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Nationaliser les banques, c'est possible et même recommandé

Publié le 18 juillet 2010 par Vonric Vonric

*Proposition*Voici un verbatim de Frédéric Lordon, extrait de l'émission d'@rrêt sur images du 14 mai 2010:

"A l'automne 2008, il m'avait semblé que pour des raisons strictement conjoncturelles, la nationalisation d'ensemble du secteur du crédit était la chose a faire, pour la raison suivante: le choc que venait de recevoir le système bancaire était si monumental que ses effets étaient immédiatement prévisibles, çà allait se finir dans une contraction du crédit absolument sanglante d'où résulterait une récession. Nous y sommes.

Comment aurions nous pu éviter cette situation là ? Je me souviens à l'époque que les pouvoirs publiques avaient déjà mis des sommes épaisses sur la table pour renflouer le secteur bancaire et commençaient à s'inquiéter dès le début de l'année 2009 qu'ils ne venaient voir aucunes contreparties de la part des banques aidées sous la forme d'un encours de crédit, etc, etc.

Or d'abord le secteur bancaire n'est pas connu pour sa philanthropie et son altruisme, mais même si on lui prêtait les plus hautes vertus du monde dans la matière, ça n'aurait pas fait l'affaire pour une raison extrêmement simple : c'est que chaque banque individuellement confrontée à une conjoncture macro-économique extrêmement défavorable trouvera, et elle a raison, que la bonne chose à faire est de réduire ses encours de crédit ; car on ne lutte pas tout seul contre la vague géante.

Et chaque banque faisant par devers elle ce raisonnement, toutes restaient les deux pieds dans le même sabot. Donc le problème qui s'est posé à l'automne 2008 étaient un problème de coordination du secteur bancaire. On pouvait éviter la récession à partir du moment où toutes les banques de manière coordonnée rouvraient leurs encours de crédit, se mettaient à soutenir la consommation et on passait le mauvais moment. Or la coordination est précisément ce qui est interdit en économie de marche puisque c'est sa définition même : c'est une économie sans coordination centrale. Or là elle était impérativement requise.

Qui pouvait produire cette coordination ? Il n'y a qu'une main invisible qui puisse le faire, qui soit assez puissante, c'était celle de l'Etat. Et il n'y avait pas trente-six moyens pour le faire, c'était la nationalisation. C'est à dire la prise des commandes en direct et rouvrir dans l'ensemble (pas n'importe comment) tous les robinets du crédit.

Le deuxième argument est qu'à l'automne 2008 on est passé  très très prêt de l'accident nucléaire, c'est à dire de la matérialisation du risque systémique avec effondrement d'ensemble du secteur bancaire. Il faut bien voir ce que ça représente : j'ai toujours rencontré des difficultés à plaider la cause du sauvetage des banques parce qu'on a dit "oh là là, vous voulez sauver ces pourris, ces fripouilles, etc". Je dit oui, car c'est notre intérêt bien compris. Si nous ne les sauvons pas, nous mourrons la gueule ouverte dans la semaine qui suit. Je ne manquais pas d'ajouter : il s'agit de les sauver, mais pas sans contrepartie. En effet, les banques sont dépositaires d'un bien publique vital pour la société qui est la sécurité des encaisses monétaires du pays. Si le secteur bancaire s'écroule, toutes vos petites économies partent en fumées. Ce qui veut dire que dans les deux jours qui suivent, vous voulez aller faire vos courses, tirer de l'argent au distributeur de billet, c'est pas possible, ou faire des chèques c'est pas possible. Il y a l'argent que vous aviez dans la poche, point. 

J'ajoute un troisième argument qui est celui qui est développé dans le papier auquel vous faites référence [NDLR: le blog] qui consiste à observer que le secteur bancaire occupe une position très particulière dans la structure sociale du capitalisme qui oblige tous les autres agents à en passer par lui. Le crédit est vital à l'activité économique. Or là, dès que les banques sont atteintes, le contre-coup se fait immédiatement sentir en terme de restriction du crédit. Et d'ailleurs les banques tirent argument de cette position la pour expliquer que si jamais on leur fait le moindre mal, sous la forme d'un surplus de régulation, une taxation de leurs profits, etc, il en résultera une réduction du crédit et que c'est tout le monde qui sera puni. Alors ce discours est scandaleux, mais le pire est qu'il est objectivement bien fondé. En effet la position du secteur bancaire dans le capitalisme les rend dépositaires de fait de ce bien publique qui est la continuité des financements des agents économiques. Je dis qu'il est intolérable de laisser faire une capture privative d'un bien commun.

Donc on renationalise. On paye comment?

Comment on passe d'une économie avec secteur bancaire privé à une économie avec secteur bancaire non-privé ? Je ne sais pas. Je n'ai pas encore eu le temps de penser l'ingénierie de ces grandes transitions. En revanche je peux la penser dans le scenario du cataclysme. Il y a un scenario dans lequel l'exercice d'ajustement budgétaire ultra violent, généralise à l'échelle européenne, se révélera pour ce qu'il est, c'est à dire intenable. Que se passer-t'il à ce moment la ? Il y aura déchaînement d'une crise des dettes souveraines mais avec contagions ajoutée, c'est à dire pas seulement la Grèce mais 6 ou 7 pays européens simultanément.

Alors là ça ne passe plus du tout. On en sera réduit à un point ou la seule solution qui restera ouverte sera : le défaut (il faut bannir le terme de faillite utilisé pour les agents privé. Un État ne fait pas faillite, il arrête de payer. Il n'est jamais mort de faire défaut, au contraire il s'en porte souvent mieux). Donc si on passe la borne du défaut, on rentre dans un monde inconnu. Le défaut souverain aurait la propriété de propager des pertes immenses à travers tout le secteur bancaire dont les bilans sont farcis de titres de la dette publique et qui étaient réputés les plus surs jusqu'à présent et dont on s'apercevra qu'ils vont être massivement dévalorisés. Retour à la case départ, c'est à dire en 2008. Pas sous l'effet de la dégringolade des crédits immobiliers, mais sous l'effet de la dégringolade des dettes souveraines. Alors là on se retrouve en situation d'avoir à sauver le secteur bancaire une 2e fois. 

Alors voila ma modalité de nationalisation du secteur bancaire à ce moment là la saisie (donc 0 euros). Et l'argument est : nous n'avons le choix (en cette situation très précise) qu'entre deux états du monde et deux seulement : le premier on laisse les banques faire faillite et les actionnaires perdent tout et nous mourrons avec. Le deuxième état du monde est : nous saisissons les banques, nous vivons à nouveau, et en effet les actionnaires perdent tout également. Donc les actionnaires perdent tout dans les deux états du monde, simplement il y en a un où on reste vivant et ils sont seuls à mourir. Moi je n'hésite pas un instant."

On notera aussi qu'il parle longuement de la crise et réclame la renationalisation des banques sur son blog hébergé par le Monde Diplomatique.


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