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L'écriture de la SF (5)

Publié le 17 août 2010 par Zebrain
698006271.jpg La comparaison et la métaphore sont les deux figures stylistiques de base de tout auteur de SF qui se respecte. Les Grumms, ces batraciens à face de requin, prennent vie dans l'imaginaire du lecteur dès qu'on lui fournit des référents auxquels il peut se raccrocher. Ce n'est pas Maître Stolze, sur sa chaire perché, qui me contredira, lui qui ajouterait à la liste l'hyperbole et l'allégorie, voire l'antonomase, dont la seule évocation du terme suffit à nous plonger en pleine science-fiction. Comme on pourrait le paraphraser dans son numéro d'imitation de Brussolo, on aurait dit que la littérature de SF ne fonctionne que par images, ce qui explique peut-être pourquoi le genre nous en met plein la vue au cinéma.
A cela rien d'étonnant puisque la SF parle de sciences, dures, molles ou à point, et que celles-ci sont justement friandes d'images. Un trou noir n'est pas réellement un trou, pas plus qu'une puce électronique est un insecte de métal ou que les cordes cosmiques serviront un jour à fabriquer des balançoires stellaires. Ces désignations imagées sont d'ailleurs souvent nées de plaisanteries qui avaient l'avantage de caractériser des phénomènes de façon parlante ou bien trouvent leur source dans les circonstances qui présidèrent à leur naissance, lesquelles, si elles ne sont pas rappelées, interdisent d'établir un lien entre l'objet et sa désignation. Ainsi, le big bang ne fut assimilé à une explosion que par dérision, son auteur, Fred Hoyle, étant son principal détracteur, et les dysfonctionnements informatiques devinrent des bugs après que Grace Hopper eut trouvé l'origine de la panne du Mark 1, le premier ordinateur électromécanique, un banal papillon de nuit qui s'est grillé sur un circuit, une nuit d'été 45. La plaisanterie qui donna le nom de bug à une panne informatique vient de la réponse que le capitaine Grâce Hopper et ses collègues donnaient à l'officier de la Marine venu voir comment avançaient leurs travaux : ils répétaient invariablement qu'ils cherchaient des insectes dans le calculateur, ce qui prouve une fois de plus que le règne animal a bon dos quand il s'agit d'excuser les erreurs humaines et de programmation. On pourrait multiplier les exemples : bien que les images ne reflètent qu'imparfaitement la réalité scientifique, elles ont un pouvoir évocateur suffisant pour permettre la vulgarisation des concepts qu'elles recouvrent, voire les débats entre scientifiques à qui ces raccourcis conviennent quand il s'agit d'échanger des idées.
Comme partout ailleurs, l'image est donc préférable à un long discours – mais je vais continuer celui-ci car je dessine très mal. Cette économie dans la description entraîne une inflation du vocabulaire, des stratégies narratives qui, forcément, donnent naissance à une écriture très distincte de celle de la littérature générale.
1823290379.jpg Je n'entrerai pas dans le débat qui consiste à déterminer si la SF est, en raison de cette spécificité, une littérature d'images ou d'idées, Stolze le fait nettement mieux que moi ; je me contenterai de couper la poire en deux en estimant que les images permettent de véhiculer des idées et que l'emploi de ces images véhiculaires favorise la naissance d'un style, ou, en tout cas, modifie le style d'un auteur qui serait passé de la littérature générale à la science-fiction.
Toutes les techniques mentionnées plus haut visent à effacer ou minimiser les temps d'exposition de l'idée et du décor pour se concentrer sur l'intrigue et les personnages. Intrigue qui concerne, bien entendu l'univers en question, que ce dernier soit ou non la métaphore d'un aspect de notre société, sinon, on voit mal l'intérêt de cette création imaginaire. Ce serait se donner beaucoup de mal pour rien. Si l'intrigue découle de l'univers, le personnage en est le point de vue cher à Spinrad, qui permet de le décrypter. Cela limite déjà les possibilités d'action de ce dernier. Du personnage, pas de Spinrad. Même si l'épouse de Marc est en train de s'éloigner de lui parce qu'il est plus préoccupé de commercialiser la téléportation que de raviver la flamme, on aurait du mal à centrer le récit sur les errements d'un personnage en proie au doute et à l'accablement parce qu'il voit sa vie affective se déliter. Tout simplement parce qu'autour de cette histoire construite autour d'êtres humains, avec un problème humain et une solution humaine, comme le dit Sturgeon, il n'y a pas de contexte scientifique, à moins de supposer que son épouse soit un clone féminin de sa personne ou une Grumm remodelée par la chirurgie plastique, auquel cas le sujet quitte à nouveau la perspective psychologique pour aborder une réflexion qui, à ce qu'on affirme, n'intéresse pas ou n'entre pas dans le champ de la littérature générale.
