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The National : "On aime la crasse attachée aux productions maison"

Publié le 11 mai 2010 par Albumsono

National aime crasse attachée productions maison

The National toujours plus haut. Le groupe de rock américain a sorti ce lundi son cinquième album « High Violet », parfait équilibre de tension, mélancolie et malaise. La bande du chanteur Matt Berninger a plébiscité les guitares crades sans rien renier de ses complexes orchestrations. Un sérieux concurrent au titre de disque de l’année. Rencontre.

Pour l’enregistrement de votre nouvel album « High Violet », qu’est-ce qui a changé ?

Matt Berninger : Il y avait pas mal de nouveautés pour cet enregistrement. Notamment, maintenant on a notre propre studio dans le garage d’Aaron.

Aaron Dessner : Jusqu’ici on préparait tout avant d’enregistrer les morceaux en studio. Les démos devenaient l’album. Là, on a pu passer plus de temps sur la production. Le son est donc plus dur, plus étrange encore que sur les précédents. On a pu expérimenter beaucoup plus, sans aucune limitation. Si quelque chose ne nous plaisait pas, on recommençait. Et on l’a pas mal fait. C’est frustrant mais une bonne chose au final.

M. B. : Heureusement, je ne suis pas capable d’écrire plus de textes. Ca nous oblige à nous limiter. Je n’écris pas aussi vite.

Vous travaillez toujours séparément ?

A. D. : Pour une bonne part, oui.

M. B. : On passe beaucoup de temps ensemble, mais pas pour improviser comme ça. On ne se réunit pas pour jouer et voir ce que ça donne. Chacun travaille un petit arrangement de son côté, une idée. Le partage avec les autres. C’est bien que chacun puisse nourrir d’abord son propre monde avant de mettre les choses en pratique. Les idées en sont plus variées.

Chacun peut voir si elles tiennent d’abord la route…

M. B. : Par le passé, quand on commençait à jouer ensemble, on jugeait les choses de manière négative trop vite. Un tas de choses n’avaient pas le temps de se développer. Elles étaient déjà à la poubelle.

Comment avoir le recul ?

A. D. : On ne perd pas notre temps sur des choses qui ne sont pas inspirées. On sait éliminer ce qui ne va pas assez vite quand même. On revoit constamment notre approche de chaque chanson. Les chansons sur le disque sont le résultat d’un peu de créativité et de beaucoup de travail.

M. B. : Le plus dur, c’est quand tu sens qu’un morceau a du potentiel, mais tu ne trouves pas la bonne alchimie. A ce moment là, on ne veut jamais s’arrêter. Ou on le met pas sur le disque.

A. D. : La fin du morceau « Afraid of Everyone » vient des sessions de « Boxer ». On savait qu’on tenait quelque chose mais on avait pas réussi à l’utiliser.

M. B. : Sur « High Violet », il y a un titre dont on a enregistré 116 versions différentes. Parfois la différence ne tient qu’à un détail. Mais plus on faisait des prises, moins le résultat était probant. A un moment, on s’est arrêtés. On est reparti des toutes premières prises et on a fini la chanson. C’est comme ça qu’on travaille. On tourne en rond à en devenir fou puis on trouve. Un détail et le morceau est gâché. Ca nous arrive tout le temps. On a aussi mis du temps à finaliser la tracklist. On est même retourné deux heures en studio après avoir commencé à masteriser le disque.

Sur « High Violet », les textures sont très travaillées avec de nombreuses couches de son…

A. D. : Ce sont exactement le genre de choses qui ne peuvent exister dans un vrai gros studio. On ne veut pas faire perdre tout ce temps à un ingénieur. Au départ, on a empilé les sons pour voir ce que cela donne puis c’est devenu une des lignes de direction de l’album. On s’est dit : « Suivons cette voie bizarre ». « Boxer » avait un son plus fort, avec la batterie poussée très en avant. C’est moins le cas ici. L’instrumentation est plus floue. On ne discerne pas bien tous les sons. C’est voulu.

