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J'ai fêté l'Europe au cinéma

Par Tred @limpossibleblog

J'ai fêté l'Europe au cinéma

L’Union Européenne, et ses incarnations passées, a fêté le 9 mai ses 60 ans. Depuis quelques années, les cinémas UGC célèbrent à leur façon cette date, en programmant à Bruxelles, Strasbourg, Lyon, Rome, Madrid et Paris des films de l’Union Européenne dans certains cinémas de chaque ville. Un film par pays de l’Union, à savoir 27 films, tous inédits. A Paris, c’est bien sûr à l’UGC Ciné Cité Les Halles, premier cinéma d’Europe en terme de fréquentation, que la manifestation a lieu.


Pour l’occasion, quatre salles étaient réquisitionnées dimanche 9 mai pour programmer ces 27 films dont la plupart ne sortiront probablement jamais en salles en France. Seule une poignée parmi ceux programmés à Paris ont déjà un distributeur et une date de sortie en France, notamment l’espagnol Cellule 911, grand succès du cinéma ibérique, l’italien Le premier qui l’a dit et le britannique La disparition d’Alice Creed, qui doivent tous trois sortir dans les salles hexagonales cet été.


Bien sûr, voir 27 films en une journée, c’est impossible, et malgré mon envie de dévorer un quart des films présentés aux Halles, il a fallu faire des choix. J’ai cru un moment que je réussirais à voir trois des films sélectionnés, mais je n’ai finalement pu en voir que deux. J’ai donc consciencieusement étudié chaque film, et observé le programme, pour choisir les deux films que je déciderais de voir. J’ai d’emblée écarté l’espagnol, l’italien et le britannique, que je pourrai découvrir cet été sans difficulté.


Six films ont particulièrement attiré mon attention. N’étant pas spécialement connaisseur ou amateur du cinéma d’un pays européen en particulier, je ne me suis pas laissé entraîner par une subjectivité quelconque autre que l’attrait pour un sujet. Le bulgare The Goat, le polonais My flesh, my blood, le roumain L’autre Irène et le slovaque Broken promise ont tous quatre été sur la liste des films qui m’intéressaient particulièrement. Le problème c’est que chaque film n’avait qu’une unique séance dans la journée. Le roumain était programmé à 10h du matin, les trois autres à 22h. C’est donc naturellement que je me suis tourné vers les deux films qui complétaient ma liste.


J'ai fêté l'Europe au cinéma

Le premier fut 9:06, le film slovène de la sélection. Je dois bien avouer qu’avant de me pencher sur les films programmés lors de cette journée européenne, je pensais plutôt être attiré par un film irlandais, allemand ou belge. Mais cette journée fut finalement l’occasion de sortir des sentiers battus du cinéma européen. Jusqu’ici en 2010, sur les 80 films vus en salles, seuls sept d’entre eux étaient des films européens (hors France bien sûr). Trois britanniques, un espagnol, un allemand, un danois et un bulgare. Il était vraiment temps d’augmenter le compteur… Alors pourquoi pas un film slovène, tant le synopsis m’intriguait.
Le protagoniste est un flic de Ljubljana, Dusan, enquêtant sur le suicide d’un joueur de piano mort en sautant d’un pont. Bientôt Dusan va se trouver fasciné par le défunt, et petit à petit s’identifier à lui, prenant place dans son appartement, nouant un lien avec sa petite amie. Dusan est séparé de sa femme, en conflit avec elle sur la garde de leur fille, et culpabilise du décès de leur première fille. En s’appropriant la vie du suicidé, il trouve une échappatoire à son quotidien, et des réponses qu’il cherchait au plus profond de lui.
En moins d’1h15, le slovène Igor Sterk tisse une toile psychologique dont le fascinant flou n’a d’égal que la maîtrise formelle de l’œuvre. La caméra est posée avec précision, elle glisse avec finesse pour mieux épouser un sentiment d’inéluctabilité qui pèse sur l’œuvre. La mort plane constamment sur 9:06, elle est un fardeau que chaque personnage porte en lui, et une fatalité que chacun entrevoit. C’est autant une enquête policière qu’un drame psychologique, le portrait d’un homme déboussolé, acculé par ses propres doutes, qui trouve dans la mort d’un autre quelque chose à quoi se raccrocher. On en sort dans une sorte de brume plaisante, la brume d’un film qui choisit de ne pas trop en dire, ni trop en montrer. Juste quelques plans, préférant nous laisser imaginer l’œuvre dans son ensemble que nous l’expliquer.

J'ai fêté l'Europe au cinéma
Le sentiment amer laissé par 9:06 a été balayé par le second film européen vu. Après la Slovénie, direction la Grèce avec Plato’s Academy, L’académie de Platon, un titre grandiloquent pour une comédie sociale juste et terriblement sympathique. La crise grecque ne s’était pas encore abattue sur le pays lorsque Filippos Tsitos a concocté son film de quartier. Stavros, la cinquantaine, y tient une petite boutique style supérette dans un carrefour urbain tranquille. Avec ses trois potes, dont deux tiennent les autres boutiques du croisement, il passe ses journées assis devant son échoppe, sa vieille mère à portée de main pour la surveiller du coin de l’œil. Le passe-temps favori des quatre compères ? Compter les chinois qui s’installent dans le quartier, et dire du mal des travailleurs immigrés albanais, des voisins qu’ils ne supportent pas et aiment à railler.
Mais un jour, la vieille mère de Stavros se met à déblatérer en albanais à la vue d’un de ces travailleurs étrangers. Elle reconnait en lui le fils qu’elle a abandonné en quittant l’Albanie lorsque Stavros était bébé. Pour Stavros, c’est un choc. Non seulement il se découvre une ascendance albanaise, cette nation même qu’il ne peut supporter, mais en plus voilà qu’il doit ouvrir sa porte à un étranger pour faire plaisir à sa mère. Tout cela sous l’œil désorienté de ses amis patriotes.
Vous l’aurez compris l’ambiance était bien différente après l’opacité de 9:06Plato’s Academy parvient à conjuguer légèreté et société avec une dextérité bienvenue. S’il s’agit en premier lieu d’une comédie, le film de Tsitos dessine les contours d’un malaise sociétal qu’il serait mal avisé de ne croire restreint qu’à la Grèce. Les difficiles relations entre grecs et albanais ont beau être au cœur de Plato’s Academy, la bonne humeur imprimée au film lui donne un caractère largement universel qui pourrait s’appliquer à bien des situations xénophobes à travers le monde. Ce qui rend le film peut-être plus mineur qu’il aurait pu l’être le rend du même coup appréciable au-delà de ses frontières. La crise d’identité de Stavros, est autant matière à l’aspect comique que dramatique du film, ses innombrables tentatives de faire revenir son ex-femme, sa volonté d’affirmer le grec qui est en lui pour combattre ses racines albanaises…
Plato’s Academy rappelle étonnamment le cinéma de quartier américain des années 90, les Smoke, Clerks et autres Brooklyn Boogie, toute proportion comique ou thématique gardée bien sûr. Il plane sur le film grec cet esprit de proximité, cette volonté d’observer la société par la petite porte marginale des êtres, hésitant constamment entre le tragique et le comique. En temps de crise, ça fait du bien. Et rend impatient d’assister à la prochaine édition de la Journée de l’Europe au cinéma, vers de nouvelles contrées, peut-être…


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