l'exposition.
Les éphémères succès et les causes de l'échec
Au-delà des explications dogmatiques, le fait est que, chez nous, la théorie qui impute le sous-développement au refus de l'Occident est validée par l'histoire. Cependant, il faudrait se demander pourquoi ces succès furent éphémères ? Pourquoi n'ont-ils pas pu se pérenniser comme au Japon, en Corée du Sud ou à Taïwan ?
Je crois qu'il y a lieu de rappeler que les élites haïtiennes ont toujours voulu être à la place des anciens commandeurs, d'où leur peur de l'ouverture du pays sur l'Occident manifesté sous la forme d'un nationalisme improductif. Relisez les Constitutions haïtiennes xénophobes et exclusivistes on comprendra mon assertion. Et qu'on ne vienne pas nous faire croire que c'est la volonté du peuple qui est inscrite dans ces chartes. Non, il s'agit de la culture des élites haïtiennes exprimée pour l'organisation de la cité en économie de rente. Evidemment, une économie de rente ne peut soutenir un processus de développement sérieux. D'où cette appropriation de la précarité par une minorité. Les corollaires de cette monopolisation des rentes sont : l'exclusion, la xénophobie, la pauvreté et l'injustice sociale.
Ce refus de l'Occident a eu des reliefs pathétiques dans notre histoire quand on se rappelle les âpres polémiques soutenues par des intellectuels haïtiens contre l'établissement du chemin de fer en Haïti, pour ne citer que celui-là.De l'Occident à la communauté internationale : Haïti et les échecs.L'entité hétérogène qu'on désigne aujourd'hui sous le label de communauté internationale n'a pas commencé à se mêler des affaires relevant de la politique souveraine de notre pays sans invitation. Elle est toujours invitée ou elle s'arrange pour se faire inviter. C'est nous qui, en 1990, avons déployé de grands efforts diplomatiques pour porter les Nations unies, notamment, à prendre part au processus électoral haïtien. Les réserves de plusieurs Etats y compris celles du Secrétariat général des Nations unies furent lors exprimées en termes clairs au gouvernement haïtien et aux envoyés du CEP. Les élections étant un exercice de souveraineté, l'immixtion de l'ONU dans cet exercice serait une violation de la charte. (Voir Lyonel Paquin :« Révélations, Le rôle de l'ONU dans les élections de 1990 », livre paru en 1992 à compte d'auteur). Selon Paquin, l'ONU nous fit remarquer : « Il faut se méfier. Il n'est pas sage d'essayer de déranger une structure qui fonctionne ». En faisant ici référence à l'institution. Et Haïti de répondre : « Oui (elle) marche bien(...) l'ONU pour durer et continuer à avoir sa raison d'être doit épouser les grands courants de cette fin de siècle. (...)Haïti a toujours innové, créé des brèches, creusé des sillons, fait des percées politiques et sociales qui ont toujours étonné le monde »
« ONU- Vous voulez donc tout chambarder, vous les Haïtiens ? »
« Haïti- Yes »
(Je suis persuadé que l'ambassadeur Paquin a utilisé ici dans sa présentation sous forme de dialogue le raccourci ONU pour désigner un certain nombre d'acteurs internationaux clés de la négociation)
Lors de la présentation des lettres de créance de l'Ambassadeur Paquin au Secrétaire général de Cuellar, ce dernier eut à lui dire une phrase qui résume, depuis l'époque (20 avril 90), le sentiment de la communauté internationale à l'égard de notre pays : « Mon cher Ambassadeur, avec votre pays, depuis Namphy, il faut recommencer et recommencer. C'est décourageant et décevant ». Après ce constat, M.de Cuellar ajouta un mot d'encouragement qui doit nous interpeller tous en 2010 : « Maintenant, nous voulons recommencer encore. Je pense que nous sommes sur la bonne voie ». C'était il y a vingt ans. Point besoin de rappeler la suite. La sympathie de la Communauté internationale est désormais manifeste et essentielle, qu'allons nous en faire ?
Haïti et la communauté internationale : après le 12 Janvier 2010Les sociétés archaïques ont en commun une grande capacité à résister aux changements. La raison en est simple. C'est que ces sociétés vivent leur histoire. Par conséquent, leur évolution n'est pas linéaire. Elle est sinueuse et parfois circulaire. L'historiologie moderne nous porte à croire que ces sociétés peuvent s'affranchir de leur archaïsme à la faveur d'un CHOC. Révolution (Russie), tragédie (Rwanda), domination étrangère (Japon).
