Magazine Beaux Arts

Photographier pour favoriser la compréhension mutuelle des peuples

Publié le 11 décembre 2007 par Marc Lenot

Cette exposition de photographes français et allemands d’après guerre (1945-1955) au Jeu de Paume Sully, jusqu’au 17 Février, s’ouvre sur une citation optimiste et humaniste d’Otto Steinert : “La photographie est le moyen le plus efficace de nous faire accéder à une vison lucide du monde, un des moyens les plus propres à favoriser la compréhension mutuelle des peuples.” belle utopie, que, quelques salles plus loin, August Sander contredit allègrement : “La photographie est en mesure de tout travestir de manière inouïe.”

Comme toutes ces belles idées, cette exposition semble un peu flotter hors du temps, hors de l’histoire. Elle montre un état des lieux partiel de la photo dans les deux pays, dix Allemands, six Français, durant une période cruciale, à la sortie de la guerre, au temps des réconciliations difficiles, à l’aube de la construction européenne. Il m’a semblé curieux que tant les informations sur les photographes que le sujet des photos parlent aussi peu d’histoire; la seule exception est le travail de Hilmar Pabel sur le retour d’un prisonnier allemand de Russie. Pratiquement toutes les autres photos sont quasiment intemporelles. Quant aux photographes, c’est à peine si, au détour d’une notice, on relève que l’un (Pabel) a travaillé pour le magazine du parti nazi, qu’un autre (Keetman) a été soldat, qu’un troisième (Julius), juif, a été interné, ou qu’une quatrième (Jacobi) a dû s’exiler.

Mais si l’exposition ne s’intéresse guère à l’Histoire, elle se concentre par contre sur l’histoire de la photo, et sur la constitution des archives de photo (les photos proviennent du Musée Folkwang à Essen, temporairement fermé pour agrandissement, et de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine à Paris). Elle met face à face, en Résonances, deux courants, la photographie humaniste française, aux valences philosophiques et sociales, et la photographie subjective allemande, plus esthétique et individuelle, même si tout ici n’entre pas dans ces deux modèles.

En faisant un rapide tour d’horizon des photographes présentés, j’ai réalisé que tous ces photographes ou presque avaient vécu très vieux : seuls deux d’entre eux sont morts avant 70 ans, il y a parmi eux six nonagénaires (dont un vit encore, Reisewitz), et Denise Colomb est morte à 102 ans. En tirerons-nous une conclusion ?

S’il faut qualifier chacun ou presque d’un mot, j’ai noté les portraits dédoublés d’Otto Steinert, les paysages enneigés de Marcel Bovis, les formes quasi abstraites de Peter Keetman (Gouttes miroitantes, 1950, ci-dessus; dans le diaporama, la persistance rétinienne devant ses photos fait de beaux effets), les photos de cinéma de Roger Corbeau (je me souviens de ces photos légendées punaisées à la devanture des cinémas de nos adolescences émues devant les starlettes), les compositions formelles de Willi Moegle, les cartes postales de René-Jacques, les portraits d’acteurs de Thérèse Le Prat, les jeunes Allemands d’August Sander, les Antillais de Denise Colomb et le soldat prodigue de Hilmar Pabel.

Lotte Jacobi, qui partit aux Etats-Unis en 1935 et y resta jusqu’à sa mort en 1991, expérimente après la guerre avec ce qu’elle nomme Photogenics, un “dessin” sur papier photosensible avec un crayon lumineux ou une autre source de lumière en mouvement (ci-contre, vers 1950). Cela donne des formes très douces, très rondes, où on croit reconnaître des courbes voluptueuses. On est aux frontières du surréalisme et de l’abstraction, c’est unique et très fascinant.

Heinz Hajek-Halke, dont je parlais il y a quelques jours, se détache du lot par sa poésie et son inventivité. C’est un maître du montage, du collage, de la composition, et il laisse aussi la place à l’imprévu, à l’accidentel, au fortuit. J’aurais voulu vous montrer sa “Prinzessin vom Hinterhof”, en déshabillé noir sur fond d’immeuble, mais n’ai pas trouvé de reproduction; j’espère bientôt vous en reparler. Voici deux photos de lui, des volutes de fumée se mêlant sensuellement (et qu’il titre Etreinte, 1946; tout en haut de la page) et un Autoportrait (vers 1958) où, sur fond de palissade, son oeil perçant émerge derrière l’appareil, dans un montage qui laisse perplexe.

Photos courtoisie du Jeu de Paume ou provenant du catalogue, excepté la photo n°3, de l’auteur. Crédits : 1 et 5 © Heinz Hajek-Halke / Collection Michael Ruetz / Agentur Focus / Cosmos; 2 © Peter Keetman; 4 © The Lotte Jacobi Collection, University of New Hampshire.


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