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Objets de toilette en Egypte antique

Par Rl1948

Quand, un jour prochain, nous déambulerons vous et moi de la salle 8 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre en direction de la salle 10 consacrée aux loisirs, en ce compris la musique et les jeux, nous ne manquerons pas de remarquer, sur notre gauche, un espace relativement exigu dans lequel les visiteurs n'ont d'autres choix que celui de se bousculer ou de fuir ailleurs, mais que malgré tout  les Conservateurs du lieu ont nommé salle 9.

Pour quelles raisons, diantre, m'objecterez-vous, alors que nous en sommes toujours à deviser de mardi en mardi devant la deuxième des vitrines de la salle 5, croyez-vous bon aujourd'hui de déjà évoquer la neuvième ?

Simplement, amis lecteurs, parce qu'un même thème s'y retrouve ; ou plutôt, parce que l'on peut y admirer des objets semblables, destinés à illustrer deux notions bien distinctes :  les sept vitrines qui se font face salle 9 n'ont en effet d'autres objectifs que mettre en exergue les bijoux, les vêtements et les soins de beauté qui tant intéressaient les belles fortunées de l'Egypte antique : pinces à épiler, miroirs et peignes le disputent là aux étuis à kohol, à onguents, et autres cuillers à fards ; ce que, après l'excellent catalogue qu'en a publié jadis l'égyptologue française madame Jeanne Vandier d'Abbadie (1899-1977), il est convenu d'appeler, dans la littérature égyptologique scientifique,  les objets de toilette.

En revanche, les quelques exemplaires que nous allons découvrir à partir d'aujourd'hui ressortissent uniquement à la thématique de la chasse et de la pêche  grâce à la décoration que chacun d'eux présente.

J'ai choisi d'entamer cette dernière partie de notre "étude" de la vitrine 2 par l'étui à kohol référencé N 1764.

N 1764.jpg

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Ce type d'objet vint, à partir du Nouvel Empire, généralement remplacer les vases à destination identique que l'on rencontrait au Moyen Empire. Celui-ci , en os, relativement abîmé, a été décoré en deux registres sur les 11, 3 cm de sa hauteur : au niveau supérieur, l'artiste a représenté des chèvres en train de gambader, tandis qu'en dessous - (les deux parties sont simplement séparées par deux incisions parallèles ) -, des oiseaux voletant au-dessus d'un fourré de papyrus ; soit deux environnements totalement opposés mais tellement représentatifs du paysage égyptien : le désert et les marais nilotiques.

Sur le cliché de droite, vous remarquerez à l'extrémité supérieure du cylindre, les deux trous qui, à l'Antiquité, recevaient les boutons destinés à maintenir fermé cet étui d'à peine 2, 7 cm, de diamètre ; mais  le couvercle d'origine n'a pas été retrouvé. 

Il n'est, ce me semble, nullement besoin d'insister sur le fait que le kohol, parfois aussi orthographié khôl, cette poudre noire réalisée à base d'une substance minérale contenant du plomb, la galène (sulfure de plomb = SPb), mélangée avec des graisses carbonisées, était utilisé par les Egyptiens, hommes et femmes d'une certaine classe sociale, aux fins de se protéger les yeux du soleil, mais aussi en guise de fard  bénéficier d'une beauté éternelle.

Ainsi, sur la stèle de Nefertiabet (E 15 591), une proche parente du roi Chéops (Ancien Empire - IIIème dynastie), que par ailleurs je vous conseille tout à l'heure, après notre entretien, d'aller admirer dans la cinquième vitrine de la salle 22.

Je vous entends déjà énoncer discrètement entre vous ce reproche que, trop souvent, je vous invite à vous rendre au premier étage ; elle est tellement riche, cette section égyptienne ; et  vous conviendrez que tout ne peut évidemment se trouver au même endroit !

Mais, bon prince, je vous en ai apporté une photographie.

Stèle Nefertiabet.jpg

Vous remarquerez tout de suite, au centre du monument, au-dessus de la table du repas funéraire, deux cases rectangulaires : dans la première d'entre elles, sous l'encadrement, sont énumérés en colonnes, à l'extrême gauche, de l'encens, puis de l'huile ; à l'extrême droite, des figues, puis des fruits de l'arbre appelé iched et, au centre :

Fard-a-paupieres-vert-et-fard-noir---Stele-de-Nefertiabe.jpg

à gauche, le fard vert, à base de malachite (ouadj, en égyptien) et à droite, le fard noir, le kohol, mésed, à base de galène ; les deux lexèmes étant évidemment déterminés par l'idéogramme de l'oeil.

Il faut savoir que ces produits entraient également dans la posologie de différents remèdes pour, notamment, chasser le sang des yeux.

Bien que le monde égyptologique ne soit pas encore - et ne sera probablement jamais - véritablement renseigné sur le lieu exact de leur découverte, il semblerait que deux des papyri médicaux les plus importants que nous ayons actuellement à notre disposition - le Papyrus Smith et le Papyrus Ebers -, pourraient avoir été retrouvés dans les magasins du Ramesseum, le célèbre temple funéraire de Ramsès II, maintenant en ruines sur la rive ouest de Thèbes.

