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La graine et le mulet

Par Rob Gordon

Il fallait avoir la tête sur les épaules pour survivre au raz-de-marée L'esquive. La graine et le mulet prouve qu'Abdellatif Kechiche est un type équilibré, préférant poursuivre ses projets les plus personnels plutôt que de céder à l'appel du star-system. Interprété en majeure partie par des comédiens non professionnels, son film impressionne par sa grande maîtrise. La direction d'acteurs est en tous points remarquables, et la mise en scène démontre l'amour porté aux êtres humains autant qu'aux personnages. Et c'est parti pour 2h30, ni plus ni moins, d'une chronique familiale à la fois tendre et cruelle.
Kechiche joue la carte de l'authenticité, quitte à tomber dans l'excès. Il y a évidemment une certaine beauté dans le fait de voir cette grande famille partager le couscous maternel en discutant de choses et d'autres, simplement portée par un amour palpable. Mais lorsque ce genre de scène monopolise un quart d'heure de film, ça frôle la complaisance et la facilité. Heureusement, le film finit par se trouver un propos lorsque Slimane, le père solitaire et mutique, se met en tête d'ouvrir un restaurant sur un bateau. Le récit des galères, des premières joies et des tourments qui vont avec est une véritable réussite. Sans manichéisme, le metteur en scène pointe du doigt ce qui est important, le désir d'entreprendre et de ne pas céder aux sirènes de la passivité.
Le film aurait sans doute gagné a être plus resserré, la longueur de certaines scènes n'ayant pas de réelle justification. Ce spectacle-là n'a rien d'ennuyeux, mais on l'aurait voulu plus dense. C'est vrai en particulier dans la dernière partie du film, qui étire jusqu'à la rupture quelques scènes potentiellement très fortes. Le propos est édifiant, presque trop, et le constat d'un pessimisme qui fait froid dans le dos. Le problème, c'est qu'il faut vingt bonnes minutes à Kechiche pour nous emmener vers sa conclusion, là où un peu plus de suggestion aurait été souhaitable. À l'arrivée, on se retrouve le cul entre deux chaises face à un film sincère et plein d'enseignements mais dont le traitement finit par sembler presque scolaire tant il est appuyé. La graine et le mulet ressemble à un petit film de Ken Loach. C'est déjà énorme, certes ; mais au vu de ses deux premiers films (et surtout le formidable mais méconnu La faute à Voltaire), nul doute qu'on pouvait attendre bien mieux d'Abdellatif Kechiche.
6/10

écrit par Rob Gordon


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