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Principes de la COIN : une lecture critique

Publié le 09 août 2010 par Egea

Nous avons signalé ici l'ouvrage des colonels de Courrèges, Germain et Le Nen sur les "Principes de la contre-insurrection". Cet ouvrage se voulait une invitation au débat. Voici donc une lecture de leur livre, lecture critique, il faut bien le dire, effectuée par Jean-Pierre Gambotti que les habitués d'égéa connaissent bien. Mille mercis à lui.

Principes de la COIN : une lecture critique

On lira également la fiche de lecture publiée par JDM sur secrets défense.

O. Kempf

Ces feux de pâtre sur la côte orageuse….

« La stratégie s’apprend par la peau ». Convaincu de la pertinence de cette formule de G. Chaliand, j’ai quelques réticences, comme observateur éloigné, à critiquer cet essai de praticiens de la contre-insurrection, qualité dont les auteurs se prévalent à juste titre et qui confère à leur thèse la légitimité du terrain. J’ajouterai en préalable que j’ai pour ces officiers la plus profonde admiration, car rares sont les chefs d’expérience qui vont jusqu’au bout de leur mission en s’engageant dans ce combat difficile qu’est l’évolution de la pensée stratégique française et l’incitation des pairs à la réflexion de défense. Cette recherche de la vérité doctrinale se fait par la confrontation des idées, procédure dialectique qui appelle nécessairement l’antithèse. Je n’ai pas la prétention en quelques lignes de me lancer dans cette entreprise et de faire une critique exhaustive de cet ouvrage savant et argumenté. Je me limiterai à quelques remarques qui compléteront mon commentaire déjà publié sur egea, et qui faisait suite à un entretien des auteurs avec Olivier Kempf.

La guerre comme confrontation de centres de gravité

D’abord je voudrais contester partiellement l’argumentaire adossé à Clausewitz. Non pas que les références soient inexactes, mais si l’on convoque Clausewitz encore doit-on conserver comme idée directrice que l’œuvre est une et que la partie doit être considérée dans le tout. Pour être clair, il me semble critiquable d’appuyer un raisonnement sur un emprunt à Clausewitz, le concept de trinité par exemple et marginaliser l’apport fondamental de Clausewitz à la stratégie, la guerre comme confrontation de deux centres de gravité. Car il est incontestable que la guerre de contre-insurrection est aussi un duel poussé aux extrêmes, cette utilisation de la violence pour imposer sa volonté à l’adversaire, et bien que le caméléon prenne en l’occurrence la forme très particulière de l’asymétrie cette lutte consiste toujours en l’annihilation de ce qui fait la puissance de l’ennemi par l’utilisation de ce qui fait sa propre puissance.

Aussi, faire de la population, comme c’est le cas dans cet ouvrage, le centre de gravité de l’insurrection est-il erroné. La population n’est que le lieu du centre de gravité, ce qui fait la puissance de l’insurrection c’est sa capacité opérationnelle, politique, sociologique, culturelle, ethnique, religieuse, à obtenir le soutien, la complicité ou l’adhésion du peuple à sa cause. Et la stratégie de la contre-insurrection doit, à mon sens, permettre de retarder, empêcher ou annihiler cette collusion entre la population et l’insurrection en agissant sur ses causes profondes et plus précisément sur les vulnérabilités du centre de gravité. Evidemment que « la conquête des cœurs et des esprits » est un des éléments de cette stratégie, mais elle n’est essentiellement efficiente qu’avant que le point culminant ne soit atteint. C'est-à-dire avant que l’ascendant sur la population ne change de camp. En Afghanistan, le kairos est passé, nous avons oublié après le succès initial, que l’exploitation est aussi un principe fochien et je pense que l’effet majeur de cette deuxième partie de la campagne, pour raisonner français, serait plutôt de rompre, d’user, de dissoudre ce lien de puissance à présent établi entre la population et l’insurrection.

Symbiose, obliquité, politisation

Bien entendu, je n’ai pas le moindre début d’une esquisse de mode d’action à proposer, mais il est probable que la solution passe effectivement par ce qui est nommé dans cet essai, l’approche globale. Mais à condition qu’il ne s’agisse pas d’une simple coordination entre les différents acteurs PEMSII pour utiliser l’acronyme américain, mais que cette guerre soit conçue et conduite en véritable symbiose.

