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On y était - Arto Lindsay, Young Marble Giants & Owen Pallett

Publié le 14 juin 2010 par Hartzine

Arto Lindsay, Young Marble Giants & Owen Pallett, Paris, Festival La Villette Sonique, La Grande Halle, le 01 juin 2010.

La Villette Sonique, qui se déroule du 31 mai au 6 juin 2010, est un festival à part sur la cartographie des événements franciliens : la programmation, plus exigeante que jamais, constitue un sempiternel pari sur le degré d’adéquation du public avec les artistes présentés. A voir la Grande Halle quasi bondée - mille deux cent personnes massées sur les gradins, où il est interdit de boire (bye bye rock’n'roll) - et le nombre de réponses à notre jeu concours, organisé en partenariat avec la Villette Sonique, on se dit que, quelque part, il n’est pas suffisant d’enfiler les têtes d’affiches du moment pour organiser un festival digne de ce nom. Cultiver l’altérité et l’expérimentation n’est pas mère d’indifférence. Du moins pour les curieux, les nostalgiques ou ces fameux indés, que le tout un chacun aime autant tailler que ne le sont les hippies. A tort pour les artisans de la cause, à raison pour les usurpateurs de la barbe mal taillée. Après une soirée d’ouverture ayant vu la diva psyché-folk, Joanna Newsom, accompagnée d’un sextet de circonstance, ébahir la Grande Halle, cette seconde affiche promettait monts et merveilles à tout érudit des années post-punk comme à tout mélomane se repaissant de cordes sensibles. J’avais d’ailleurs eu l’honneur de faire les présentations au cours d’un article rapidement démenti dans le running order annoncé : Owen Pallett monte sur scène une fois le livre d’histoire refermé et bien rangé.

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Chantre de la No Wave d’alors au sein de DNA, Arto Lindsay, son allure dégingandée et son quatuor composé de musiciens afro-américains taillés dans la pierre, s’emparent mollement de l’attention d’un public ne badinant pas avec les horaires. Celui qui jadis dévoyait le jazz et le rock d’une posture noise radicale et avant-gardiste avec DNA et The Lounge Lizards, et ce dans un même élan que James Chance - aperçu il y a peu au Sunset en piano solo - ne le faisait avec ses Contorsions, revisite désormais les berges d’un tropicalisme-psychédélisme instigué par Gilberto Gil et Caetano Veloso, mixant rock et musique traditionnelle brésilienne - conçu comme un pont entre ses origines et sa ville de toujours, New-York. On reconnaît la virtuosité mate, l’élégance rare d’un son feutré provoquant un léger déhanchement de bassin, laissant flirter son imagination et ses guiboles sur les abords d’une chambre à coucher dispensant une intimité moite et orgasmique. Insidieusement pourtant, on sent sa libido s’effeuiller à mesure que l’ennui ne guette et rattrape au vol l’enthousiasme évanescent des trois premiers morceaux. On hoche la tête et l’on se prend à étreindre d’infimes préoccupations bien plus matérielles que fantasmées : tu devais pas me payer un coup toi ?

Première désillusion ? Non, je m’y attendais. Une affaire de style et de goûts. DNA a fait partie d’un mouvement, la No Wave, à l’aura encore forte : Lydia Lunch, qui sort Déséquilibres Synthétiques, livre récemment traduit en français par Virginie Despentes, en atteste, tout comme celui de Thurston Moore, No Wave: Post-punk. Underground. New York. 1976-1980, sorte de compilation de clichés de cette éphémère avant-garde ayant secoué le Lower East Side. Le fait que l’un de ses suppôts se fasse la malle sur des terres débarrassées d’une discrépance pugnace tout en marchant sur les plates bandes d’un Stan Getz au timbre métissé n’implique en rien l’adhésion ipso facto. Le bonhomme serti de ses petites lunettes est un personnage. Et je penche pour le gimmick indé, j’y étais moi, ouais, j’y étais.

