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Le code de la route et le port du niqab, par Rémy Josseaume et Philippe Yllouz

Publié le 06 juillet 2010 par 40millionsdautomobilistes

Cet article est paru ini­tia­le­ment le 2 juillet sur le site Vil­lage de la Jus­tice — La com­mu­nauté des métiers du droit.

Le code de la route et le port du niqab, par Rémy Josseaume et Philippe Yllouz
Le 13 décembre pro­chain, pour la pre­mière fois, un juge de proxi­mité dira en droit si le port du niqab est ou non com­pa­tible avec la conduite d’un véhi­cule motorisé.

S’il n’est pas rare que l’actualité du droit auto­mo­bile rejoigne les débats socié­taux, peu auraient pensé à l’inverse que ce débat socié­tal se dépla­ce­rait sur le ter­rain du conten­tieux de la sécu­rité routière.

Une conduc­trice por­tant le niqab a été ver­ba­li­sée, rappelons-le, sur le fon­de­ment de l’article R.412–6 du Code de la route.

Il dis­pose que « tout véhi­cule en mou­ve­ment ou tout ensemble de véhi­cules en mou­ve­ment doit avoir un conduc­teur. Celui-ci doit, à tout moment, adop­ter un com­por­te­ment pru­dent et res­pec­tueux envers les autres usa­gers des voies ouvertes à la cir­cu­la­tion. Il doit notam­ment faire preuve d’une pru­dence accrue à l’égard des usa­gers les plus vulnérables ».

D’une manière géné­rale, il « doit se tenir constam­ment en état et en posi­tion d’exécuter com­mo­dé­ment et sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent ».

De façon spé­ciale, « ses pos­si­bi­li­tés de mou­ve­ment et son champ de vision ne doivent pas être réduits par le nombre ou la posi­tion des pas­sa­gers, par les objets trans­por­tés ou par l’apposition d’objets non trans­pa­rents sur les vitres ».

Le fait, pour tout conduc­teur, de contre­ve­nir à ces dis­po­si­tions est puni de l’amende pré­vue pour les contra­ven­tions de la deuxième classe (22 euros).

L’immobilisation du véhi­cule peut être pres­crite en cas d’infraction aux dis­po­si­tions de l’alinéa 2.

Cette dis­po­si­tion d’ordre géné­ral a voca­tion à s’appliquer à tous les com­por­te­ments sus­cep­tibles d’affecter la vigi­lance des conducteurs.

Par sa rédac­tion pour le moins éva­sive, cet article per­met à un agent ver­ba­li­sa­teur de sanc­tion­ner un conduc­teur pour n’importe quel com­por­te­ment qu’il juge­rait incom­pa­tible avec la conduite d’un véhicule.

La juris­pru­dence des tri­bu­naux de police a déjà condamné la tenue en mains et/ou lec­ture d’une carte rou­tière, la consom­ma­tion de den­rées, l’usage d’un lec­teur bala­deur ou MP3, la conduite avec un bras plâ­tré, la conduite d’un deux roues sur la seule roue arrière, etc.).

Récem­ment un auto­mo­bi­liste a été ver­ba­lisé pour avoir fumé au volant de son véhi­cule et un cycliste pour avoir tenu son gui­don d’une seule main en rou­lant au milieu de la chaussée.

Affir­mer que ces ver­ba­li­sa­tions ne sont pas légales au seul motif qu’elles ne sont pas pré­vue par le Code de la route est inopérant.

Pour cause l’article visé n’énumère évi­dem­ment pas une liste de com­por­te­ments (infi­nis) qui pour­rait être sanc­tion­nés sur ce fondement.

La des­crip­tion de tous les types de « com­por­te­ments à risque » serait longue et appor­te­rait, par là même, une indé­niable com­plexité à l’état du droit et des obli­ga­tions s’imposant aux conduc­teurs. Cette liste ris­que­rait d’être constam­ment incom­plète du fait de la variété infi­nie des situa­tions, de l’évolution des com­por­te­ments et du pro­grès tech­nique (voir le sens de la réponse par­le­men­taire A/N du 29 juin 2010, p.7269, ques­tion 73738).

Ce même fon­de­ment est d’autant plus incon­tes­table lorsque l’agent ver­ba­li­sa­teur a constaté une faute conco­mi­tante et consé­quente à l’usage ou à la tenue d’un objet (tra­jec­toire déviante, défaut de cli­gno­tant etc.).