M. B. : A un moment, on s’est dit que c’était ce qu’on voulait.


Afraid of everyone :

Les textes aussi semblent explorer cette zone de flou, mais dans les sentiments…

M. B. : J’écris toujours mes textes en écoutant de la musique, que ce soit celle du groupe ou d’autres musiciens. Cette fois-ci, je me suis soucié des textes qu’une fois les chansons presque terminées. Avant je me suis concentré sur les mélodies uniquement en m’appuyant sur des mots qui ne voulaient rien dire. Au final, ca a été une bonne chose même si le processus fut difficile. Il fallait déconstruire certaines chansons pour placer les paroles sans casser ce qu’on avait fait. Surtout, beaucoup de ces mots qui n’avaient aucun sens se sont révélés plus fort que tout ce que j’ai pu écrire par la suite. On les a donc gardés sur le disque. Comme « Terrible love that I’m walking with spiders ».

Le ton s’accorde bien à la musique…

M. B. : Les textes sont, au final, plutôt sombres, sinistres. C’est en partie lié à la musique. Ce qui est étrange, c’est qu’au départ, on voulait tous faire un disque plus fun. Moins mélodramatique. Moins à propos d’un homme qui chante ses problèmes. C’est plutôt raté, mais en un sens le disque est quand même plus fun, en terme de rythmes, tempos, mélodies.

On ne se change pas aussi facilement…

M. B. : Une fois qu’on compose les chansons, on essaie de parvenir au meilleur résultat possible en laissant de côté les grandes idées qu’on pouvait avoir au départ. On est à l’aise avec ces grands sujets pleins d’émotion.

D’où est venu le titre du disque ?

M. B. : Je voulais un titre avec « High ». Comme High Noon ou High Society. Puis violet m’est venu dans un avion. J’avais ce petit livre religieux écrit en violet sur cette flamme violette qui emporte les âmes et tout un tas de trucs étrange comme ça. Je savais que je tenais un bon titre. Maintenant, j’ai dix interprétations pour l’expliquer. Mais ça n’a pas un sens bien précis. Ca évoque juste beaucoup d’images avec deux mots.

Votre écriture fonctionne beaucoup comme cela…

M. B. : C’est dur de trouver la combinaison de mots qui dit peu tout en vous faisant penser à un tas de choses. Pour moi, c’est la clé. De petites étincelles qui déclenchent des choses dans votre cerveau.

Quels sont les auteurs qui vous ont influencé ?

M. B. :Je ne passe pas mes journées à lire des livres, de A à Z. Je m’attarde beaucoup sur les mots, des expressions. J’ai beaucoup d’ouvrages ouverts sans que je les lise. J’en garde de toutes petites choses. Après, j’ai été très marqué par Joan Didion, Grace Paley. Cette dernière est celle qui m’a le plus influencé. J’ai toujours avec moi son recueil de nouvelles « Enormous Changes at the last minute » (« Enormes changements de dernière minute » en français). J’ai volé tout un tas de choses chez tout un tas de gens. Jonathan Ames pour le dernier album. Je n’étudie pas les auteurs. Je suis comme un peintre qui déambulerait dans une galerie d’art. Je n’enregistre que des petits bouts qui m’intéressent. Ca fait d’ailleurs très longtemps que je n’ai pas terminé un nouveau livre. La télé, le cinéma m’inspirent aussi. Je vole tout ce que je peux.

Vous écrivez aussi un scénario ?

M. B. : Oui avec mon frère. Depuis des années. C’est très très bien. Il m’en veut un peu d’en avoir parler. C’est un film policier. On verra si The National est libre pour participer sur la BO.

La pochette symbolise un peu la même chose avec ce fond gris et ces couleurs vives…

M. B. : Cette image est en fait une sculpture en papier d’un artiste new-yorkais. Au milieu du mixage, on cherchait des idées pour la pochette. Quand j’ai vu cette œuvre, elle collait au disque en plusieurs façons. Elle est très fouillis. On ne distingue pas vraiment les mots écrits. Comme un bruit un peu fou. Une bonne partie du disque touche à ces états émotionnels intenses, comme la paranoia.

Il y aussi plus de chœurs sur le disque…

A. D. : C’est un autre apport du studio. On a pu expérimenter avec les voix, multiplier les couches comme pour les autres instruments. C’était une esthétique qui nous intéressait.

M. B. : Avec toutes ces voix, les chansons sont plus universelles. Elles symbolisent moins la confession d’un seul homme. Ici, on touche à des choses plus larges.

