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Les batailles de l’information en finance: le cas de Hong Kong

Publié le 26 mai 2010 par Openintelligences

Face au tourbillon monétaire européen, France Inter se penchait ce matin sur la notion de marché financier: si l’on résume, cela donnait des lieux concrets ou abstraits de rencontres de volontés individuelles mues par le profit. En somme, la fameuse main invisible appliquée aux places financières. Cela m’a interpellée et je suis allée rouvrir quelques bouquins de Krugman. Celui qui est devenu prix Nobel d’économie nous démontre, cas à l’appui, que la réalité est un peu plus complexe. L’aventure financière est avant tout une affaire humaine: des gains ou des pertes colossales à la clé, des alliances, des attaques, et comme nous sommes paradoxalement dans le domaine de l’immatériel, la corde sensible de la rumeur avec ses méchanismes psychologiques de base. Comme on me l’a souvent répété au Portugal, « dans la pratique, la théorie est autre ». Hong Kong l’a très bien compris en 98.

HK: le point d’entrée du libre-échange en Asie.

Dans les années 90, Hong Kong, le « port aux parfums » en chinois, était un havre d’ouverture économique en Asie. Cette cité-Etat respectait à la fois le libre-échange et la règle de l’Etat de droit sans laquelle la sécurité des transactions ne peut exister. La Heritage Foundation, le célèbre think tank conservateur américain, classait alors HK premier sur son Index of Economic Freedom.La prospérité allait pour le mieux dans le meilleur des mondes; personne n’était attentif aux signaux faibles.

Un moment de vulnérabilité : HK devient une proie idéale.

HK n’a pas échappé à la crise asiatique: plus de clients particuliers du Japon et autres voisins pour ses centres commerciaux et casinos, plus d’entreprises du Sud Est asiatique pour ses banques, et un taux de change fixé au dollar qui rendait HK bien plus chère que ses homologues asiatiques dont la monnaie se dévaluait. Ainsi, la cité-Etat avait était parfaite dans sa gestion économique mais elle se trouvait affectée par la chute de ses voisins. Des rumeurs commençaient déjà à circuler selon lesquelles la monnaie chinoise risquait d’être dévaluée: la pression augmentait.

L’attaque spéculative sur HK.

Peu d’analystes, à part Krugman, se sont penchés sur l’affrontement économico-financier qui a suivi; les responsables de HK n’ont jamais livré officiellement les noms des fonds spéculatifs qui les ont attaqués mais la bataille est restée dans les mémoires; elle est racontée de la même façon par les opérateurs du marché que par les responsables d’HK de l’époque.

Un petit groupe de 4 à 5 fonds spéculatifs, dont auraient fait partie Quantum de Soros et Tiger de Julian Robertson, livrèrent un double-jeu contre la cité-Etat. Ils se mirent en position courte sur les actions de HK: ils empruntèrent des actions à leurs propriétaires moyennant un « droit de location » pour leur utilisation avec la promesse de les racheter ensuite et de leur rendre, entretemps il les vendaient contre des dollars hongkongais. Ils amassèrent ainsi une masse de dollars hongkongais pour ensuite les échanger contre des dollars américains.

Un spéculateur dans cette situation mise sur deux scénarios: il gagne de l’argent si le dollard hongkongais est dévalué, ou il gagne de l’argent si l’autorité monétaire relève ses taux d’intérêt pour défendre sa monnaie et fait ainsi baisser la Bourse locale. Un spéculateur attend que les prédictions sur lesquelles il a parié se réalisent.

La pro-activité des fonds spéculatifs: la destabilisation de HK par la rumeur.

Les fonds spéculatifs ont préféré ne pas attendre ; mieux valait forger la réalité qui leur serait rentable.

