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Un roman sur Twitter ? La vie rêvée (7)

Publié le 22 juin 2010 par Perce-Neige
Un roman sur Twitter ? La vie rêvée (7)

Naturellement, ces bonnes résolutions ne durent pas. Il se révèle, très vite, incapable d'écrire quoique ce soit d'un peu sérieux. / Il hésite sans cesse. Déchire ses feuilles les unes après les autres. S'enferme à double tour. Se lève. Enrage. Renâcle et soupire. / Au bout de trois jours néanmoins, il respire. Entrevoit. Espère. S'amuse. Pas grand chose mais c'est un début. Un J'ai tant à faire ! Ces personnages, c'est pas une sinécure, croyez moi... Toujours les avoir à l'œil, c'est le secret. Nuit et jour. Un peu de patience, les amis. / Une seule minute d'inattention, et c'est la catastrophe absolue. Ils disparaissent dans la nature sans laisser de trace. Tout est perdu ! / En revanche, pour peu que vous sachiez leur parler, les amadouer, les flatter, les encourager, les féliciter, les prendre par l'épaule... / Pour peu que vous ayez un minimum de considération pour eux et que vous acceptiez de les écouter sans leur couper le sifflet à tout instant, / Pour peu que vous vous engagiez à défendre leur cause, avant la vôtre, et que vous suiviez le même chemin qu'eux, sans trop rechigner... / Sans trop tergiverser, sans trop contester, sans trop prendre des vessies pour des lanternes, sans trop exiger, sans trop vous agacer... / Alors ces personnages, plus ou moins imaginaires, sauront vous satisfaire au delà de ce que vous aviez espéré. Sauront vous surprendre... / Croyez-moi ! Certes, ces loustics se révèlent souvent n'être que de fieffés coquins. Affabulateurs de première. Manipulateurs au possible. / Pervers au dernier degré. Jurant la main sur le cœur. Discourant doctement dès que le besoin s'en fait sentir. S'offusquant. Rectifiant.../ Mais leurs mensonges nous rassurent. Nous confortent. Nous permettent. Nous disent. Nous entourent. Et chuchotent les plus folles rumeurs. / Paul n'était en effet pas loin, parfois, de penser qu'il avait rêvé. Et qu'à force d'écrire, d'imaginer, de planifier, de reprendre à zéro / A force de truffer ce qui n'avait pas encore la forme d'un roman d'anecdotes savoureuses, à force d'exagérer à outrance et à tout propos... / A force de lancer dans la bataille de nouveaux personnages aux contours incertains, à force de briser ses propres tabous, à force de percer / A force de creuser, de briser, de déchiqueter, de triturer dans les moindres détails d'improbables souvenirs, il finissait par confondre... / Et se mélangeait allègrement les pinceaux, convaincu que la réalité n'était jamais qu'une fiction parmi d'autres, plus drôles en vérité / Et qu'il était donc proprement impossible d'affirmer sans se tromper de bout en bout. Sauf qu'en l'occurrence Julien Savouré avait disparu./ Et que Paul avait beau délaisser une heure ou deux l'écriture de son roman pour prendre l'air, gesticuler sur la terrasse, s'aventurer... / Explorant les allées, martyrisant la pelouse, fouillant les buissons à la recherche du moindre indice, inspectant même la cave et le garage / Prenant à témoin le silence, retournant à l'étage, ouvrant les placards et forçant les portes Julien Savouré demeurait toujours introuvable. / Paul se rassurait comme il pouvait. Et donc, tant bien que mal... L'hypothèse la plus probable était que Julien ne tarderait pas à rentrer. / Pour une raison qui resterait peut-être longtemps mystérieuse, Julien s'était absenté. Trouvant refuge on ne sait où ! Vivant d'expédients. / Grattant la terre (qui sait ?) pour se nourrir de racines. Réfugié quelque part, à l'abri des pins, bercé par la rumeur des vagues. Fourbu. / Plusieurs fois, d'ailleurs, Paul avait cru reconnaitre ses pas dans le craquement du plancher. C'était lui ! Il n'y avait pas à en douter... / Ou bien, sur le mur de briques ensoleillé, l'ombre d'un buisson, balancé par le vent, rappelait à s'y méprendre à sa silhouette vagabonde. / Ou bien le murmure océanique, chanté par les vagues, colporté par les bourrasques, ressemblait, soudain, étrangement au timbre de sa voix... / Ou bien le téléphone sonnait, ouvrant sur un silence glacé où Paul entendait Julien qui ne parlait pas, ne bougeait plus, respirant à peine. / Ou bien ? Il n'allait pas tarder à devenir complètement fou et à n'être plus que le jouet d'hallucinations terribles. C'était sûr, bon sang. / Il suffisait d'un rien pour qu'il perde réellement pied au point de douter de lui-même bien plus encore que de la réalité. La nuit, surtout. / D'ailleurs, quarante