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Le plaisir de la déclinaison des recettes

Publié le 16 juin 2010 par Arsobispo

L’un de mes plaisirs du W.E. est la lecture dans Le Monde Magazine, de la page de Jean Pierre Géné qui sous l’intitulé « Goût » donne toujours de bonnes idées pour le repas dominical. Quoique, parfois, lors de ses coups de gueule, elle peut nous donner des aigreurs d’estomac tant le monde de l’agroalimentaire se distingue par sa désinvolture - pour ne pas dire mépris - envers les consommateurs.

Le 22 mai dernier[1], son « canard pour deux » m’avait donné l’eau à la

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bouche. Il nous donnait son interprétation du canard à l’orange façon Gérard Vives et j’ai suivi son conseil « le plaisir des recettes , on peut les trafiquer ». Ce que je me suis empressé de faire, réunissant les deux services proposés - magrets aux navets et canard à l’orange - en un seul, adapté à ma voracité et mon amour du canard laqué (voir à ce propos un précédent mémo sur ce sujet).

Je ne veux pas piétiner les plates bandes de ma sœur mais je donnerai quand même mon interprétation, ne serait-ce que pour lui rappeler que le talent partagé par ma mère et ma grand-mère ne se transmettent pas seulement par les femmes. Ma modestie, toutefois, me retient à parler, dans mon cas, d’aptitude mais plutôt de disposition car ce talent se mesure dans la capacité à renouveler quotidiennement l’exercice, ce que je suis bien incapable de faire. La matériel de ma cuisine n’y suffirait d’ailleurs pas, tant mon exubérance naturelle m’entraîne à une consommation effrénée d’ustensiles divers nécessitant le fonctionnement en continu de plusieurs machines à laver la vaisselle ou d’une brigade attachée uniquement à la plonge.

Allez, on attaque.

J’ai d’abord acheté une canette suffisamment grosse pour contenter quatre bons mangeurs. J’ai alors déshabillé la belle. Attaquant par la poitrine, j’ai incisé du cou au croupion en passant par le sternum et retiré cette carcasse avec délicatesse afin de conserver les suprêmes, les cuisses et les ailes en un seul morceau qu’il faut oublier pour l’instant.

J’ai mis de côté les abats, les joignant à ceux que j’avais par ailleurs acheté séparément à mon volailler. La carcasse - découpée en quelques coups de hachoir - et ses attributs extrêmes - cou, croupion, phalanges des ailes et pieds - furent jetés dans une cocotte (substantif précisant bien que l’objet est parfaitement adéquat à la cuisson d’une volaille) avec quelques oignons, navets, pommes de terre, branches de céleri, 2 ou 3 pour chacun d’eux, et le vert de quelques poireaux.  Le tout, enfourné aussitôt dans un four bien chaud. Ne pas s’éloigner, rester attentionné. Quand le frichti commence à grésiller, que cela attache un peu au fond de la marmite, que les ingrédients ont revêtu une légère croûte brune et odorante, il est temps de déglacer à feu vif avec un peu d’eau et de shrubb antillais, un apéritif à base de vieux rhum et de pelures d’oranges, car autant annoncer dès à présent aux composants le mariage des navets et de l’orange. Tous ces éléments sont alors versés dans une grande casserole avec 2 litres d’eau, du poivre, un peu de sauce soja et un bouquet garni. Le jus du déglaçage est quant à lui réservé. Allumez le feu et laissez mijoter 2 à 3 heures - le liquide de mouillement ne doit pas bouillir mais au mieux frémir. Le jus va se concentrer et le fumet s’épaissir. Alors filtrez et laisser reposer au frigo jusqu’au lendemain. De bon matin,  après suppression de la couche de graisse qui se sera formée à la surface, retirez d’une part les légumes, sans le bouquet garni et réservez. Puis les restes de notre palmipède et en dépecer les os de toutes traces de chair que vous conserverez. Enfin filtrez le jus pour n’en conserver que le bouillon.

Réalisez un hachis avec les abats, en prenant soin de retirer au préalable l’enveloppe caoutchouteuse des gésiers et mélangez le tout avec les fragments de viande dépiautés de la carcasse. Faire chauffer à feu doux avec une petite louche de bouillon, sel et poivre jusqu’à obtention d’une pâte légère.

Je récapitule : J’ai un bouillon, une farce d’abats, un jus de déglaçage et une réserve de légumes. Il est temps dès lors de s’occuper de l’objet même de ce plat, cette viande de cannette que nous avons quelque peu délaissée depuis l’effeuillage qu’on lui a fait subir.

Soyons sauvage et lardons sa peau d’entailles vives en quadrillage. Puis, étalons comme un livre ouvert la bête au centre d’une poêle où crépitent quelques gouttes d’huile d’olive. Quelques instants seulement, juste le temps de caraméliser la peau et dégorger la bête de son excédent de gras. La retourner afin de dorer également la chair. Quelques gouttes de shrubb pour rester dans le ton et justifier son propos et on arrête là ce qui pourrait devenir des magrets, du moins si l’on oubliait les membres du palmipède toujours attachés à sa robe. Retirer la viande de la graisse liquide qu’a dégorgé l’animal et la plonger dans un faitout où l’on aura placé tous les ingrédients en réserve, légumes, farce et le bouillon initial de la cuisson de la carcasse auquel on aura ajouté un pur jus d’orange en proportion d’une moitié du volume du bouillon. Il ne reste qu’à laisser mijoter le tout comme le précise si bien Jean-Pierre Géné, sauf que je retire la viande avant que les « chairs ne se dépiautent avec les doigts » sinon les morceaux ne se tiennent plus. Je dresse alors le plat, farci au centre, légumes autour et la bête par dessus le tout, peau sur le dessus que je mouille de mon jus de glaçage initial - mais si, souvenez-vous, tout au début de la recette, on en a réservé un peu que l’on n’a toujours pas utilisé ! Laissez reposer le tout au four chaud pendant quelques minutes, le temps de laisser réduire le jus du faitout qui servira de sauce pour ceux qui ne résistent pas au pain mouillé.

Voilà. Je n’ai pas parlé de sel car j’avais fait l’erreur de rajouter dans le faitout du gros sel, pendant la dernière cuisson. Une idiotie, car c’est toujours trop ou pas assez salé pour les uns et pour les autres. Autant laisser chacun faire à son idée, comme d’ailleurs dans les adaptations de cette recette… Vive les déclinaisons et que chacun me fasse part de sa propre variation.

Je regrette de ne pas avoir fait de photo. la rugrique aurait été plus attrayante !


[1] Je ne peux malheureusement pas donner de lien sur ses pages car Le Monde refuse de mettre en ligne ce supplément hebdomadaire.

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