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Antoine Goetschel, avocat des animaux

Publié le 21 mai 2010 par Thedailyplanet

Pas même le temps de lui poser la question. Antoine Goetschel le précise d'emblée, en franchissant le seuil du Cèdre, cette adresse libanaise du Kreis 4, le quartier chaud zurichois: «Je suis végétarien.» La viande, ce spécialiste du droit des animaux y a renoncé en 1985, après avoir visité des abattoirs. Le poisson, il n'en a plus mangé depuis la catastrophe écologique de Schweizerhalle (BL), qui a vu, en 1986, l'incendie d'un hangar de produits chimiques Sandoz provoquer la mort d'une grande partie des poissons du Rhin. Antoine Goetschel, qui ausculte et commente depuis plus de vingt-cinq ans la littérature juridique touchant aux animaux, s'était à l'époque intéressé à la question de la souffrance chez ces vertébrés aquatiques. Car Me Goetschel est bien davantage qu'un simple défenseur des bêtes. Depuis 2007, il en est même devenu l'avocat.

«Les gens ne savent pas vraiment ce qu'est un avocat pour les animaux. Ils pensent au chien de Paris Hilton», déplore l'homme de loi, en arrêtant son choix sur une sélection de mezze, évidemment végétariens. «Et c'est bien là le problème de l'initiative», ajoute-t-il en commandant le jus de pomme qui accompagnera ces petits plats traditionnels. Le 7 mars prochain, le peuple est appelé à se prononcer sur l'initiative populaire de la Protection suisse des animaux (PSA), qui veut obliger les cantons à instituer un avocat pour les bêtes, selon le modèle zurichois (le texte a finalement été rejeté par plus de 70% des électeurs).

Car Zurich est le seul canton de Suisse – et le seul endroit au monde! – à s'être doté, en 1992 déjà, d'un conseil pour animaux. S'il ne rencontre pas personnellement ses «clients», chiens pour la plupart, et dans la majorité des cas maltraités par leurs propres détenteurs, Antoine Goetschel est nommé par le Conseil d'Etat zurichois pour garantir une meilleure protection juridique aux bêtes.

«Les responsables des Offices vétérinaires cantonaux ne sont pas des juristes. Ils ont souvent de fausses idées sur le fonctionnement de la justice, et sont frustrés lorsque les preuves, par exemple, sont insuffisantes pour agir.» Si la procédure actuelle refuse aux organisations de défense des animaux la possibilité de se porter partie civile dans des procès pour maltraitance, Antoine Goetschel peut, lui, intervenir dans les cas pénaux, consulter les dossiers ou collecter des témoignages.

Un exemple? «Je me souviens de cette personne, au cœur trop généreux, qui a recueilli 90 chiens, mais s'est trouvée incapable de subvenir à leurs besoins. Elle a écopé de 45 jours amendes.» Et de ce cuisinier, «tombé dans la drogue», qui a fini par abandonner ses trois chats à la maison, sans eau ni nourriture. «Le chat qui a vécu le plus longtemps a dévoré les deux autres.» Autre cas pour Me Goetschel: celui de ces moutons, retenus dans un état déplorable, sans possibilité même de se coucher. Leur propriétaire s'est vu infliger une peine de 80 jours-amendes. «Je suis là pour aider à appliquer la loi», résume l'avocat en glissant ses dossiers dans sa mallette.

Pourtant, aux yeux du Conseil fédéral, opposé à l'initiative de la PSA, le texte est «inutile et dépassé». Depuis 2008, argumentait Doris Leuthard avant les Fêtes, la loi oblige d'ailleurs les cantons à déposer plainte pénale contre l'auteur d'une maltraitance intentionnelle envers un animal. «Comment un vétérinaire peut-il établir la distinction, délicate, entre une violation intentionnelle ou une négligence?» s'insurge Antoine Goetschel. Et dans certains cantons, poursuit-il en se servant de purée de pois chiches, la volonté fait défaut. «La pratique varie considérablement. Un tiers des 700 procédures ouvertes en 2008 dans des affaires de la protection des animaux l'ont été à Zurich.» Et les peines sont souvent dérisoires.

