La Distribution des lumières

[Voix de Jérôme, l'idiot]
La mort d'Arielle est autour de moi. Des fois, je sens son odeur dans ma chambre, quand il fait nuit. Ça sent les feuilles et les arbres du bois, les vêtements propres et le sang, la terre aussi. Je ne bouge pas. Peur de la toucher, de découvrir son corps dans le noir. Je ne dors pas. La morte est là, elle a choisi de venir dans ma chambre. Si je m'endormais, peut-être qu'elle se rapprocherait. Je ne prends pas le risque, elle pourrait s'attacher à moi ou bien se venger de ce que je lui ai fait.Je lui demande pardon.Je suis sûr que les morts ont beaucoup de force, qu'ils vous étranglent comme personne avec leurs doigts d'os. Ils ont tout le temps à disposition, ils peuvent tout faire, même revenir comme Lazare. Arielle a une chaîne au cou, cadeau de sa première communion. La chaîne tinte dans le noir et envoie des éclats. La morte avance doucement vers moi, j'entends sa chaîne et un frottement sur le sol. C'est tellement léger que j'oublie d'avoir peur.Elle me dit des choses à l'oreille, c'est comme une mouche qui vole, il faut traduire. La langue des morts bourdonne. Le son vole lentement, difficile à saisir. Les mots font des zigzags dans l'air et puis ils tombent. Il me tombent dessus comme des fientes, sur les joues, les yeux, les oreilles. J'essaie de m'essuyer mais les mots de la morte tombent toujours. Il y en a qui arrivent dans ma bouche. Je me sens sale. La morte m'a sali.
Flammarion, 2010, p131-132