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Bilan sur les tentatives de démantèlement de l’ex empire soviétique par les Etats-Unis

Publié le 10 mai 2010 par Infoguerre

Lorsque le monde assiste, en novembre 2003 en Géorgie à la « Révolution des roses », puis en décembre 2004 en Ukraine à la « Révolution orange », l’Europe et les Etats-Unis s’empressent de féliciter ces avancées démocratiques comme autant de faits normaux d’une période dite de « transition post-soviétique ». La Russie, elle, perçoit ces événements comme une humiliation. Si les accusations de corruption, fraudes et non respect de la liberté d’expression ainsi que la contestation des premiers résultats des urnes par l’opposition semblent fondées, il n’en demeure pas moins qu’il serait naïf d’y voir un mouvement dont la dynamique serait purement démocratique et nationale. En effet, le changement de pouvoir à Tbilissi et à Kiev cristallise une forme de bras de fer que se livrent les Etats-Unis et la Russie pour dans un cas étendre et dans l’autre défendre leur sphère d’influence sur le continent eurasien, véritable heartland des relations internationales.

Quelles ont été les implications russes et américaines dans ces « révolutions colorées » ? En quoi est-ce illustratif du fait que la lutte de puissances, à défaut d’être aussi visible qu’auparavant, est loin d’être un principe suranné ? Nous nous efforcerons dans une première partie de montrer que ces mouvements révolutionnaires sont autant d’instruments employés par les Etats-Unis pour contester à la Russie sa position de leader régional puis, dans un second temps, nous analyserons la stratégie adoptée par la Russie pour faire face à ce qui est considéré à Moscou comme une intrusion dans son « étranger proche ». 

La théorie des « dominos démocratiques » appliquée à l’Asie centrale.

Novembre 2003 en Géorgie, décembre 2004 en Ukraine, février 2005 au Kirghizstan, novembre 2005 en Azerbaïdjan, décembre 2006 en Biélorussie, la chronologie et la succession des révolutions et mouvements de contestation en Asie centrale, qu’ils fussent un succès ou un échec, n’est pas sans rappeler le principe de « contamination démocratique », connu également sous le nom de « dominos démocratiques », cher aux néoconservateurs aux Etats-Unis. Cette stratégie, visant notamment à accroitre la sphère d’influence des Etats-Unis en s’assurant de l’émergence et de l’obédience de nouvelles démocraties, peut être résumée en trois étapes. Une « préparation du terrain », un soutien au pouvoir issu de la révolution, puis une diffusion du concept aux autres pays ciblés.

L’exemple de la Géorgie est particulièrement éloquent. La révolution des roses en novembre 2003 bénéficie de l’appui tactique de l’organisation étudiante de Belgrade Optor (Résistance). L’originalité de l’action d’Optor réside dans son emploi de professionnels de la presse et de la communication et de l’application de procédés de guerre de l’information ayant prouvé leur efficacité notamment en 2000, en participant à la chute du régime de Slobodan Milosevic, là ou les bombardements de l’OTAN avaient échoué. Celle-ci intervient en Géorgie en bénéficiant de l’aide logistique et financière d’Open Society, l’ONG du milliardaire George Soros. De la même manière l’intervention d’Optor, un an plus tard en Ukraine sera cette fois-ci financée par l’ONG américaine Freedom House, dirigée par James Woosley, ex-numéro un de la CIA. Une fois le terrain préparé et le résultat obtenu, reste encore à fournir de solides appuis aux nouvelles démocraties. C’est ce à quoi s’attelle l’administration américaine tant sous l’ère Bush que lors de l’ère Obama. George W. Bush, en visite d’Etat à Tbilissi, affirme en effet en 2005 que la Géorgie représente un « modèle de démocratie ». Soutien moral mais également militaire puisque malgré l’intervention russe en Géorgie et contrairement aux intentions qu’on leur avait prêtées, les Etats-Unis ne semblent pas renoncer à proposer à Tbilissi les moyens d’intégrer l’OTAN. Philippe Crowley, porte-parole du département d’Etat américain rappelle lors de sa visite à Tbilissi le 23 juillet 2009 que les Etats-Unis sont toujours prêts à équiper et entraîner l’armée Géorgienne pour qu’elle puisse atteindre les critères d’interopérabilité de l’OTAN. Leur soutien à la Géorgie, malgré l’avertissement russe de la campagne militaire de l’été 2008, est confirmé.

Ces avancées de la démocratie, ou pourrait-on dire de l’influence des Etats-Unis en Géorgie, Ukraine puis Kirghizstan en mars 2005, au sein même du glacis protecteur que s’échine de maintenir la Russie depuis des siècles, ont suscité de Moscou une réaction protéiforme. Preuve s’il en fallait que normalisation des relations internationales ne rime pas avec neutralisation des rapports de force entre puissances, loin s’en faut. 

Le glacis protecteur de la puissance russe mis à mal: D’une stratégie défensive, à une politique « pro-active ».