Le projet global du texte a donc lui aussi une influence sur l'intrigue et son déroulement, qui aura probablement un impact sur l'écriture. Et encore n'a-t-on pas abordé les questions de plausibilité et d'homogénéité !
1092771867.jpg Jusqu'à présent, seul le contexte a été mis en scène. Un auteur consciencieux ou intéressé par le derrière des choses (je ne parle pas des personnages mais du décor et de son envers) pourrait pousser la méticulosité jusqu'à présenter le fonctionnement théorique d'une porte distrans ou justifier le modèle de société Grumm par des comportements d'espèce et un enchaînement d'évènements historiques qui emprunteraient autant à Jay Gould qu'à Bourdieu, en passant par Levi-Strauss. Voilà qui promet de nouvelles conversations intéressantes et une cascade d'accidents faisant apparaître le personnage encore plus malchanceux. L'auteur, qui se débattait déjà avec les néologismes, enrichira ou alourdira son vocabulaire de termes qu'on qualifiera d'abscons pour rester poli et se verra immédiatement coller l'étiquette de hard science, ce qui n'a rien d'infamant mais peut déplaire quand le projet initial était un récit de fantasy.
Heureusement, il est rarement nécessaire de justifier son univers par un vernis scientifique, du moment que celui-ci reste suffisamment crédible pour que le lecteur veuille bien en accepter les postulats le temps d'une lecture. Ce qui importe, c'est l'impact des éléments imaginaires sur les personnages, la façon dont ils induisent ou modifient des comportements individuels ou de groupe. La prudence recommande souvent de s'en tenir là, surtout si le vernis scientifique, de mauvaise qualité du fait d'une absence de documentation, craquelle dès les premiers chapitres. A l'inverse, une précision maniaque multipliera la masse d'informations et donc le travail de l'auteur pour les intégrer à la narration.
Sa peine ne s'arrêtera d'ailleurs pas là parce qu'après avoir déployé des trésors d'imagination pour téléporter le lecteur dans son univers imaginaire, il s'apercevra que de nombreux pans de celui-ci sont restés dans l'ombre. Ils concernent souvent des détails de la vie quotidienne jugés négligeables et qui, du coup, ne bénéficient pas du même niveau de progrès qu'on est en droit d'attendre d'une société aussi évoluée. Mange-t-on toujours des escargots de Bourgogne ? Sont-ils toujours fabriqués avec la variété génétique Retardator-III ? Les douaniers ont-ils été remplacés par des intelligences artificielles ? Les tâches domestiques ont-elles été entièrement automatisées ? Marc aurait dû s'en soucier avant d'admettre sur son vaisseau un Grumm qui, conformément à sa nature, l'a transformé en dépotoir itinérant. Une foule de détails sans incidence sur l'intrigue risquent de perturber la lecture s'ils s'avèrent obsolètes pour n'avoir pas bénéficié de mise à niveau technologique ou sociologique. Sans aller jusqu'à écrire un livre-univers, l'auteur ferait bien de s'en soucier, quitte à rester dans le vague au moment des ablutions matinales de son héros ou de lui faire enfiler un pull en cachemire afin de ne pas rendre factice son univers par quelques incongruités.
Claude Ecken

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LES COMMENTAIRES (1)

Par vermathio
posté le 10 décembre à 17:15
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ça cogite dans ce cerveau dis moi Zebrain. J'ai compris : La SF n'est pas une science mais un art d'une partie de ton esprit hébergée par ta matière grise. Pas besoin d'une IRM pour visionner les couleurs de tes circuits nerveux, les images sur papier sont aussi interessantes pour partager quelques stimuli bien humains.

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