Pour faire court, et j’ai déjà abordé cette problématique dans AGS, ces guerres de COIN montrent de manière magistrale que Clausewitz avait raison en posant les prémices de la non-linéarité de la guerre. Tous les retex tactiques décrivent sans le nommer le caractère systémique de ces conflits et considèrent le triptyque action /interaction/ rétroaction comme incontournable, il est temps qu’au niveau du théâtre la conception symbiotique de la stratégie soit la règle et que les lignes d’opérations soient de cet ordre. Les points décisifs des lignes d’opérations stratégiques, ne peuvent être que PEMSII, donc totalement hybridés. Comme l’a souligné le commandant de le TF Korrigan en 2008, la construction d’une route dans une vallée peut participer à sa sécurisation, mais aussi à son développement économique ou à la perte d’influence d’un chef local….Nous avons changé de paradigme, tous en conviennent, mais d’évidence certains se refusent à en tirer toutes les conséquences. La conception et la conduite de ce type de guerre devrait être, à mon sens, l’affaire d’une haute autorité unique de théâtre pour gérer tous les domaines de ce conflit dans l’unicité.

Manœuvre unifiée donc, mais le niveau de complexité de cette guerre exige aussi une stratégie adaptée. A mon sens la réponse duale, cinétique non-cinétique n’est pas suffisante. N’oublions pas la leçon clausewitzienne, la guerre est une lutte, chaque acteur doit adapter son action à l’action de l’autre, application partielle du principe de polarité. Encore faut-il que les combats soient de même nature. D’évidence l’insurrection ne se détournera pas d’une stratégie qui gagne, aussi les forces contre-insurrectionnelles devraient-elles rétablir une symétrie dans cette guerre dont l’asymétrie leur est imposée.

Certaines unités tactiques sont dans déjà dans cette logique, il faudrait à présent raisonner stratégiquement oblique. Je ne donnerai pas d’exemples, ils sont nombreux, ne serait-ce que la stratégie britannique des « sacs d’or ». Je rappellerai simplement que le mode d’action générique contre le centre de gravité adverse, c’est l’attaque de ses vulnérabilités et que ce faisant dans une guerre au sein d’un pays d’une telle complexité, le champ des possibles pour des manœuvres biaises ou transverses est vaste.

Une remarque, in fine, sur ce que les auteurs nomment « la politisation de l’officier », qui si elle est avérée sur ces théâtres, renforce mon argument sur la nécessité de considérer le théâtre de guerre comme un système. Clausewitz a toujours placé le politique et le militaire à leur juste place, « l’intention politique est la fin, la guerre est le moyen ». Si certains chefs, immergés dans les responsabilités vertigineuses qui leurs sont confiées sur un théâtre de guerre, se perdent dans l’hubris, la démesure, en investissant la sphère politique, c’est que la politique n’est présente sur le théâtre que par le seul truchement de l’objectif et de l’EFR politiques du Plan d’opérations. Et cette quasi-absence obère le caractère symbiotique de la guerre de COIN. Dans ces guerres la politique est aussi dans les détails, elle est constitutive de la stratégie PEMSII, elle est la partie et le tout, en conséquence, la présence du politique sur le théâtre s’impose absolument.

étonnante mais subtile trinité

Enfin sans prétendre à la qualité de clausewitzologue, je voudrais quand même revenir sur l’approche de la trinité dans cet ouvrage, approche que je trouve un peu réductrice et qui met de l’approximation dans la « réconciliation » Clausewitz/Galula proposée. A mon sens il n’y a pas « d’organisation trinitaire des belligérants » car la trinité ne ressortit pas aux belligérants mais est afférente à la guerre elle-même, le triptyque « l’état, l’armée, le peuple » est une simplification abusive. « La guerre », citons Clausewitz, « où l’on retrouve d’abord la violence originelle de son élément, la haine et l’animosité, qu’il faut considérer comme une impulsion naturelle aveugle, puis le jeu des probabilités et du hasard, qui font d’elle une libre activité de l’âme, et à sa nature d’instrument de la politique, par laquelle elle appartient à l’entendement pur. Le premier de ces trois aspects intéresse particulièrement le peuple, le second, le commandant et son armée, et le troisième relève plutôt du gouvernement (…). Ces trois tendances, qui apparaissent comme autant de législatrices, sont profondément enracinées dans la nature de l’objet, tout en variant de grandeur. La théorie qui voudrait en laisser une de côté, ou qui établirait entre elles un rapport arbitraire, se mettrait immédiatement dans une telle contradiction avec la réalité qui faudrait la considérer comme nulle pour cette seule raison. Le problème consiste à maintenir la théorie au milieu de ces trois tendances comme en suspension entre trois centres d’attraction (….). La présente définition de la conception de la guerre est en tout cas le premier rayon de lumière qui peut éclairer les fondements de la théorie (…) » (De la guerre, Livre 1, Chapitre 28)

