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Nous venons tous de Jamaïque

Publié le 31 août 2010 par Kub3

Photo : Lee “Scratch” Perry, par isamizdat

Dreadlocks, reggae, ganja et Bob Marley. La Jamaïque se réduit souvent à cette équation. Une petite île des Antilles, coincée entre Cuba et Haïti, à l’origine d’un genre musical auquel on l’identifie volontiers, au risque de l’y enfermer.

Pourtant, pendant plus de quarante ans, ce pays fut l’épicentre d’une révolution musicale dont les échos résonnent encore. Dans les années 1940 apparaissent les premiers sound systems, discothèques ambulantes vers lesquelles se tournent les pauvres pendant que les riches se rendent à des concerts de jazz hors de prix. Et c’est entre ces enceintes monstrueuses crachant en plein air un son audible à des kilomètres à la ronde que sont nés des sons qui enfanteront plus tard la musique dance et le Hip-Hop.

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Photo : fightingtheboss

Tout commence par une erreur, racontée par Ariel Kyrou dans Techno Rebelle : en 1968, un type nommé Ruddy Redwood, membre du sound system The Supreme Ruler of Sound, se rend dans un des nombreux studios d’enregistrement de l’île afin de récupérer de nouveaux dubplates, des disques gravés sur acétates utilisés par les sound systems. Problème : sur On the Beach, un titre des Paragons, l’ingénieur oublie la voix et en grave une version instrumentale.

Succès immédiat pour ce premier riddim (”rythme”, en patois jamaïcain) de l’histoire musicale. Très vite ses petits frères se multiplient et envahissent les faces B de la plupart des disques. Joués et rejoués à l’envi, on en retrouve la trace encore aujourd’hui. Le producteur de reggae Dennis Bovell ,dans le documentaire Dub Echoes réalisé par Bruno Natal, cite ainsi l’exemple d’ I’m Still In Love With You, d’Alton Ellis.

Alton Ellis — I’m Still In Love With You

Un succès dans les années 1960 que l’on retrouve dans les années 1970 avec Althea and Donna ou encore plus récemment avec Sean Paul.

Au seuil des années 1970, alors que partout sur l’île ces versions instrumentales s’arrachent, King Tubby s’en mêle. Cet ingénieur du son, Osbourne Ruddock de son vrai nom, se met à tripoter ces nouvelles sonorités. Mettant en avant la batterie et la basse (drum’n bass), il ajoute, ici un écho, là un léger retard et là encore un reverb, des effets bricolés à l’époque avec trois bouts de ficelle et que les machines d’aujourd’hui cherchent encore à recréer. Exemple :

Aquarius Dub Vol. 4

Avec son studio installé dans sa salle de bain et son sound system de 12 000 watts, King Tubby vient d’inventer le dub, énorme héritage que des grands noms comme Lee “Scratch” Perry ont par la suite fait fructifier.  C’est ainsi, par exemple, que les Prodigy ont invité le chanteur de reggae Max Romeo dans leur titre Out of Space :

Max Romeo – Chase the Devil

Prodigy — Out of Space

Car le dub n’est pas juste une histoire d’écho. C’est une mentalité qui a vu l’ingénieur se muer en musicien, donnant naissance à toute une tripoté de tripatouilleurs de sons qui produisent le gros de ce que l’on écoute aujourd’hui. Comme l’explique le producteur Howie B, dans Dub Echoes :

Lorsque je souhaite faire un remix, je me demande : comment faire pour trouver l’essence de ce morceau, la sensation qu’il entraîne ? Si je le complique alors je n’ai rien compris. Mais si j’adopte l’attitude dub qui consiste à faire de la place, à déconstruire le morceau en quatre, cinq ou six éléments pour ensuite les recombiner… alors j’habite à Kingston.”

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Photo : rootskontrolla

Et le Hip-Hop dans tout ça ? L’histoire semble connue. Cette musique est née dans les rues du Bronx en s’appuyant sur trois piliers : Grandmaster Flash, Afrika Bambaata et DJ Kool Herc, l’inventeur du breakbeat. Certes. Mais c’est oublier que les trois larrons sont d’ascendance  jamaïcaine et  que l’action de rapper est elle-même née d’une pratique venue de cette île : le toasting.

 

Dans les années 1970, pour les jamaïcains, le DJ n’était déjà plus celui qui se contentait de mettre un vinyle. Passant un riddim dont il avait le secret, il se mettait à scander des bribes de mots, déclamer quelques strophes voire balancer une connerie quand il le sentait. Une pratique balbutiante que le plus célèbre toaster du moment a érigé en un art repris, copié et amplifié plus tard par d’autres DJs, puis par les MCs : U Roy. Un exemple ici avec le titre d’Alton Ellis évoqué plus haut :

U Roy — I’m Still In Love With You

Si vous ajoutez le sample au toasting ainsi que les atomes crochus entre les messages revendicatifs de la musique insulaire et la situation des ghettos noirs américains, vous obtenez les fondations de ce qui, plus tard, sera appelé Hip-Hop. Une pure invention américaine mais qui plonge ses racines dans les caraïbes.

La suite, on la connaît. Le Hip-Hop a pris son envol comme un genre à part entière et continue de rayonner tandis que le dub s’est infiltré via l’Angleterre à tout l’occident. Si bien que de Johnny Rotten aux Rolling Stones, en passant par Paul Simon, nombreux sont les artistes qui ont ressenti le besoin de se rendre en Jamaïque.  Comme le disait Greg Dread  (du groupe Dreadzone) devant  la caméra de Bruno Natal :

Nous devrions tous nous rendre  une fois en Jamaïque. Pour rendre hommage.”


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