Selon les responsables de HK, les ventes des dollars hongkongais ont été rendues ostensibles pour tous les acteurs du marché, leur réalisation soigneusement échelonnée dans le temps. L’arme est ici la visibilité: les petits spéculateurs suivent les gros et leur agressivité augmente à mesure que celle des titans comme Quantum se révèle; le principe du mimétisme est ici d’une force incroyable et sert de puissant effet de levier à toute action bien concertée.

Toujours selon les responsables de HK, les fonds spéculatifs rémunéraient les journalistes financiers pour faire courir des rumeurs sur la dévaluation imminente du dollard de HK ou du renminbi chinois. Ici, il existe un travail à effectuer sur la circulation de l’information dans la presse spécialisée financière; il suffit que l’ »AFP de la finance » lance la rumeur pour qu’elle soit relayée et diffusée à grande échelle. Or, la rumeur dans le domaine de la finance possède une caractéristique qui la rend fatale pour qui en est victime: la rumeur est autoréalisatrice étant donné que les transactions se basent sur la confiance et les scénarios du futur.

HK comme caisse de contagion.

L’attaque à HK n’aurait été que la réalisation d’un premier niveau opérationnel. Les mêmes fonds spéculatifs avaient simultanément des positions courtes en yen qui pouvait chuter avec le dollar de HK, en dollar australien… Ils devinrent donc en même temps de gros vendeurs de ces monnaies. HK n’aurait été que le point de départ d’une contagion à toute l’Asie du Sud Est: agir localement pour atteindre globalement.

Les fonds étaient sûrs du succès de leur entreprise car la mainmise sur le point de départ, HK, semblait acquise. En effet, HK a été choisie, contrairement à toutes les économies dirigistes voisines, par ce que justement elle pariait sur son image de libre-échange: sa source de revenus dépendait de sa réputation, jamais l’Etat n’interviendrait arbitrairement dans l’économie et surtout pas face à des investisseurs étrangers. Les fonds avaient réussi un tour de force stratégique: faire de l’atout d’autrui son point de faible, l’enfermer dedans en détruisant ainsi sa marge de manoeuvre.

La contre-attaque de HK.

Inopinément, HK a réagi. La HK Monetary Authority était riche: elle avait bien plus de dollars que ce dont elle avait besoin pour garantir sa monnaie. Elle a racheté à très grande échelle les titres locaux qui ont remonté obligeant, par conséquent, les fonds de couverture qui avait acheté des titres à découvert à faire des pertes.

L’escalade.

Les conservateurs hurlèrent au scandale: atteinte au libre-échange!! Milton Friedman accusa le gouvernement d’être « insensé ». La Heritage Foundation raya HK de sa liste blanche.

En d’autres termes, la réponse à la contre-attaque de HK s’appuya sur les arguments de légitimité: le prix Nobel, l’index de référencement… la presse bientôt comparait HK à la Malaisie.Les fonds spéculatifs renouvelèrent alors leur position courte considérant que le gouvernement allait se découvrir.

Le gouvernement plaça alors la barre plus haut en recourant à la régulation, véritable arme étatique: l’ interdiction des ventes à découvert obligea les fonds spéculatifs à relacher leur position.

Conclusion.

HK a gagné et « le port aux parfums » est revenu aujourd’hui en première position de l’Index of Economic Freedom de l’Heritage Foundation.

Cependant, la marge de manoeuvre des fonds spéculatifs n’a pas été affectée. Leurs collusions spéculatives continuent de tomber dans le vide juridique. Si vous, petit particulier avec vos petits moyens, faites la même chose contre une entreprise cotée en bourse, vous êtes à peu près sûr de passer par la case prison. Pourquoi la destabilisation financière contre un Etat serait-elle moins condamnable que celle effectuée contre une entreprise? si elle devenait condamnable, comment la mettre en pratique? qui serait le procureur, le juge, la partie civile, le juge d’execution? ce sont des questions hardues juridiquement mais auxquelles on va devoir très probablement se confronter dans un futur très proche.

Alice Lacoye Mateus


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