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Si Arto Lindsay à la bougeotte musicale, il en va tout autrement pour les Young Marble Giants, autre groupe phare de l’ère post-punk. Ceux qui suivent savent que Stuart Moxam nous a gratifié d’une interview dans laquelle le quinqua laissait entendre qu’il pourrait y avoir, éventuellement, une suite à ce monument minimaliste qu’est Colossal Youth sorti en 1978 sur Rough Trade : “J’insiste toujours pour que le groupe se remette à composer, car je sais qu’il reste encore beaucoup de musique en nous“. Soit. En tout cas, en trente ans d’absence et quatre ans de concerts sporadiques, Stuart n’a vraisemblablement pas assez insisté : le set d’une heure ne comporte aucun nouveau morceau. Je suis même tenté de dire qu’il ne comporte aucune nouveauté par rapport à l’album et la compilation Salad Days, parue une fois le groupe dissout dans l’acide de la mésentente. N.I.T.A, Include Me Out, Music for Evenings, Final Day défilent et l’on se rend bien compte à quel point rien ne change, pas même le son de la rythmique autrefois dévolue à une boîte à rythme et désormais assurée par un autre Moxam, Andrew, singulièrement atteint de catalepsie, tandis que Phil délaye toujours sa basse au compte-gouttes sans l’ombre d’une grimace. On ne doit pas se marrer tous les quatre matins au sein de la fratrie. Alison Statton, de marbre face à son micro, reste également ce qu’elle fut à la fin des années soixante-dix : une égérie au visage anguleux, fredonnant plus qu’elle ne chante. Loin d’être désagréable à écouter sous la voûte céleste de la Grande Halle, leur musique, que nombre de fans comme moi se sont appropriée aux détours de circonvolutions discographiques diverses et variées, se pare des atours d’une musique cadenassée pour le néophyte. Et c’est là que le bât blesse : il faut avoir écouté, aimé et humé au préalable l’essence de ce culte pop gallois pour se délecter ne serait-ce que d’une once de leur set millimétré. L’assistance applaudit, mais ne lui faites pas confiance, on sent bien une certaine politesse obligée. Leur minimalisme est un brin passéiste et il n’arrive pas à s’inscrire dans l’actualité autrement que sous la forme de références bien senties. The XX en est la pleine incarnation. Première désillusion ? Oui, sans aucun doute.

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Le clou de la soirée est enfoncé par le violon d’un seul homme, Owen Pallett, dont le troisième album Heartland s’impose telle la pierre angulaire d’un édifice sonore d’une rare beauté altière. M’imaginer devant un blanc bec trifouiller son violon pendant une heure et quart me semblait au-delà de mes forces, le sommeil me manquant de toute part, quelques nuitées découchées à Barcelone en préalable à ce début de festival. A mon état farineux, rajouter les souvenirs indomptables, André Rieux, son brushing et son satané violon. Et… bonjour l’angoisse. Très vite cependant, celle-ci se dissipe, sublimée par la magistralité de la démonstration d’un Owen virevoltant et accompagné avec parcimonie par un guitariste-percussionniste, véritable antithèse esthétique du jouvenceau à la mèche brune élégamment ciselée. Celui qui se produisait jusqu’à il y a peu sous le nom de Final Fantasy et qui possède un curriculum vitae de collaborations long comme un bras (Arcade Fire, Picastro, Hidden Cameras, Jim Guthrie), égraine ses faveurs par de somptueuses pyramides de boucles de violon, de voix et de clavier et ce sans jamais tomber dans la facilité d’une surcharge de décibels inaudible. Le Canadien fait feu de tout bois, déployant une ferveur hors du commun pour diriger en grand architecte ses plans sur la comète. Sa pop symphonique nous entraîne dans une voltige ascensorielle, loin des cimes connues et des formats rabâchés. Essentiellement construit autour des morceaux d’Heartland, c’est une véritable ovation que déclenchent les ultimes notes de son set et les timides gestes de reconnaissance que l’angelot adresse à une foule conquise et tressaillant d’un bonheur fragile mais inaliénable dans l’instant.

L’objectif avisé de Robert Gil était évidement présent. Retrouvez ses clichés de Young Marble Giants là, ceux d’Arto Lindsay ici et ceux du magicien Owen en cliquant sur ce lien.


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