A. D. : Puis comme le studio était à la maison, beaucoup d’amis apparaissent sur le disque. Des membres de Clogs, Sufjan Stevens chante sur « Afraid of everyone », Richard Parry d’Arcade Fire est présent sur plusieurs morceaux. Ca a très bien marché. Beaucoup de musiciens vivent dans notre quartier à Brooklyn. Les loyers sont encore abordables.

Et il y a également plus de tensions que sur « Boxer »…

M. B. : Sur « Boxer », je voulais éviter de laisser échapper la tension. Peut-être pour des raisons stupides. Je ne voulais pas devenir le cliché du groupe avec le chanteur qui crie. « Abel », « Mr November » étaient devenues les chansons qui nous représentaient le plus. Sur « High Violet », on se lâche de nouveau, mais ça passe plus par les instruments que par les voix.

A. D. : On voulait jouer plus fort. Un très gros son même pour les passages les plus tendres.

M. B. : On voulait souffler notre public. Tuer cette tension rentrée qui a si bien marché sur « Boxer ».

A. D. : Matt a dit très tôt qu’il voulait que l’on sonne comme un pneu qui glisse sur la route, qui crisse. On a davantage joué sur les distorsions. Ce genre de choses. Au départ, j’étais un peu nerveux, car j’aime les sons très clairs. Les orchestrations autour des guitares restent plus lisibles. On a utilisé des cors et de la clarinette basse plus que la trompette ou le violoncelle car ils transmettent des sonorités plus sombres qui s’accordaient bien avec les guitares.

Anyone's Ghost :

Vous avez testé les chansons live ?

M. B. : On vient juste de faire nos premiers concerts [l’interview a été réalisée il y a plusieurs semaines]. Tout n’est pas parfait mais les nouveaux morceaux sonnent bien.

A. D. : On a tout donné avec une semaine de répétition non-stop. Tout le monde en est sorti épuisés mais ça en valait la peine. Heureusement, l’album est très fun à jouer.

M. B. : Je trouve que certaines sonnent encore mieux que sur le disque. On aurait peut-être dû encore attendre un peu avant de l’enregistrer.

En mai, vous jouez avec Pavement à Paris…

A. D. : On devait jouer le même soir à Paris. Pour nous, ça avait du sens de combiner les deux. On est de gros fans du groupe. A part les Pixies, c’est vraiment notre référence du début des années 1990.

M. B. : Les Pixies, REM, Pavement. Dès qu’on a eu la possibilité de jouer avec eux, on a sauté dessus. J’espère qu’ils nous aiment bien. On ne les a jamais rencontrés.

Vous vous êtes connu en Ohio ?

M. B. : J’ai fait mes études avec Scott. Aaron et Bryce connaissaient le frère de Scott.

A. D. : On s’est tous installés à New-York pour le travail. Le groupe est venu ensuite. Un peu par hasard. On s’est retrouvé un week-end pour jouer, s’amuser. Avec Brian et Bryce, je faisais partie avant d’un mauvais groupe qui se prenait très au sérieux. On avait échoué et on s’était séparé. Mais on avait l’habitude de jouer ensemble. Scott et Matt avaient un groupe à la fac, puis avaient tout arrêté.

M.B. : Moi, j’ai vécu cinq années à New-York avant la création de The National.

A. D. : Tout le monde était très étonné du résultat de cette première session. A quel point on était bon.

M. B. : Sauf qu’on ne savait ni qu’on allait former un groupe, ni quel type de chanson jouer. On venait de deux horizons musicaux très différents. Les premiers morceaux que l’on a écrits avaient un côté très americana, presque folk. On a mis des années à trouver notre propre son.

Vous travailliez encore jusqu’à « Alligator »…

A. D. : Matt a quitté son travail juste avant sa sortie. Comme à peu près le reste du groupe. Ca fait cinq ans. C’est bizarre.

M. B. : On a utilisé toutes mes économies pour partir en tournée.

A. D. : On sentait à ce moment là qu’on était à un tournant. On venait de signer chez Beggars et on était très fier du « Cherry Tree » EP. On aime bien nos deux premiers disques, mais ils étaient plus imparfaits. Le label français Talitres nous a quand même donné confiance en sortant nos premiers disques. Nos premiers fans étaient à Paris.

