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La religion des feuilletons : côté images (2/3)

Publié le 20 août 2010 par Gonzo
La religion des feuilletons : côté images (2/3)

Déguisement "Bab Al-Hara"

Lieu commun obligé des conversations en cette période de l’année (ainsi que de ces chroniques !), la mosaïque des feuilletons de ramadan dessine une image sans doute assez fidèle des sociétés arabes. Bien sûr, certaines séries reviennent année après année. Pour la cinquième année consécutive, Bâb al-hâra (La porte du quartier : voir ce billet), ce récit haut en couleurs d’un quartier populaire de Damas vers la fin des années 1920, rencontre toujours auprès du public arabe le même succès, où se mêlent nostalgie du temps passé et fierté nationale. Pour preuve, cette entreprise palestinienne de chicklets qui a imaginé doper ses ventes en distribuant avec les bonbons de faux-billets de 20 shekels (article en arabe, comme les autres liens qui suivent ) à l’image des héros de la série (et non pas des héros du sionisme, sur les billets israéliens en usage dans les territoires palestiniens) !

Toutefois, la palme de la longévité revient sans conteste à Tâsh mâ tâsh (voir ces billet : 1 et 2), une série comique saoudienne que certains pensaient en voie d’essoufflement mais qui revient pour la 17e fois cette année avec des scénarios plus fracassants que jamais ! La série a commencé assez fort avec un épisode racontant les déboires d’un riche immigré syrien devenu saoudien : il perd son autorisation professionnelle en tant qu’étranger, sa villa que le propriétaire ne veut plus louer à un « local », son droit de mettre ses enfants à la bonne école pour étrangers, sa voiture de service, son salaire, pour finir « gardien de sécurité » dans l’ancienne société où il occupait un poste de direction !

Autre manière de mettre le doigt là où cela fait mal dans la société saoudienne, la visite de jeunes Saoudiens au Liban où ils rencontrent leur oncle maternel…  un curé maronite auquel ils commencent par offrir un Coran histoire de l’aider à se convertir ! (L’épisode se termine de manière très consensuelle… article.) L’histoire le plus explosive (pour l’instant, car la série finit avec ramadan) restera tout de même celle où les scénaristes ont imaginé d’illustrer les thèses de la journaliste Nadine al-Bedair, suggérant d’étendre le droit à la polygamie aux femmes (voir ce billet). On voyait donc ainsi trois maris accueillir assez fraîchement le petit nouveau ramené à la maison par une maîtresse femme assez peu portée au dialogue ! (Un moment sur YouTube, la vidéo a été retirée par la MBC, propriétaire des droits.)

Souvent sur le mode comique – comme dans cette autre comédie saoudienne (article) qui traite de la question extrêmement sensible des « mariages d’enfants » : voir ce billet), mais également de façon plus grave (voir ces exemples signalés dans cette chronique déjà ancienne), la question féminine est très présente. Le fait que les téléspectatrices sont très nombreuses devant le petit écran est en soi un élément d’explication mais cet article dans Al-Hayat suggère une autre raison, intéressante à noter, à savoir le fait que de plus en plus de femmes travaillent comme scénaristes, un métier aussi prestigieux que lucratif (les meilleurs manuscrits se paient en dizaines de milliers de dollars : voir ce billet).

Al-Gama'a
Inévitablement, ramadan apporte aussi chaque année son lot de censures et de polémiques, sur fond de scénarios traitant de questions brûlantes. Dans la grande série des figures incontournables, La Confrérie (Al-Gamâ’a الجماعة) retrace la vie de Hassan al-Banna (حسن البنا), le fondateur, en 1928, des Frères musulmans. Produit pour la télévision égyptienne notamment, c’est une des très grosses productions de l’année, avec Iyad Nassar, un acteur jordanien, dans le rôle principal. Si tout le monde s’accorde à reconnaître la qualité technique de la réalisation, les milieux favorables aux thèses de « l’islam politique » ne décolèrent pas contre un feuilleton qui n’est, à leurs yeux, qu’une grossière manipulation de l’histoire pour favoriser le point de vue du pouvoir en place. Pour preuve, ils soulignent que le scénario a été écrit par Waheed Hamed (وحيد حامد), un scénariste très militant contre les dérives politiques de l’islam et qui s’est déjà illustré par des œuvres, telle que Tuyûr al-Dhalâm (طيور الظلام avec Adel Imam, grand spécialiste de ce type de production lui aussi, mais en tant qu’acteur). La famille de Hassan Al-Banna (assassiné en 1949) ayant tenté en vain de s’opposer au tournage, les actuels dirigeants des Frères musulmans ont imaginé un moment produire leur propre feuilleton pour donner leur version de l’histoire. Mais pour l’instant, ces derniers se contentent d’une page sur Facebook qui a tout de même reçu le soutien de 45 000 signataires (article).

Parmi bien d’autres protestations – celle du Hamas contre le feuilleton Watan ‘a watar (évoqué l’année dernière) accusé d’attiser les divisions au sein du peuple palestinien ou, beaucoup plus drôle, celle du syndicat des infirmiers agacé par l’image donnée à leur profession dans Zahra et ses quatre maris (encore une fois la polyandrie !) –, la « grosse » affaire de l’année se sera déroulée en Syrie. En cause, un feuilleton qui a pour titre une partie du 3e verset de la 4e sourate (Les Femmes) : Ma malakat aymanukum (… ما ملكت أيمنكم, mot-à-mot, « ce que votre main droite possède »), où il est question en fait de captives de guerre dont la « consommation » est ainsi légitimée par la Révélation.

Ma amlakat aymanukum
Tourné par Najdat Anzour (qui réalise aussi le très attendu La mémoire du corps, d’après le best-seller de la romancière algérienne Ahlam Mosteghanemi : son site pour les fans), le feuilleton, sur un scénario écrit par une femme, Hala Dyab هالة دياب (encore !),  raconte la vie de trois femmes (encore et encore !), point de départ d’une sévère critique de l’extrémisme religieux. En évoquant en particulier la question du trafic sexuel par certains milieux extrémistes, il a été accusé d’être ni plus ni moins qu’une attaque contre l’islam. Une attaque à boulets rouges a été lancée sur ce thème par Muhammad Saïd Ramadan al-Bouti, très haute autorité religieuse dans le pays. Pour une fois – le fait n’est bien entendu pas anodin –, on en sait beaucoup sur les coulisses de cette histoire et notamment le fait qu’al-Bouti et ses partisans se sont vu opposer une fin de non-recevoir décidée dans les plus hautes sphères politiques (article dans Al-Akhbar). Al-Bouti a même dû faire publiquement machine arrière (autre article sur Middle-East-Online cette fois-ci)…

Mais ce billet est déjà trop long et les images pieuses promises la dernière fois ne sont toujours pas abordées… Pour me faire pardonner, à voir et à écouter la brômô qui a fait scandale en Syrie, celle de « Ma malakat aymanukum »¸ avec la voix du Syrien George (sans « s ») Wassouf, rien que ça !

A suivre !


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