Magazine Culture

Le livre du mois : Manchester music city 1976-1996, par John Robb

Publié le 08 juin 2010 par Hongkongfoufou

Par Hong Kong Fou-Fou

manchester006.jpg

Au Nord, c'étaient les corons. La terre, c'était le charbon. Le ciel c'était l'horizon. Les hommes des mineurs de fond.

Le Nord de la France il y a quelques dizaines d'années, ce n'était pas gai. Certes. Et encore, la chanson ne parle pas des nuques longues. Mais le Nord de l'Angleterre, ça ne devait pas être mieux.  Prenez Manchester, par exemple, il n'y avait que des usines et des entrepôts désaffectés, un chômage galopant, la météo était dégueulasse (ça, ça n'a pas changé, il y pleut un jour sur deux en moyenne, ça fait rêver, hein ?). Mais la grande différence entre le Nord de la France et le Nord de l'Angleterre, c'était la bande son (ça non plus, ça n'a pas changé). D'un côté, Pierre Bachelet. De l'autre, la northern soul, les Buzzcocks, les Smiths, Factory Records, l'acid house, Oasis, etc. Dans un cas, il y a de quoi se remonter le moral. Dans l'autre, ben heu, il reste de la chuche mourette ?

Osons cette audacieuse analogie : Manchester est au rock des années 1980 ce que Vienne est à la valse des années 1780. Si. J'assume.

Dès les 60s en fait, les Mancuniens se sont forgés une réputation de spécialistes de la musique noire. On dit qu'on y trouve les plus belles collections de disques. C'est au célèbre Twisted Wheel que naîtra la northern soul. A la fermeture du club en 1971, les fans se rabattront sur le non moins célèbre Wigan Casino. Ils en profiteront pour troquer le costume en mohair et la chemises à col boutonné pour le marcel et le pattes d'eph' en velours. Pattes d'eph' qui fera un retour fracassant 25 ans plus tard à la grande époque de Madchester. Les 70s verront l'explosion du "Do it yourself". Suite au concert que les Sex Pistols donneront dans la ville en 1976, tous les jeunes désoeuvrés voudront faire sinon du punk, au moins du bruit. Ensuite ce sera la période Joy Division, puis celle des Smiths, l'acid house, les Happy Mondays, puis les Stone Roses, les Charlatans, Oasis enfin. J'arrête, j'ai l'impression de voir ma vie défiler devant mes yeux.

Le livre est écrit par John Robb, membre "à l'époque" (ah, l'époque...) du groupe punk mancunien The Membranes, journaliste, chanteur de Goldblade. Quelqu'un qui connaît bien le milieu musical de sa ville, quoi. C'est même lui l'inventeur du terme britpop, tiens. C'est un peu comme si un employé municipal écrivait un livre sur les arcanes de la mairie, mais en plus intéressant. Quoi que...

Son bouquin rassemble les témoignages de tous les acteurs qui ont fait de Manchester la ville N°1 de la scène musicale anglaise, témoignages recueillis à bâtons rompus autour d'une pinte, ou d'une verveine pour les plus délabrés. Pas d'analyse intello-chiante, pas de théorisation fumeuse par des musicologues, sociologues ou autres anthropologues, qui peuvent vous pondre trois thèses sur l'évolution du port de l'épingle à nourrice chez les punks entre avril 1976 et janvier 1977 mais qui ne comprennent rien au phénomène pour ne l'avoir pas vécu.

Quelques extraits pour ceux qui auraient la flemme de se taper les 457 pages du bouquin. Ce qui serait dommage, ce n'est pas "Voyage au bout de la nuit", quand même. Ou alors, une nuit passée à l'Hacienda.

Gareth Evans, manager des Stone Roses

Le Twisted Wheel est devenu un club mod. C'est là que j'ai rencontré Steve Marriott des Small Faces. Avant qu'ils repartent pour Londres, je leur ai dégotté une centaine de manteaux en cuir et en daim.

Mike Pickering, DJ à l'Haçienda

La northern soul, c'était quelque chose de spécial. Il n'y avait pas de médias pour tout relayer instantanément. J'avais l'impression de faire partie d'une société secrète. Un jour, j'ai pris le train de Stockport à Manchester pour le week-end et j'ai vu des gamins en blazer. Ils portaient les premiers badges northern soul, ceux avec le poing fermé. Je me suis dit : "Ceux-là, ils vont à Wigan ou à Blackpool". C'était vraiment underground.