Quoiqu'il en soit, il appert qu'aux alentours de 1862, ces deux documents provenant évidemment d'une fouille clandestine furent acquis à Louxor par un amateur d'antiquités américain, Edwin Smith (1822-1906). Il garda par devers lui le premier d'entre eux, un traité chirurgical que vous pouvez feuilleter ici, et auquel il attribua son nom ; et vendit à l'égyptologue allemand Georg Ebers (1837-1898), le second, en réalité le plus grand - 110 pages et 877 paragraphes ! -, qui, également rédigé en hiératique, brasse l'ensemble des pathologies rencontrées et des prescriptions afférentes conseillées par les médecins égyptiens durant les deux premiers millénaires de l'histoire du pays : il date en effet d'approximativement 1550 avant notre ère, soit de la XVIIIème dynastie, Nouvel Empire, sous le règne d'Amenhotep Ier.

Cet important recueil de la pharmacopée des rives du Nil qui, il est bon de le souligner au passage, inspira grandement la médecine grecque dans laquelle la nôtre puise ses traditions, est actuellement conservé à l'université de Leipzig, et est toutefois consultable en ligne.

Dans l'esprit des égyptologues, ce manuscrit traduit et magistralement publié par Ebers en 1875, demeure le véritable compendium de la pensée médicale d'une époque. 

Ce qui constituait les problèmes des malades égyptiens s'y trouve répertorié : du simple traitement de la toux, des douleurs dentaires, des brûlures, des morsures ou des abcès jusqu'aux troubles gynécologiques et aux diverses tumeurs cancéreuses, tout est consigné dans cette somme inestimable ; en ce comprises, les prescriptions ophtalmologiques qui représentent une part non négligeable du corpus - §§ 336 à 431.

C'est à cela, vous vous en doutez, que je voulais en venir. Les affections oculaires, pour lesquelles donc, le Papyrus Ebers propose une petite centaine de remèdes, furent en effet extrêmement fréquentes dans ce pays constamment baigné par les puissants rayons de Rê. Et dans un grand nombre des médications énoncées, il était prévu de, notamment, (§ 342)  farder les yeux avec de la galène (kohol qui) ... sera broyé finement, préparé en une masse homogène, et appliqué sur le dos des yeux (= les paupières). 

Au § 348, l'on peut lire la prescription d'un remède pour chasser le sang qui est dans les yeux : de l'ocre rouge : 1; de la malachite : 4 ; de la galène : 1 ; du bois pourri : 1 ; de l'eau : 1. Ce sera broyé finement et placé dans les yeux.

Au § 355, les mêmes ingrédients, mais dans des proportions différentes, sont requis pour soigner un orgelet. 

Parfois, le remède proposé peut sembler quelque peu plus délicat à réaliser et,  pour nous Occidentaux cartésiens, relever de pratiques magico-religieuses.

Ainsi, au § 368 :

Autre remède pour chasser les substances malignes qui causent le bidy (?) qui est dans les yeux : galène véritable. Sera mise dans de l'eau, dans un vase hénou, quatre jours de suite. L'opération sera renouvelée en plaçant ceci dans de la graisse d'oie quatre jours de suite. La préparation sera lavée avec du lait d'une femme ayant mis au monde un enfant mâle. Faire qu'elle se dessèche neuf jours de suite. Elle sera broyée, et une boulette d'oliban frais sera placée sur elle (= y sera ajoutée). Farder les yeux avec cela.  

Je pourrais, vous vous en doutez aisément, amis lecteurs, multiplier ces exemples, mais je préfère terminer mon intervention d'aujourd'hui en récusant une antienne ressassée depuis des lustres qui voudrait, selon la toxicologie moderne, que le plomb entrant dans la composition du kohol égyptien menaçait la santé de ceux qui s'en fardaient les yeux.

En effet, dans son édition du 9 janvier 2010, le journal français Le Monde a publié un article signé Hervé Morin intitulé Les vertus cachées du khôl égyptien dans lequel Philippe Walter, du Centre de recherche et de restauration des musées de France-CNRS, et ses collègues, associés aux membres de l'équipe de l'électro-chimiste moléculaire Christian Amatore, de l'Université Pierre-et-Marie-Curie, font état de l'analyse de plusieurs exemplaires de résidus de kohol retrouvés solidifiés au fond de vases et d'étuis appartenant au  Musée du Louvre : au terme de manipulations scientifiques qu'il me serait trop difficile d'exposer ici, ils sont arrivés à la conclusion que ce produit, parcimonieusement utilisé, offrait d'indéniables vertus prophylactiques et qu'il assurait bien une protection contre les infections oculaires.

Ainsi scientifiquement prouvé son côté immunitaire, le kohol remplissait parfaitement deux rôles : celui de protéger les yeux des Egyptiens qui l'utilisaient mais aussi celui de tenter de les guérir des infections ophtalmologiques dont ils faisaient fréquemment les frais quand, mélangé à d'autres produits d'origine végétale ou animale, voire humaine, il était appliqué en une sorte de pommade ou de collyre.

De sorte que voilà non seulement corroborées les prescriptions du Papyrus Ebers mais, et ce n'est pas le moindre des avantages, comprise la raison pour laquelle, des vases ou des étuis comme celui que nous avons rencontré il y a quelques instants dans cette vitrine, furent exhumés en grand nombre dans le mobilier accompagnant les défunts dans l'Au-delà ; et, consécutivement, se retrouvent ainsi exposés dans les collections égyptologiques du monde entier.

(Bardinet : 1995, 15-6 ; ibid.178 ; ibid. 306-8 ; Vandier d'Abbadie : 1972, 61-2 ; Ziegler : 1990, 187-9 ;


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