huit heures chrono, montre en main, il n'avait pas fermé l'œil une minute. S'était juste barricadé à double tour... / S'acharnant sur les volets, l'un après l'autre, explorant une nouvelle fois les entrailles presque vides du frigo, récapitulant, résumant... / Reprenant. Sursautant à la moindre occasion. Extrapolant. Vu qu'il n'y a guère d'alternative, hélas... Ou bien je suis seul ici... Ou bien ? / Mieux valait ne pas y penser. Chasser de son esprit les hypothèses les plus terrifiantes. Ou les plus farfelues. Se rassurer. Se réfugier. / Dans la chambre de Julien Savouré au premier étage sur la droite, on pouvait respirer. Calme toi, bordel, il n'y a personne derrière toi. / Ni devant d'ailleurs. Ni nulle part. Tu peux crier à t'en déchirer les entrailles, on ne te répondra pas. Seul, parfois, l'écho... Personne. / Vraiment ? A force de reprendre confiance, de danser d'un pied sur l'autre, de rire de ses propres frayeurs, de s'asseoir sur le lit, ouah. / De se relever aussitôt, de souffler, de brusquer un peu plus la serrure, d'abandonner la partie, de s'effondrer à nouveau sur le lit, ouah.. / De se précipiter vers le bureau. D'inspecter. De s'aventurer dans les tiroirs. De jeter un œil. De peser le pour et le contre. A force... / On finit par trouver ce qu'il ne faudrait jamais chercher. Peut-être. Une preuve. Ou du moins un signe quelconque. Vous êtes sur la voie... / Car au milieu de tout ce fatras vous sentez le gros gibier. C'est comme si soudain l'air devenait plus difficile à respirer. Vous étouffez. / Pour un peu vous finiriez presque par vous affoler... Dégageant vite fait tout ce bazar un peu partout autour de vous. Il y en a des tonnes. / Des dossiers vaguement ficelés dans tous les sens. Des articles de journaux en veux-tu en voilà. Sagement découpés. Plus ou moins classés. / De vieilles factures. Des notices de montage et d'entretien n'ayant plus cours depuis longtemps. Des instructions dans tous les sens. / Avant toute utilisation serrez à fond le boulon B. En cas de panne se référer à la section 56. Le voyant vert doit maintenant clignoter ! / Ce dont vous vous moquez éperdument, il faut bien le dire. Si bien que vous refermez vite fait le manuel avant de l'expédier sur le tapis. / Sans prendre la peine d'en lire davantage. Ni même en profiter pour bazarder définitivement ce qui semble ne plus servir depuis des lustres. / Vous attardant plutôt sur le reste. Sur ce qui vous semble nettement plus intéressant. Nettement plus croustillant. Nettement plus. Hum... / Seulement, voilà. Rien n'est simple ! Ces lettres soigneusement ficelées, entreposées dans le fond d'un tiroir, vous en rappellent d'autres. / Et votre main hésite, chaque seconde un peu plus, à s'en emparer. Car vous vous souvenez de ce que vous avez découvert vingt ans plus tôt. / Vingt ans... C'est un peu exagéré, non ? Peu importe, au fond. Mieux vaut ne pas passer son temps à calculer. A retrancher. A additionner. / Car tout finit par disparaitre, se fondre, non ? C'était juste après la mort de Bistouri que vous étiez tombé sur ces horreurs. Par hasard./Un bon paquet de cochonneries. Des pages et des pages d'une écriture serrée. Que vous aviez du mal à reconnaître. Enfin... On se calme ? / Le fait est que tout cela lui était clairement destiné. Il n'y avait guère de doute là dessus, non ? Combien en avez vous lu ? Hein ?/ Suffisamment pour que vos yeux se brouillent. Que le soleil s'enfonce à dix pieds sous terre. Que la mer reflue jusqu'au delà de l'horizon. / Suffisamment pour que vous vous empêtriez dans tout ça. Suffisamment pour que Rose ne débarque, entrouvre la porte. Bon sang que fais-tu ? / Ce que je fais... Je me lève. Nous nous embrassons maladroitement. Ses lèvres tremblent plus encore que d'habitude. Je n'entends plus rien. / Ce que je fais... Je lui glisse à l'oreille que son chauffeur l'attend. Que nous allons de ce pas prendre la poudre d'escampette. Voyons... / Ce que je fais ? Je lui suggère d'attraper son sac à main sans perdre une minute. Et de me suivre plutôt que de dire n'importe quoi. Rose ? / Ce que je fais... Je lui annonce que nous allons nous gaver de friandises. Courir les magasins. Remonter l'avenue. Sillonner la ville. / Ce que je fais... Je lui promets du grandiose. Du mirobolant. Du trop beau pour être honnête. Je lui promets surtout d'écouter les oiseaux. / Si bien que plus tard, bien plus tard, dans la maison aux volets verts échouée au milieu des pins, vous en seriez presque à vous maudire. / C'est d'abord une photo, plus