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Suppression des allocations familiales pour les parents des élèves absentéistes : le retour à un socialisme cohérent

Publié le 05 mai 2010 par Lecriducontribuable

Le député UMP Eric Ciotti (photo) a déposé le 30 avril dernier une proposition de loi visant à pénaliser financièrement les parents des élèves absentéistes. L’Assemblée nationale examinera en juin la pertinence de ce texte qu’approuveraient de nombreux Français – 63% selon un sondage CSA. Et pour cause : la proposition de loi ambitionne de remettre dans le droit chemin les 7% d’élèves fréquentant la très populaire école buissonnière. Un cauchemar pour les parents, mais aussi pour la République, qui voit ainsi mise en doute par ses principaux bénéficiaires l’utilité de l’école publique, gratuite, laïque… et obligatoire.

La loi prévoit des sanctions graduées et proportionnées, allant du simple avertissement – en cas d’absence injustifiée pendant au moins quatre demi-journées en l’espace d’un mois – à la suspension pure et simple des aides sociales, décidée par la direction de la Caisse d’allocations familiales, prévenue par l’établissement scolaire de l’élève.

Le dispositif se veut pédagogique. Les allocations en effet ne sont pas supprimées, mais suspendues temporairement, jusqu’à ce que l’élève absentéiste reprenne le chemin de l’école.

En vérité, cette proposition de loi n’a rien d’innovant. Mais comme le rappelle un enseignant sur AgoraVox,  la pratique montre que les conseillers généraux, de droite comme de gauche, n’ont jamais fait respecter le « contrat de responsabilité parentale » institué en 2006 dans le cadre de la loi sur l’égalité des chances. Le président socialiste du conseil général de Seine-Saint-Denis Claude Bartolone confesse lui-même n’avoir jamais appliqué la loi de 2006 et n’avoir pas l’intention de le faire.

Il faut dire que le principe déplaît. D’aucuns dénoncent un mécanisme aggravant la précarité de familles déjà en difficulté. L’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, d’accord en cela avec Marie-George Buffet regrette que l’on sanctionne les familles au lieu de les aider, estimant que « toutes les familles, des milieux modestes, de milieux aisés sont inquiètes devant les crises d’adolescence » et ne savent pas « comment éduquer les jeunes adolescents ».

La version incitative et a priori plus séduisante du dispositif avait déjà suscité la polémique en octobre 2009, quand des lycéens de Créteil se sont vu proposer de l’argent en échange de leur présence aux cours. Le socialiste Jean-Paul Huchon avait alors fortement critiqué ce principe de la cagnotte associant l’école à l’argent plutôt qu’au savoir. L’objection n’est pas moins valable aujourd’hui : on peut imaginer qu’en conditionnant le versement des aides sociales à la présence en cours, la proposition d’Éric Ciotti ferait de l’enfant une source de revenus pour ses parents.

D’autant plus que l’insistance de la classe politique et de l’opinion sur le phénomène en effet inquiétant de l’absentéisme scolaire tend à faire de l’école une garderie, où seule importe la présence des élèves. La suspension des allocations familiales résoudra peut-être le problème de l’absentéisme, mais elle ne peut rien contre l’indifférence au savoir, l’ennui mortel des salles de classe, ou le décrochage scolaire, tout à fait compatible avec la présence physique de l’élève.

Ces critiques, qui ne manquent pas de pertinence, semblent se résumer à une idée simple : la réalité est complexe, il faut procéder au cas par cas. Or c’est là que le bât blesse. Car la complexité des réalités sociales est justement l’argument qu’ont toujours invoqué les libéraux cohérents contre l’intervention de l’État.

En effet, tant qu’il s’agit de justifier l’action bénéfique de l’État-Providence sur la société, on ne se soucie guère de sa complexité. D’ordinaire, à droite non moins qu’à gauche, les partisans de l’étatisme se moquent des nuances et se représentent la société comme un âne que l’on fait avancer plus ou moins vite selon la taille de la carotte et l’épaisseur du bâton. Mais quand vient le moment de faire respecter le contrat social, la gauche se convertit au dogme de la main invisible : l’État aggraverait les choses en intervenant, il doit miser sur le dialogue et la confiance. Le volontarisme législatif cède devant la complexité de la réalité, on réclame une « individualisation des réponses ». Pour le psychanalyste Patrice Huerre, l’absentéisme appelle « des réponses très variées ». Les apôtres de la collectivité baisseraient-ils la tête devant l’individu, la famille, et la complexité des liens unissant l’un à l’autre ?

Cela ne devrait pourtant choquer personne que l’État-Providence s’autorise à punir les parents d’un élève trop souvent absent en utilisant le levier des allocations. L’État a l’habitude de recourir à l’impôt pour rééduquer les patrons et pallier les carences du marché. Il faut s’attendre à ce qu’il se serve des allocations pour rééduquer les parents et pallier les carences de l’autorité parentale. Libre à chacun d’y voir justice ou injustice : comment nier que c’est là l’expression d’un socialisme cohérent, soucieux de l’intérêt général, absolument égalitariste et intraitable avec les profiteurs, qu’ils portent une cravate ou une casquette ?

Nous nous trouvons donc dans une situation pour le moins curieuse, où l’étatisme de gauche défend une politique du chèque en blanc, tandis que l’étatisme de droite, actuellement au gouvernement et majoritaire à l’assemblée, met en garde l’opinion non contre le principe de solidarité – Nicolas Sarkozy se faisant depuis la crise l’avocat du « modèle social français » – mais contre une solidarité absolument gratuite, sans contrepartie pour la collectivité, censée être l’alpha et l’omega de toute politique sociale. Aussi, la rupture promise par Nicolas Sarkozy depuis 2007, ce ne sera pas l’abandon du socialisme et le passage au libéralisme, mais le retour à un socialisme cohérent, prenant soin de lui-même et se donnant les moyens de survivre à la générosité des belles âmes qui s’en disent les représentants.

De quoi remettre en cause la distinction généralement admise entre une droite individualiste et une gauche acquise au collectif.

Nils Sinkiewicz


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