Bon. Mais faut-il réellement ancrer dans la Constitution fédérale – que la révision de 1999 a débarrassée de ses scories – un article qui devrait trouver sa concrétisation dans la loi? «En tant que puriste, je suis d'accord qu'il n'a pas sa place à l'échelon de la Constitution. Mais l'interdiction de construire des minarets non plus! Du point de vue politique, c'est parfois le seul moyen d'agir.» Et que l'on ne reproche pas à Me Goetschel, qui consacre 30% de son emploi du temps à la défense des animaux, de coûter cher au contribuable zurichois. «En 2009, je lui ai coûté 78 000 francs, soit huit centimes par habitant, les frais pour ma collaboratrice juridique inclus à hauteur de 50%. Je touche 200 francs par heure, elle 80. Ce n'est pas une fonction qu'il faut occuper, en tant qu'avocat, si l'on veut se faire un maximum d'argent.»

Pourquoi le fait-il, lui? Le café libanais, aromatisé à la cardamome, arrive à point nommé pour les confidences. «Tout a commencé en 1984. Un journaliste [Ludwig A. Minelli, par ailleurs fondateur de l'association d'aide au suicide Dignitas, qu'Antoine Goetschel a par la suite défendu] m'avait demandé de l'aider à rédiger un ouvrage sur le droit des animaux en Suisse. Pour ce faire, j'ai passé en revue 34 000 pages de droit systématique.»

De fil en aiguille, Antoine Goetschel s'est retrouvé à rédiger une quinzaine d'ouvrages sur le sujet, et à militer aux côtés d'élus et d'associations, notamment pour un changement du statut juridique de l'animal – que la législation suisse ne considère plus comme une «chose» depuis le 1er janvier 2003.

Les positions à titre personnel d'Antoine Goetschel se sont-elles affermies au cours du temps? Que pense-t-il de ceux qui le qualifient de radical? «Je ne me reconnais pas forcément dans ce que je lis, on me fait parfois tenir des propos extrémistes. Je ne le suis pas. Je suis intégré dans la société, j'aime les gens.» Le végétarisme? «Je ne vois pas quel est le droit moral de l'être humain à manger de la viande ou du poisson.» La recherche? «Cela fait vingt ans que je renonce à la médecine académique pour cette raison.» Et cette sacoche en cuir qu'il porte à l'épaule? «Je la respecte, car je sais ce que cela représente. De même, j'ai acheté une paire de chaussures en cuir il y a vingt-cinq ans, je les porte très souvent. C'est à chacun de tirer les conséquences de ses choix. Auparavant, je me battais pour le végétarisme. Aujourd'hui, je me bats pour ce que je peux espérer changer. La majorité de la population n'est pas prête à se priver de viande.»

La seconde tournée de cafés arrive à l'heure où le restaurant se vide. Le problème, estime Antoine Goetschel, est que chaque défenseur des animaux, chaque association risque de se voir taxer d'extrémisme. Interrogé sur l'incendie du chalet de Daniel Vasella, en août dernier, une semaine après le vol de l'urne funéraire de la mère du PDG de Novartis, Antoine Goetschel joue particulièrement la nuance. «Je suis opposé à toute illégalité. Je ne le ferai jamais. Mais ce qui me gêne, c'est lorsqu'on parle de terrorisme. Il n'y a pas eu de blessés. C'est malicieux de la part de l'entourage de Daniel Vasella de partager la Suisse entre les gens normaux et les extrémistes. Et aujourd'hui, tranche l'unique avocat pour animaux du monde, mettant un point final à la discussion, chaque association risque le fichage.»

Valentine Zubler, Le Temps


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