Si les révolutions des roses et orange ont laissé Moscou sans voix dans un premier temps, le président Vladimir Poutine n’ayant pu que saluer démocratiquement les nouveaux élus, il n’en demeure pas moins qu’une réaction défensive s’en est suivie. La première d’entre elle a été pour la Russie de parvenir à contenir la « contagion » là où elle pouvait encore l’être. Dénonçant cette « cinquième colonne » financée par l’étranger, Vladimir Poutine a mis en alerte les gouvernements d’Azerbaïdjan et de Biélorussie, qui parviennent respectivement en novembre 2005 puis décembre 2006 à briser les mouvements de contestation nés des scrutins. En parallèle est créé au sein de l’administration présidentielle un département plus spécialement chargé « de la prévention des révolutions orange dans l’espace postsoviétique» (Kommersant, n°50, 22 mars 2005), dont l’effet le plus visible fut la mise en place d’une nouvelle législation visant à empêcher le travail des ONG soupçonnées de « collusion avec l’Occident ».

Dans un second temps s’est imposée pour Moscou la nécessité de reprendre l’initiative après avoir subit les effets de la politique américaine dans la région. L’intervention militaire russe en Ossétie-du-sud, le 8 août 2008 répond à des motivations géopolitiques, frontalières et symboliques bien antérieures à la révolution géorgienne de 2003. Cependant, on ne peut nier que l’effet majeur de cette opération militaire était in fine de redonner à la Russie l’initiative dans le Caucase. C’est chose faite. Si cette opération n’a pas porté un coup d’arrêt définitif à la politique d’influence des Etats-Unis dans la région, il n’en demeure pas moins que, grisé par son succès, Moscou ne cesse de multiplier les effets d’annonce, haussant le ton face à l’Ukraine (En août 2009, Dimitri Medvedev, affirme à Kiev que seule une alternance politique en Ukraine permettra de renouer le dialogue), et se plaçant dans une position de force relative face à son nouvel interlocuteur américain, le président Obama. La rétraction des Etats-Unis dans le dossier du bouclier antimissile, ainsi que la fermeture des bases américaines en Ouzbékistan ou au Kirghizstan, semble montrer un essoufflement de la dynamique américaine au moment même ou la Russie, dans les faits et dans l’imaginaire collectif de ses pays limitrophes, apporte la preuve que le Caucase, plus que jamais, dépend de son giron. Ainsi, cinq ans après la révolution ukrainienne, l’opinion publique semble s’être littéralement retournée. Un sondage publié par la Fondation de l’Opinion Publique dans le cadre d’une simulation d’élections présidentielles accrédite seulement 2% intentions de vote à l’actuel président Viktor Iouchtchenko, contre 27% pour son ancien opposant pro-russe et anti-américain Yanukovich. Tout comme en Russie au cours des années 1990, le rêve américain, la « soft-power » semble avoir fait long feu, l’alternance politique et la « démocratie » n’ayant pas répondu aux attentes des ukrainiens en termes de bien-être et de niveau de vie.

Malgré  quelques effets d’annonce du vice-président américain Joe Biden, affirmant à Tbilissi que « les sphères d’influence sont un concept suranné »,  cette zone demeure d’un intérêt stratégique certain pour les Etats-Unis, par sa proximité avec le théâtre d’opération Afghan, par sa situation de carrefour énergétique pour l’Europe et par sa capacité à être transformée en éventuelle tête de pont de la démocratie, véritable coup de taille dans le flanc de la puissance russe. Selon le géopoliticien Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller du président des Etats-Unis de 1977 à 1981, il est indispensable que les Etats-Unis  « contrent toute tentative de restauration impériale au centre de l’Eurasie ». Cependant, la stratégie des Etats-Unis est vague, et les résultats obtenus sont fragiles. Le silence américain lors de l’opération militaire russe en Géorgie, le repli sur le dossier du bouclier anti-missile et la faible marge de manœuvre des Etats-Unis sur la problématique énergétique vient mettre en exergue les hésitations de la puissance américaine sur la question de sa perception de la Russie. Est-ce un ennemi vaincu ? Est-ce un partenaire en puissance ? La définition de la stratégie de puissance des Etats-Unis dans le heartland déprendra en grande partie de la réponse qu’apportera à cette question la nouvelle administration Obama. 

Gwendal Delcros 
 

Notes

Heartland : Expression de Halford J. Mackinder, géopoliticien anglais, désignant le cœur du continent eurasiatique comme la zone pivot des relations internationales. «(…) Qui gouverne le heartland domine l’île monde, qui gouverne l’île monde domine le monde ».

« Etranger proche »: Thème adopté par la Russie dès 1992 pour désigner les républiques anciennement soviétiques.

Optor s’inspire notamment des théories de lutte non violente de l’américain Gene Sharp pour qui : « La lutte non violente n’est pas destinée à résoudre les conflits, mais à les gagner. Nous sommes très proches de la rhétorique militaire, mais les armes utilisées ne font pas couler le sang. Et elles sont très efficaces ». From dictatorship to democracy: A conceptual framework for liberation, The Albert Einsein Institution, 2003, 88p.

Cinquième colonne : expression employée par Vladimir Poutine, Adresse au pays (Douma), 26 mai 2004. 


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