M. B. : C’est ici que l’on s’est rendu compte que l’on pourrait vivre de notre musique. Si les gens nous aiment à Paris, on pensait qu’on nous aimerait ailleurs. Pour la première fois, on ne jouait pas principalement devant nos amis.

Vous avez commencé votre carrière au début des années 2000 à un moment où New-York revenait à la mode…

M. B. : On a vu l’émergence de toute cette scène rock. On aurait aimé en faire partie. Notre premier album est sorti en même temps que celui des Strokes. Ca nous a rendus un peu jaloux. Mais ça nous a aussi motivés pour la suite. The Strokes méritent ce qui leur est arrivé. Pour nous, ça a été plus lent.

A. D. : Les journalistes aiment avoir un angle pour écrire leur papier, mais selon moi, ce n’est pas nouveau qu’il y ait de bons groupes à Brooklyn. En plus, une partie ne correspondent pas vraiment à l’esthétique mise en avant. Pour notre part, on a un pied dedans, un pied dehors. Parce que ça fait un moment qu’on est là maintenant.

M. B. : Je ne pense pas non plus que tous ces groupes soient liés par un son. Mais c’est vrai que New-York le parfait endroit pour un musicien. Il y a plein de salles pour se produire, de studio. C’est un lieu créatif très sain.

Avec My Brightest Diamond, Sufjan Stevens, vous commencez à former une petite communauté…

A. D. : Il y a toujours du passage à Brooklyn. C’est donc facile de rencontrer d’autres musiciens que l’on apprécie, de travailler avec eux. La compilation Dark was the night n’a été possible que parce qu’on connaissait tous ces gens, tous ceux à qui on voulait demander une chanson. Il y a aujourd’hui tout un tas de gens qui ne font pas la même musique, mais qui s’apprécient. Ca devient une sorte de petite communauté en effet. Tous les artistes étaient contents de faire cette compilation.

Votre public s’agrandit d’album en album…

M. B. : C’est très important pour nous. On est aussi très reconnaissant que de nombreuses personnes nous soient fidèles au fil des ans. On a de la chance. C’est bien d’être de plus en plus populaire mais il ne faut pas courir après le succès. On n’a aucun intérêt à suivre les sons à la mode. Il nous suffit d’être nous-mêmes satisfaits de ce qu’on fait. Le public suivra. Pour chaque album, on a suivi la direction que l’on voulait sans essayer d’être The Strokes. Même si ce serait super d’être dans leur peau pour une journée. Etre the National aujourd’hui est une position très confortable.


Bloodbuzz Ohio :

Vos disques ont fait partie de nombreuses listes des meilleurs albums des années 2000…

A. D. : C’est touchant de voir que les gens n’ont pas oublié un disque comme « Alligator ». Quelque chose s’est passé. Mais l’important pour nous, c’est qu’on a le sentiment d’avancer, de progresser de disque en disque. De proposer toujours quelque chose de nouveau, même si on sonne comme The National. L’un n’est pas forcément meilleur que le précédent, mais différent. Pour « High Violet », on aurait pu se payer un super studio, mais ce n’est pas ce qu’on voulait. On aime la crasse attachée à tout ce qui est fait à la maison. Et le disque n’en est pas moins épique.

M. B. : On a vraiment beaucoup de chance.

A. D. : Nos fans respectent notre musique. Ils ne nous suivent pas pour être à la mode. Les tournées sont de plus en plus confortables. C’est presqu’un rêve pour nous.

M. B. : On a tous très peur que ça s’arrête. On a vu la chose arriver à tant de gens. L’attention du public pour un groupe est très courte. On privilégie d’abord la nouveauté. Nous on a déjà un peu de bouteille et un public de plus en plus important avec chaque disque. C’est quelque chose de très rare. Nous avons conscience et ne le prenons pas du tout pour acquis. On se donne énormément de mal pour surprendre nos fans.

A. D. : On a eu beaucoup de mal à finir ce disque. Après six mois, on arrivait plus à rien. Plus on approchait de la fin, plus c’était difficile. On était tous frustrés, fatigués. A en perdre la raison. On se disputait en disant : « Moi, je ne sors pas ce disque s’il n’est pas meilleur que "Sergent Pepper’s" des Beatles ».

M. B. : On ne peut pas se contenter de faire un bon disque. Il faut se sortir les tripes. Le résultat doit obligatoirement être brillant.

Recueilli par KidB


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