La communauté internationale a offert à Haïti un nouveau cadre de coopération qui n'est certes pas sans défaut. Cependant, avec un leadership avisé il peut être un instrument de cette « connexion » à la modernité qui a fait défaut à Haïti. Et si les décideurs le veulent bien, un efficace instrument pour briser les chaines de l'archaïsme qui entravent l'évolution de la société haïtienne. Il faut rappeler que l'archaïsme, comme je l'ai souligné plus avant, ne se résorbe guère dans le cadre normatif qu'il crée pour sa pérennité.
Est-ce à dire que c'est le choc de la mise sous tutelle d'Haïti qui favorisera la modernisation d'Haïti ? Non, même l'occupation pure et simple n'a pas pu venir à bout de l'archaïsme haïtien. La communauté internationale vient de proposer à Haïti la cogestion d'une entreprise qui dépasse ses capacités. La mise sous tutelle impliquerait des responsabilités colossales qui peuvent transformer cette coopération en bourbier. En revanche, cette cogestion, si elle est utilisée à des fins de résolution des problèmes structurels de notre société, si les élites acceptent d'établir un pacte minimal pour la modernité, cette cogestion peut transformer cette catastrophe en offre de meilleure chance pour tous.En guise de conclusion
Le cadre de coopération proposé par la communauté internationale pourrait avoir des effets pervers dont le plus dommageable serait un affaiblissement de l'Etat, comme certains le pensent. Cependant, je crois que la communauté internationale a tiré des leçons des vingt dernières années de coopération avec Haïti. Il est en outre démontré par tous les chercheurs sérieux qu'il n'existe pas de développement sans le renforcement des capacités des Etats à mette en oeuvre des politiques publiques et à inspirer confiance. A ce propos, certains politiques haïtiens ont souligné qu'il fallait un pouvoir fort pour faire face à nos nombreux défis. Je crois qu'il faut plutôt un Etat fort.
Des critiques reprochent à la communauté internationale de promouvoir la violation de certains principes qui gouvernent notre société. La violation des principes est un risque qui survient dans la gestion de tout CHOC majeur. Même dans les démocraties avancées. ( 11 sept, etc.)
Ainsi, après le choc du 29 novembre 1987 (massacre des électeurs) notre pays s'est écarté de sa doctrine diplomatique en demandant à la communauté internationale de violer l'esprit et la lettre de la charte des Nations unie aux fins de garantir le bon déroulement d'un exercice de souveraineté. De plus, le gouvernement de M. Aristide en exil, soutenu par l'intelligentsia et le peuple, a sollicité une intervention armée sur le territoire national pour le rétablissement de l'ordre constitutionnel en 1994 (CHOC du coup d'Etat). En outre, pour garantir un minimum de stabilité chez nous, nous demandons à la communauté internationale de faire dire aux nombreuses résolutions du Conseil de sécurité relatives à la MINUSTAH que nous représentons « une menace à la paix et a la sécurité du monde »...
Lors de la catastrophe du 12 janvier 2010, l'Armée dominicaine, oui l'Armée dominicaine et autres ont pénétré le territoire national au nom du devoir d'ingérence humanitaire tel que défini dans la résolution 688 du Conseil de sécurité, adopté le 5 avril 1991 sous l'insistance de la France qui faisait remarquer : « Face à certaines situations d'urgence, de détresse ou d'injustice extrêmes, la communauté internationale doit affirmer son « droit d'assistance » aux populations civiles menacées » ( le monde du 7 avril 1991 cité par l'ambassadeur Paquin)
De nombreuses voix exercent, à bon droit, une vigilance citoyenne sur la souveraineté nationale. Cela est de nature à renforcer le poids de la société civile dans la reconstruction. Mais cette vigilance, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, sert aussi à renforcer les capacités de négociation des autorités haïtiennes. Et il est indiqué, je crois, de souligner à l'attention de la « vigie » nationale que, selon nos informations, les états soupçonnés de vouloir nous occuper ont tous sollicité du gouvernement haïtien, lors en abri provisoire, son accord écrit pour les opérations militaires de secours et d'assistance. Ce qui est une reconnaissance sans équivoque de notre caractère d'Etat souverain, mais en situation de « détresse extrême ».
Jean-Robert Simonise

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