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Voyeurisme et surveillance

Publié le 11 juin 2010 par Marc Lenot

weegee_marilyn-monroe_lg1.1276186371.jpgDès les débuts de la photographie, celle-ci a été un instrument, instrument de pouvoir au service d’une certaine représentation du monde, mais aussi instrument de surveillance et de plaisir mêlés. Cette exposition à la Tate Modern à Londres (jusqu’au 3 octobre) tente de démontrer que ce sont là des qualités inhérentes mêmes à la démarche photographique et non pas des aberrations. Elle le fait imparfaitement : on le comprend mieux quand on réalise que c’est une exposition conçue par le Musée de San Francisco dont tant l’approche que les exemples donnés sont quelque peu mis à la sauce américaine. L’absence des promeneurs mondains d’Henri Rivière, des criminels de Bertillon ou des vagabonds suisses de Carl Durheim (bien plus intéressants que les suffragettes), déplorable historiquement, s’explique ainsi, et aussi celle de nombreux photographes contemporains européens (Colom est absent; Tichy présent, un peu). Mais, de part et d’autre de l’Atlantique, la question demeure : que veut dire ‘regarder’, moralement, éthiquement, et que veut dire ‘être regardé’? (Weegee, Marylin Monroe arriving at a film premiere, 1953)

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Un des ensembles les plus prémonitoires et les plus dérangeants est la série de photographies prises par H.R. Voth chez les Indiens Hopis d’Arizona en 1897 : il gagne leur confiance, assiste à leurs cérémonies secrètes, les photographie sans qu’ils comprennent trop de quoi il s’agit, puis publie ses photos (Smoke ceremony in kiva). Il est rejeté, voué à l’anathème : en sommes-nous choqués ? Est-ce un viol, équivalent à celui de Marc Garanger en Algérie ? Il y a
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ici des photos clairement dérobées, photos de paparazzi, photos de voyeurs, et d’autres impromptues, prises à la volée, sans objection particulière, et il n’est pas toujours aisé de les différencier. Charles Henri Ford surpris dans une pissotière parisienne en 1935 par Cartier-Bresson voulait-il seulement y soulager sa vessie, ou avait-il d’autres penchants ?  En tout cas la langue de la pub Kréma est dirigée droit vers l’objet du litige (ou du désir, c’est selon). Par contre Primoli capture Degas dans la même situation, mais sans la même aura sulfureuse (mais on sait qu’il préférait les jeunes danseuses).

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Il y a bien sûr ici les photos dérobées par Strand et par Evans dans la rue et le métro, des femmes beautiful de Winogrand et des gamins de rue de Levitt, Harry Callahan suivant un cul féminin dans la rue (Atlanta 2004) et des passants pris dans les flashes de Philip-Lorca diCorcia. La célébrité est bien sûr un moteur du désir photographique et on verra ici Marylin (en haut) et la Castiglione, Jackie Kennedy et Greta Garbo.
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Mais plus intéressante est la photo qui reflète elle-même le désir de l’autre : dans ce wagon-restaurant où s’installe Kim Novak, ce n’est pas tant sa plastique qui attire mon oeil, que l’attrait qu’elle exerce sur les yeux des respectables hommes d’affaires au second plan (Leonard McCombeEyes right is executed with almost military precision by dining car males aboard New York bound 20th Century Limited as Kim Novak eases into a seat, 1956).

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De la même manière, passant du people au commun, mais restant dans le désir, la série The Park de Kohei Yoshiyuki montre le photographe enregistrant, la nuit dans un parc ’libertin’ de Tokyo, non pas tant les ébats des couples que les manoeuvres d’approche des voyeurs : là encore, nous nous regardons en tant que voyeurs, c’est nous que cette photographie représente, c’est notre désir plus
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que son objet. Dans la série du désir, nombre de photos érotiques, entre autres le Français Belloc et le Louisianais Bellocq, Molinier, les Dirty Windows de Merry Alpern, voisine d’un bordel, et l’inévitable Nan Goldin. Aussi une photo d’Helmut Newton, autoportrait en imperméable de sortie des écoles, avec sa femme June, habillée, et deux modèles féminins nus : tout un jeu de regard entre les personnages.

Quelques photos sur la violence, dont certaines incongrues par rapport au propos (et un très beau suicide depuis des poutrelles en contre-plongée, de Enrique Metinides). Et la surprise de voir une des photos d’Auschwitz recadrée et redressée : pour ‘faire de l’effet’, on perd le contexte, et donc le sens même de l’image, prise depuis l’intérieur du four et précipitamment. D’un témoignage, on a fait un document. C’est presque un sacrilège.

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Parmi les photographies autour de la vidéosurveillance, celle-ci de Jonathan Olley en Irlande du Nord (Golf Five Zeo Watchtower, Crossmaglen Security Force Base, South Armagh, 1999) dit assez l’intrusion et la violence. Mais il est dommage de n’avoir ici ni Francis Alÿs (qui, il est vrai, aura bientôt une exposition à la Tate), ni Taysir Batniji, ni Renaud Auguste-Dormeuil, par exemple; l’Australien
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Denis Beaubois
, posté devant une caméra de surveillance avec laquelle il tente d’établir un impossible dialogue, fournit un des exemples les plus absurdes et les plus révélateurs (In the event of Amnesia the city will recall…1996/97). Et quand la vidéosurveillance est acceptée, quand nous nous y prêtons avec délectation, quand nous nous offrons aux yeux d’autrui, on arrive au travail de Shizuka
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Yokomizo
qui prévient les habitants d’un immeuble que, tel jour à telle heure, la nuit, elle sera dans la rue devant chez eux et qu’ils peuvent soit tirer leurs rideaux, soit les laisser ouverts (Stranger) : c’est tout simple, et c’est, avec McCombe et Yoshiyuki, une des photographies les plus dérangeantes de cette exposition, une de celles qui me questionnent comme acteur et pas seulement comme spectateur. 


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