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Le livre numérique n’a pas besoin des libraires

Par Traceursdetout

Mais au fait à quoi peut bien servir un libraire en 2010? Cette question, je me la suis toujours posée quand j’étais dans le papier et je continue à me la poser à la puissance 10, aujourd’hui que j’ai décidé de retrousser mes manches, la quarantaine passée, pour relever le défi de l’édition numérique. Et je peux vous dire que c’est un sacré défi de trouver une réponse.

Je repose ma question: mais au fait à quoi peut bien servir un libraire à l’ére du livre numérique? Je sais que je ne vais pas me faireLe livre numérique n’a pas besoin des libraires des amis dans le milieu, mais à part quelques rares exceptions que je pourrais compter sur les doigts d’une main amputée de moitié, je ne pense pas que cela va changer grand chose. Et puis de toutes façons, les libraires ne viendront pas lire mon blog. Ils ont déjà de la difficulté à comprendre à quoi peut bien servir un réseau social, alors lire un billet sur un blog qui va parler de leur inertie face au livre numérique…Mais ce n’est pas grave. D’autres vont le lire pour eux, j’en suis certain, et leur passer le message.

Ce billet m’a été inspiré pour une actualité toute récente: le lancement chaotique des applications de lecture pour iPad « La Hutte » et « Eden Reader ». Je vous invite à aller vous rafraîchir la mémoire ICI (surtout bien lire tous les commentaires) et à revenir me voir après. Conçues par DeMarque en collaboration avec l’ANEL, ces applications de lecture/librairie, contrairement à l’iBookStore, tiennent absolument à ce que le consommateur/lecteur, passent par une librairie pour acheter un ebook. L’intention est louable, bien que vous savez déjà ce que j’en pense, mais un des plus grands défauts de ces deux applications qui ont certainement leur raison d’être, c’est de penser à faciliter la vie des libraires, mais pas celui du consommateur. C’est un comble et je vais tâcher de vous expliquer pourquoi en me basant sur du concret. Le plus choquant dans l’épisode du lancement de la « Hutte » et de « Eden Reader », c’est la totalement indifférence des libraires qui, à aucun moment, se sont portés au secours de Clément Laberge, le vice-président du service numérique DeMarque, qui a fait preuve de courage et d’humilité pour répondre à toutes les attaques des blogs spécialisés. C’est quand même choquant d’un voir comment ce gars s’est démené sans qu’un seul libraire ne vienne le soutenir, pas un seul.

Le livre numérique n’a pas besoin des librairesJ’ai été le premier à critiquer La Hutte, tout comme j’ai été sans doute le premier, à féliciter personnellement Clément Laberge, en privé pour son courage et sa détermination. Pour autant, il ne me fera pas changer d’avis sur l’inertie évidente des libraires face aux livres numériques. En fait, de vous à moi, ils n’en ont rien à foutre, n’y comprennent rien et surtout ne veulent pas se donner la peine d’y comprendre quelque chose. En revanche, lorsqu’il s’agit de se plaindre, ils répondent présents. En bons perroquets, en répétant le discours martelés par les syndicats professionnels et les gros éditeurs (qui ont aussi le monopole de la distribution du livre papier), les libraires craignent pour leur avenir mais en même temps attendent qu’on trouve la solution pour eux. Ils critiquent Apple, Google, Amazon, parce que ça fait bien de répéter le discours négationiste de leurs principaux pourvoyeurs (les grosses maisons d’édition, les usines à best-sellers), discours relayé par une presse condescendante  qui ne consacre jamais une ligne sur la création littéraire numérique et ceux qui la font (c’est vrai que j’ai déjà lu quelque part qu’une oeuvre littéraire ne peut exister que si elle est imprimée sur du papier!). Sans compter notre ami Frédéric Beigbeder qui dans l’Express vient d’en rajouter une (épaisse) couche. Les libraires se disent victimes. C’est pratique comme point de vue, ça évite de se remettre en question comme ça. Les libraires sont devenus des étalagistes aussi bien dans leur boutique que sur leur site Internet et attendent que le client entre dans la boutique ou vienne surfer. Les libraires se plaignent de la désaffection des clients mais que font-ils réellement pour promouvoir la lecture, que ce soit sur papier ou sur support numérique. Où sont-ils quand de courageux guerriers comme Clément Laberge tentent de trouver des solutions, prennent des risques pour sauver le métier de libraire? Où sont-ils les libraires sur le web, les réseaux sociaux, Twitter, Facebook? Les éditeurs et les auteurs y sont, et ils sont de plus actifs. Mais, eux, les libraires, où sont-ils, dans quoi investissent-ils la commission qu’ils prélèvent sur chaque livre vendu, papier ou numérique?

De plus en plus, les éditeurs, avec le numérique et le Web 2.0, vont se passer des libraires. Ils ne le diront pas à haute-voix, pas encore, même s’ils le pensent fortement. Le numérique va accentuer le phénomène de l’auto-édition qui est pourtant pas une forme d’édition que j’encourage. Mais c’est un fait qu’il serait irresponsable d’ignorer lorsqu’on est censé être un professionnel de la chaîne du livre. Les libraires avaient une carte à jouer. Je dis bien « avaient ». Mais c’est déjà trop tard: Apple, Google et Amazon ont pris les devants. Je ne suis pas dupe, ils veulent faire du business et je ne crois pas que ce soit par l’amour du livre et de la littéraire. Mais en bout de ligne, c’est le consommateur qu’ils cherchent à contenter. Après tout, le libraire devrait aussi avoir les mêmes motivations, à défaut d’autre chose.


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