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Gueule de loup

Par Borokoff

A propos de La Bocca Del Lupo de Petro Marcello 3 out of 5 stars

Gueule de loup

A Gênes, la vie en bribes et en flashes-back d’Enzo, 50 ans, braqueur multirécidiviste tombé amoureux de Mary, un travesti, lors de l’un de ses séjours innombrables en prison. Leur amour a résisté au temps, aux années de privation. Mais Enzo et Mary ont bien vieilli, et Gênes a changé…

Alternant images d’archives de Gênes et plans d’Enzo déambulant dans sa cuisine ou les ruelles sombres des quartiers de Croce Bianca, Via Prè ou encore Sottoripa, La Bocca Del Lupo est un documentaire en forme de double portrait croisé entre un gangster d’origine sicilienne et qui a passé au total 27 ans en prison et sa ville d’adoption, Gênes, dont le visage s’est complètement métamorphosé en 50 ans.

Enzo fait partie d’une autre époque, d’une ville du Nord de l’Italie qui accueillait autrefois une grande main d’œuvre et était idéalement située pour les travailleurs voulant embarquer pour les Amériques.

C’est d’abord de sa fascination pour le passé de Gênes, serrée entre les montagnes et la mer, dont le film et le réalisateur font part. Mais « les événements survenus en 2001, lorsque le chef lieu de la Ligurie a été le théâtre de violences et de répressions, ont changé la vie politique de notre pays.. » a pu dire Pietro Marcello dans une interview. La vie politique… et le visage entier de Gênes.

Qui est Enzo exactement ? Un poète taulard, un  « géant au cœur tendre » comme l’appelle Mary. Dans les lettres d’amour d’Enzo à Mary qu’elle relit en voix-off (il l’appelle « ma garce » ou « connasse »), on sent l’affection qu’il lui porte et cet art à vif, cru de la litote. La poésie d’Enzo parle des fantômes et des ombres, du passé glorieux d’un Gênes qu’il ne reconnait plus et qui l’effraye même après toutes ces années de prison.

Surgit alors la figure de Jean Genet et des petits voyous qu’il aima en prison (voir le très beau recueil de Le condamné à mort, édition hors commerce, Fresnes, septembre 1942.). Dans une moindre mesure, le physique imposant d’Enzo évoque celui de Cravan, le « poète boxeur ».

Il y a bien une nostalgie dans La Bocca Del Lupo. Celle d’Enzo, le gros dur au cœur sensible, bien sûr, mais aussi et d’abord celle de Pietro Marcello, qui a puisé dans les souvenirs enchanteurs et autres récits merveilleux de son père marin pour alimenter son documentaire. La nostalgie est présente dans ces images floues et en noir et blanc du Gênes d’autrefois qu’accompagnent les vers lus à haute voix d’Enzo, mais aussi dans le grain épais et le clair-obscur du grand corps d’Enzo flânant dans les ruelles génoises. Visage en gros plan.

Enzo, un marginal ? Sans doute. Le quartier où il vit ressemble à un bas-fond, un sous-sol dostoïevskien, mais il y a en lui une telle énergie, une telle force de vivre qu’on le perçoit peu à peu comme une force de la nature capable de renaitre constamment. Le contraste est saisissant entre les traits épais du visage d’Enzo (gueule de loup à la Maxime Gorki) et la grande sensibilité du personnage.

Presque incroyable de penser que Pietro Marcello est tombé sur lui par hasard alors qu’il ne savait pas encore à travers quel personnage il pourrait raconter l’histoire de Gênes. « C’est arrivé devant la boulangerie d’un vieux monsieur de la région des Pouilles. C’est ici que j’ai vu Enzo pour la première fois et j’ai tout de suite compris que son visage exprimait le cinéma que je souhaitais faire. J’ai toujours pensé qu’on ne juge pas un acteur par ses capacités techniques, mais surtout par l’histoire que son visage raconte. Enzo n’est pas un acteur, mais il aurait pu l’être. Il m’a tout de suite montré les marques des coups qu’il avait reçus, les balles qui sont restées dans ses jambes et qui proviennent de sa dernière rixe avec deux policiers. Le boulanger m’a parlé de ce quinquagénaire sicilien, connu aussi comme “Enzo le Roc” et “Enzo Moustache”, survivant d’un sous-prolétariat aujourd’hui disparu, qui a grandi depuis l’âge de deux ans dans la rue Prè, et qui était le fils d’un personnage de la vieille Gênes, le vendeur de rue Pippo (“ briquets, cigarettes, gadgets, grenades ! ”) »

Parfois, la petite histoire dépasse la grande…

www.youtube.com/watch?v=Pjljxp0zMcY


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