Morrissey, chanteur des Smiths

Howard Devoto écoutait Iggy, mais j'avais l'impression que, sans le punk, il serait devenu professeur de sciences. Les Buzzcocks s'habillaient comme des maîtres d'école des années soixante, et ça leur donnait un côté pervers aux yeux des jeunes des années soixante-dix. Il n'y avait aucun endroit où s'acheter des vêtements à Manchester. Tout ce qu'il restait à faire, c'était d'inventer son propre look bizarre, comme The Fall un peu plus tard. Ils avaient ce côté gamin-des-rues-rescapé-de-la-Seconde-Guerre-mondiale.

Vers 1979, beaucoup de gamins de Manchester se teignaient les cheveux en gris. C'était génial, surtout dans un environnement sinistre et industriel. Je préférais ça au chic de Vivienne Westwood. Ca, c'était l'uniforme de ceux qui n'avaient rien compris.

Morrissey, chanteur des Smiths, toujours

On a un peu oublié ça, mais les concerts des Sparks attiraient beaucoup d'enfants. Ca ressemblait parfois à un spectacle de scouts. Russell parlait au public comme s'il chantait une comptine, à la manière d'un présentateur d'émission pour enfants. Il parlait avec une voix un peu folle, en bégayant, mais il avait du mal à la tenir. Je ne me sentais pas à ma place. Pour moi, les Sparks avaient une démarche qui ressemblait à celle de Dali,mais ils n'étaient pas perçus comme ça par le grand public. C'est pourquoi on retrouve leurs chansons sur des compilations abominables comme Glam Rock.

Lindsay Reade, employée chez Factory Records, à propos de Ian Curtis

La plupart de mes souvenirs de Ian sont personnels. Ils viennent de la semaine qu'on a passée ensemble... J'ai lu dans les lignes de sa main... et je lui ai dit qu'il ne se suiciderait pas parce que ça n'apparaissait pas sur sa paume. Qu'est-ce que j'ai pu être idiote. Après sa mort, j'ai arrêté la divination.

Johnny Marr, guitariste des Smiths

Morrissey et moi aimions bien l'idée d'être signés chez Rough Trade. Je soupçonne Morrissey d'avoir voulu ça principalement parce que The Fall étaient signés chez eux à un moment. Il admirait ce groupe. J'étais dans une phase Monochrome Set - ça m'arrive encore de temps en temps - et je trouvais que c'était une excellente idée. Tout ce truc anti-Factory venait de moi et de moi seul. C'était à cause de mon âge. Même si je respectais ce label, je savais très bien que si on allait chez eux, on nous identifierait avec toute l'esthétique Factory . On serait devenu un "groupe Factory". Je n'avais pas spécialement envie de porter un bermuda et des sandales.

Ian Brown, chanteur des Stone Roses

On était des milliers, et la scène grandissait semaine après semaine. Je me disais que l'ecstasy allait changer le monde. Il n'y avait plus de violence dans les matchs de foot. L'ambiance était différente - ça n'était plus un drame si tu bousculais quelqu'un sans faire gaffe. Tous ces types, d'habitude assez violents, devenaient complètement peace ! Sous ecsta, tu te sens sexy et tu as envie de faire l'amour en permanence.

Phil Thornton, auteur du livre "Casuals"

Le look des fans de foot a évolué. Les jeunes Blancs se sont mis à avoir un look plus débraillé. On est passé des pantalons de survêtement aux pattes d'eph en jean et en velours côtelé. L'exemple parfait, c'était les employés de Hurleys : coupe mi-courte faite à la tondeuse, façon suedehead, barbe à la quaker, gilet à col rond, petit badge, pattes d'eph de soixante centimètres et Adidas Suede ou Jeans. On voyait plein de types comme ça dans les gradins de Old Trafford, futals larges, blousons de golf beige et chemises à carreaux sorties du pantalon.

Manchester Music City 1976-1996, par John Robb

479 pages. Editions Payot & Rivages, 2009.


Retour à La Une de Logo Paperblog