Inutile de faire l’exégèse de cette citation, d’évidence la guerre asymétrique est ontologiquement trinitaire. Dans ses deux formes, insurrection et contre-insurrection, on trouve l’impulsion naturelle aveugle, le jeu des probabilités et du hasard, l’entendement pur. « Ces trois tendances », « ces trois législatrices » dit Clausewitz, « sont profondément enracinées dans l’objet, tout en variant de grandeur », la « théorie qui voudrait en laisser une de côté (…) serait à considérer comme nulle ». Je crains que la théorie de la binarité de l’insurrection proposée par les auteurs, ne soit invalidée par anticipation par Clausewitz. Mais je pense qu’ils ont eu raison de s’appuyer sur cette fulgurance de Clausewitz, cette approche trinitaire de la guerre, car comme je l’évoquais plus haut elle ouvre sur sa non-linéarité. « Maintenir la théorie au milieu de ces trois tendances comme en suspension entre trois centres d’attraction …» est une clé qu’ont utilisée certains néo-clausewitziens pour montrer qu’à la guerre le hasard et la complexité prennent toujours le dessus sur la simplicité. A la guerre de contre-insurrection particulièrement. L’image, éclairante, du pendule qui oscille dans ce champ à trois pôles, devrait être en permanence à l’esprit de ceux qui cherchent à comprendre la guerre sous toutes ses formes.

Pour conclure

Foch présentait ses principes de la guerre comme des « feux de pâtre allumés sur la côte orageuse pour guider le navigateur incertain », principes qui devaient permettre de concevoir une manœuvre rationnelle. Avec toute la prétention du spectateur éloigné, j’ai précédemment exprimé sur egea mes réserves sur les principes de COIN proposés dans cet essai. Je considère que la légitimation de l’action, l’adaptation au contexte local et la marginalisation de l’ennemi sont plutôt des lignes d’opérations génériques dont je ne discuterai pas la pertinence, l’expertise du praticien est pour moi supérieure à toute spéculation.

Des lignes d’opérations et non pas principes de la guerre, car malgré toutes les formes que prend le caméléon, les principes fochiens restent supérieurement et irréductiblement valides. La concentration des efforts, l’économie des forces et la liberté d’action, pour ne considérer que les principes forts, gouvernent toutes les formes de guerre, contre-insurrection et insurrection comprises, ils sont même pour moi des principes universels de praxéologie. Mais la guerre asymétrique nécessite vraisemblablement des principes complémentaires, plutôt des règles connexes, pour répondre aux oscillations très particulières du pendule clausewitzien, la violence originelle et l’irrationnel dominant très largement le champ trinitaire. En conséquence je pense que sur ces théâtres d’opérations, la conception et la conduite des opérations doivent être menées avec tous les acteurs concernés et en totale collaboration, je ne vois qu’un terme pour nommer cette règle, la symbiose. Ensuite j’estime qu’il serait nécessaire de réinstaller une symétrie dans les opérations, car l’asymétrie donne par essence un avantage à l’insurrection. Je suggère donc de raisonner ces guerres en privilégiant le biais ou le transverse pour construire des stratégies obliques, obliquité déjà mise en œuvre, intuitivement, au niveau tactique.

Symbiose et obliquité en complément des principes de Foch, c’est présomptueux, mais l’observateur ne peut traiter de ces problèmes sans raisonner au dessus de ses moyens !

Jean-Pierre Gambotti


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