Avant le décret 2003-293 du 31 mars 2003 et l’entrée en vigueur de l’article R.412–6-1 du Code de la route qui inter­dit de façon auto­nome la tenue en mains du télé­phone por­table, son usage était réprimé sur le fon­de­ment de l’article R.412–6 al.2.

La Cour de cas­sa­tion a validé cette inter­pré­ta­tion répres­sive dans un arrêt du 2 octobre 2001 (pour­voi : 01–81099, bull.crim. 2001 n° 196 p. 635) en jugeant que la per­sonne qui, tout en condui­sant un véhi­cule en mou­ve­ment, fait usage d’un appa­reil télé­pho­nique tenu en mains, n’est pas en état d’exécuter com­mo­dé­ment et sans délai les manœuvres qui lui incombent.

Même, il va sans dire, s’il n’a pas com­mis de faute par­ti­cu­lière de conduite.

Plus récem­ment, le Code de la route a incri­miné le fait de pla­cer dans le champ de vision du conduc­teur d’un véhi­cule en cir­cu­la­tion un appa­reil en fonc­tion­ne­ment doté d’un écran et ne consti­tuant pas une aide à la conduite ou à la navi­ga­tion (art. R412-6–2).

Pour trou­ver à s’appliquer et ren­trer en voie de condam­na­tion, la juri­dic­tion doit consta­ter que l’obligation de se tenir constam­ment en posi­tion d’exécuter com­mo­dé­ment et sans délai toutes les manœuvres néces­saires ne s’applique qu’au conduc­teur d’un véhi­cule en cir­cu­la­tion (Cass.crim., 13 mars 2007, pour­voi 06–88537, Bull. crim. 2007 n° 77 p. 387).

Rame­nées au port du niqab au volant, deux ques­tions peuvent ainsi être discutées :

  1. La conduite avec un niqab peut-elle être répri­mée si les agents ver­ba­li­sa­teurs esti­maient que son champ de vision était altéré ? En l’état actuel du droit, cette ver­ba­li­sa­tion sur ce seul fon­de­ment n’a pas de fon­de­ment légal puisque que le Code de la route limite expres­sé­ment et spé­cia­le­ment cette exi­gence de visi­bi­lité « par le nombre ou la posi­tion des pas­sa­gers, par les objets trans­por­tés ou par l’apposition d’objets non trans­pa­rents sur les vitres ». La pour­suite ne s’applique qu’aux acces­soires du véhi­cule ou à rai­son du trans­port de ses passagers.
  2. La conduite avec un niqab ne permet-elle pas à l’automobiliste d’exécuter toutes les manœuvres qui incombent aux conduc­teurs ? L’agent ver­ba­li­sa­teur a pu sur cette inter­pré­ta­tion plus géné­rale esti­mer que la ges­tuelle du conduc­teur était néces­sai­re­ment ralen­tie et alté­rée par la tenue en cause et/ou que l’appréciation et l’écoute de l’environnement exté­rieur de cir­cu­la­tion ne pou­vait être suf­fi­sam­ment appré­cié et anti­cipé en rai­son de la tenue. Enfin notons que si la conduc­trice n’avait pas été inter­pel­lée in situ, l’autorité de pour­suite n’aurait pu action­ner les dis­po­si­tions de l’article L.121–3 du Code de la route qui pré­voit une pré­somp­tion de res­pon­sa­bi­lité pécu­niaire du titu­laire du cer­ti­fi­cat d’immatriculation. La Cour de cas­sa­tion cen­sure une telle pré­somp­tion de res­pon­sa­bi­lité pénale en dehors du cadre des infrac­tions limi­ta­ti­ve­ment visées par les dis­po­si­tions de l’article L.121–3 du Code de la route (Cass.crim., 28 sep­tembre 2005, pour­voi 05–80347, Bull.crim. 2005 n° 242, p.857). Le retrait de point en pareille situa­tion est dépourvu de fon­de­ment légal (CAA Bor­deaux, 10 juin 2008, affaire 07BX00245).

Rémy Jos­seaume, doc­teur en droit pénal et Phi­lippe Yllouz, avo­cat à la Cour, tous deux membres de la Com­mis­sion juri­dique de « 40 Mil­lions d’Automobilistes »


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