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Machine gun, de Jean-Christophe Belleveaux (par Georges Guillain)

Par Florence Trocmé

Belleveaux  Je ne connais pas Jean-Christophe Belleveaux. Les hasards des rencontres m’ont simplement mis un jour entre les mains ce « machine gun » qu’il a publié aux éditions Potentille. Certes il s’agit en apparence d’un simple livret ne comprenant qu’une vingtaine de poèmes. Un peu court, m’opposera-t-on, pour parler ici d’œuvre et mettre cette publication en parallèle avec tel ouvrage de la collection blanche de Gallimard ou tel autre de chez Poésie/Flammarion que dirige de manière experte depuis plus de quinze ans un poète  comme Yves Di Manno.  
Mais qu’attend le véritable lecteur – ce lecteur « bénévole » dont parle Rabelais, quand il lit de la poésie ? D’abord, je pense qu’il attend qu’elle lui parle, qu’elle le touche. Qu’elle réanime en lui quelque chose d’important. Une intelligence. Une force. Une illusion de vérité. Qu’elle fasse un peu brèche à nos multiples solitudes. Nos réguliers découragements. Bref le lecteur attend que la poésie l’atteigne non comme un simple objet esthétique mais comme une présence. Une présence individuée. En même temps nécessaire.  
C’est tout cela que j’ai trouvé en lisant pour la première fois des poèmes de J.C. Belleveaux. Une présence et un retentissement. Point n’est besoin alors de centaines et de centaines de pages quand parfois une seule suffit, voire une simple strophe comme : 
 
Il n’y a pas de sens caché d’accord 
Pas de signes au ciel 
Ni dans les arbres 
Mon cendrier se remplit 
Il est quatre heures de l’après-midi 
J’attends que les herbes crient 
 
Bien des choses pourtant me séparent de J.C. Belleveaux. Son livre et je n’hésite pas à parler de livre1, dresse devant moi le portrait d’un homme qui a beaucoup voyagé, dans des pays et sur des continents dont personnellement j’ignore tout, une sorte de baroudeur à l’imaginaire encore peuplé de références guerrières. Un homme qui semble avoir beaucoup vécu comme on dit.  
Cet homme, moi qui n’ai jamais abandonné ma vie médiocre et douillette, je le vois : Ulysse revenu au foyer, se montrant maintenant à travers diverses circonstances de sa vie quotidienne qui pourraient aussi être les miennes. Un disque mis sur une platine. Une vaisselle à faire et qu’on laisse traîner. Une lessive à étendre. Une limace tranchée d’un coup de bêche. Peu d’activités au total. Davantage de regards sur les choses autour : des abricots sur une table, du chocolat, « des berges de Loire effondrées », un « jardin et son banc de pierre », des fraises qui pourrissent, des allumettes brûlées dans une soucoupe en grès… Choses de simple beauté où se lit cependant la musique plurielle et ruineuse du temps. Mais la scène en fait est ailleurs. Car c’est ailleurs que se joue l’essentiel, dans cet intermonde où l’esprit fait se conjuguer les époques, les lieux, nostalgie et désir, calme et violence, colère et affliction, bref toutes les contradictions intimes de l’existence. 
Ce qui me touche alors et retentit en moi, ce n’est bien sûr pas l’évocation d’une vie aventureuse jetée aux quatre coins du monde, que je n’ai jamais recherchée, pas plus à l’inverse ce qui se devine des fêlures d’une vie extérieurement tranquille dans le charme d’une propriété provinciale ce qui me correspondrait sûrement davantage. C’est en fait l’addition ou pour utiliser cette si éclairante notion développée il y a une trentaine d’années par l’historien Michel de Certeau dans L’invention du quotidien, le braconnage de toutes ces choses dont nous composons nos vies et le murmure qu’elles produisent en nous quand nous lâchons prise et que nous éprouvons à quel point nous sommes démunis, démunis et ignorants face à ce qui nous arrive.  
J’aime ainsi cette façon dont J.C. Belleveaux mêle la musique de l’alexandrin, « le staccato particulier de l’AK47/ le passé simple et la cuisine épicée/ l’incessant va-et-vient/ entre le près et le loin/ le dedans le dehors ». J’aime le sentiment camusien qu’il a de l’absurdité d’un monde qui ne nous fait pas signe, indifférent à nous, mais dont nous acceptons les involontaires offrandes comme nous en subissons les coups les plus meurtriers2. J’aime cette énergie accablée avec laquelle il me semble affronter la vie et aussi le travail des mots. Sans illusion, « sans fausse morale, sans bible ». J’aime enfin cette façon qu’il a de dire qu’en dépit même, de ses mensonges et du peu d’écoute qu’elle suscite, la parole nous requiert.  Qu’elle est peut-être notre toute dernière dignité. Que nous sommes en guerre de mots avec le monde, avec les choses, avec nous-mêmes, pour ne rien dire de notre triste société. Ce qui justifie comme on le voit, le titre : 
 
Il va pourtant falloir sniper 
Cracher tes mots : 
Débarcadère, yeux arrachés, visage de craie, 
Et puis récréation, noir profond où tout se dilue , 
Paix ? peur ? honte… 
puisque les pierres des murs 
ne répondent rien 
je suis en guerre contre l’été 
je brûle 
Alors, la poésie de J.C. Belleveaux, pour moi ?  
La poésie d’un homme singulier vivant. 
Par Georges Guillain 
 
Jean-Christophe Belleveaux, Machine Gun, éditions Potentille, 2009 

1. Mon amie Anne Zali, conservatrice en chef à la BNF  ne soutient-elle pas que le livre commence avec le pli d’une seule feuille, ce geste décisif, proprement magique qui sépare les 2 faces externes publiques de l’espace replié dans lequel se referme l’invisible secret  du texte 
2. Réagissant à cette note de lecture, J.C. Belleveaux me précise que « ce petit ensemble est né après le décès de ma mère, il était l'épreuve obligatoire pour un retour en écriture après de nombreux mois où elle me fut impossible ».  


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