encore que le charabia qui l'accompagne, qui vous trouble. Se peut-il que vous ayez été aveugle à ce point ? / Les mariés sont au premier plan. Julien, radieux, semble esquisser un mouvement de la main vers le photographe. Attends, s'il te plait. / Je voudrais Delphine tout contre moi. Et Cerise quelque part dans le paysage. Et Jennifer un poil plus souriante. Et Laurent à mes côtés. / Quant à l'oncle Freddy j'exige, entends-tu, sa présence juste derrière à peine. S'il te plait... Mais l'autre n'en fait qu'à sa tête, voilà. / En d'autres circonstances, il faudrait s'emporter. S'estomaquer. Invectiver. Putain, j't'avais pourtant dit... Mais, là, franchement... / Si bien qu'on préfère grimacer. Théâtraliser à mort. Chialer pour de faux en s'effondrant sur l'épaule de Delphine. Laquelle n'en peut plus. / Danse d'un pied sur l'autre. Se confond en excuses. Redouble de simagrées. Éclate en sanglots. Et rit de bon cœur. Postillonne. Et s'enfuit. / Sur la photo, ça lui donne un air de travers. Le visage presque enfantin. Le regard illuminé d'une joie souveraine. Intensément amoureuse. / Imperceptiblement inquiète, oui, si tant est que l'on puisse dire, d'un éclat de rire, qu'il annonce la douleur qu'en génère la nostalgie. / Le fait est que Delphine, durant ce bref instant (un 60ème de seconde, tout au plus), ne semble guère attendre quoi que ce soit de Julien. / La future mariée, sur le cliché, paraît en effet étrangement attentive à ce que sa voisine de droite brusquement lui raconte. Tu es folle ! / Pas vraiment, non... Caroline Simon n'était pas folle. Simplement enthousiaste. Déterminée à sauter le pas. Indifférente aux dangers... / Je pars dans 8 jours, avait-elle ajouté dans un murmure, comme si son geste prenait d'autant plus de valeur qu'il ne fallait pas l'ébruiter./ Je reprends, ma chérie, avait observé Delphine en lui posant la main sur le bras (cette fois les rires ont cessé). Ce pays est en guerre... / Non tu ne me crois pas je le vois bien ! Une vraie guerre. De vraies bombes qui vous lacèrent le visage. Des enfants qui courent. L'horreur. / Non mais, franchement, c'est quoi cette histoire ? Tu n'es pas heureuse, ici, parmi nous ? Et puis sans toi, Caroline, que vais-je devenir ? / Ce, à quoi, la meilleure amie du monde n'avait rien répondu. Vu que Julien s'était aussitôt empressé de rassurer Delphine comme il pouvait. / S'interposant. Ricanant. Grimaçant. Tu n'es pas drôle, mon chou. Caressant. Insistant. Gloussant. Non laisse moi, je t'en prie. Suppliant... / En vain, naturellement. Caroline, sur la photo, semble déjà partie. Son regard, définitivement perdu sans doute, appelle d'autres horizons. / A quelques jours d'intervalles, d'ailleurs, sur le tarmac de l'aéroport de Mogadiscio, Caroline, la même, avec ses potes, ferme les yeux ! / Ce cliché là pourrait avoir été pris par un journaliste. Caroline visiblement comblée est au centre de la mêlée. On devine ce qui va suivre. / Mais nous n'en sommes pas là ! Laissons d'abord Delphine et Julien filer le parfait amour. Se jurer fidélité pour l'éternité (ne rions pas)./ Laissons les rejoindre les invités, bavarder, s'extasier, s'inquiéter du vent qui se lève (à peine), accepter le quart d'un verre. Stop !/ Se quitter brièvement des yeux (à peine). Se retrouver pour embrasser grand-papa. S'accorder un bref instant sous le tilleul. Se jurer... / Esquisser quelques pas. Le début d'un vertige. Suivre le rythme et la mélodie de l'accordéon. Applaudir l'arrière petit cousin. Tu connais ? Puis l'autre, adolescent, rouge de confusion, légèrement embarrassé avec son instrument sur les genoux, pianotant, retournant le compliment. / Acceptant de jouer jusqu'à ce que nuit s'ensuive. Et au delà. N'acceptant comme salaire que l'esquisse d'un demi sourire. Ou un peu plus. / L'ébauche d'une caresse au moment des adieux. Le vertige d'un parfum. Des jours entiers à rêver d'une étreinte. Je peux vous tutoyer ? / On ne peut rien contre les éléments. Avec les premiers éclairs, les premières gouttes de pluie, chacun sent l'imminence du danger. Julien ? / La grange, juste en bordure du champ, s'avère un refuge opportun. Les premiers se regroupent autour du buffet. S'empiffrent. Se moquent. / Quant aux derniers, le ciel en furie ne leur laisse aucune chance. Rincés de la tête aux pieds. Bousculés. Pataugeant dans la boue. Julien ? / Un seul reste sous la pluie (vous ne me croyez pas ?). Finit par s'abriter sous le noyer. Ignorant les cris et les quolibets. Indifférent ?


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