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La procureure de Bobigny

Publié le 12 septembre 2010 par Malesherbes

Vendredi 10 septembre, j’ai entendu sur France-info la procureure du tribunal de Bobigny présenter ainsi sa requisition de non-lieu dans l'affaire de la mort de Zayd Benna et Bouna Traoré le 27 octobre 2005 : « cette affaire est avant tout un drame. Je m’incline devant les victimes ». J’ai plutôt tendance à considérer qu’elle s’incline devant la police et devant le Ministre de l’Intérieur de l’époque. On comprend d’ailleurs pourquoi celui-ci flatte tellement ces fonctionnaires, sa sécurité en dépend.

Que s’est-il donc passé ce tragique jour d’octobre ? Une dizaine de jeunes Clichois reviennent à pied de Livry-Gargan où ils ont passé l’après-midi à jouer au football. Alerté par un riverain pour une tentative de vol sur une baraque de chantier, le commissariat de Livry-Gargan dépêche un véhicule de la Brigade anti-criminalité. A la vue des policiers, les jeunes détalent. Trois d’entre eux, âgés entre 15 et 17 ans, pénètrent dans l’enceinte d’un transformateur. Deux meurent électrocutés, le troisième Muhittin Altun est grièvement brûlé.

A la suite de ce drame, l'Inspection générale des services enquête. Elle écoute notamment les enregistrements des conversations entre les forces de police et la salle de commandement de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) : un gardien de la paix présent sur place, dit trois fois à ses collègues qu'il a vu les jeunes se diriger vers l'installation électrique et lance : « S'ils rentrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau ». A 17h30, des policiers ont indiqué à la DDSP avoir vu deux individus enjamber une clôture se trouvant sur un terrain vague jouxtant le local transformateur EDF. A 17 h 36, un policier est monté sur une poubelle pour essayer de voir si ces derniers se trouvaient dans l'enceinte du local, entouré par un mur de près de trois mètres de haut. Le rapport de l’IGS indique que le policier en question a ensuite « expliqué qu'il n'avait pas vu directement les individus pénétrer dans le site EDF, mais qu'il avait craint que ce soit leur intention ».

Les policiers ont prétendu qu’ils n’avaient pas pourchassé ces adolescents. Mais l’enquête a établi qu’ils s’étaient bien lancés à leur poursuite. Ceci fait naître la question : s’ils n’avaient rien à se reprocher, pourquoi ces jeunes ont-ils donc fui ? Je pense être en mesure d’y répondre. Il y a quelque temps, j’attendais sur un trottoir que « le petit bonhomme » passe au vert pour emprunter un passage piétonnier. Une voiture de police ne pouvait franchir ce passage parce qu’une vieille dame, avançant difficilement, s’était fait surprendre avant d’avoir pu achever sa traversée. J’ai alors entendu un des occupants de la voiture, un de ces nobles gardiens de la paix, lui intimer l’ordre de dégager rapidement. J’ai eu une furieuse envie de lui rappeler sa mission de protéger tous les citoyens et en particulier les personnes âgées, mais je m’en suis bien gardé. Je n’ai pas voulu prendre le risque de me retrouver en garde en vue, accusé d’outrage à agents, car j’aurais très bien pu m’emporter, et peut-être même de coups et blessures, pour le cas où je me serais débattu pendant mon interpellation. Pourtant, je suis  de type caucasien et d’âge respectable. Alors, comment peuvent réagir de jeunes basanés ?

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a relevé un grave manquement à la déontologie. Les policiers avaient prétendu que Muhittin était majeur, grâce à une réquisition avec une date de naissance erronée, afin de se passer de l’avis préalable de ses parents, et l’avaient interrogé, grièvement blessé, pendant une heure et demie, moins de dix-huit heures après l’accident, dans la salle de réveil où les visites sont interdites.

La procureure de Bobigny justifie ainsi sa réquisition de non-lieu : « Pourquoi les policiers, si à un seul moment ils avaient pensé qu’il y avait des mineurs en danger parce qu’ils avaient pénétré sur le site, pourquoi n’auraient-ils pas immédiatement alerté EDF ? »  Bonne question. J'entrevois quelques réponses possibles : par légèreté, insouciance, indifférence, négligence ou pire. Mais notre procureure a une conclusion ahurissante : on ne peut imaginer que des policiers ne portent pas assistance à des mineurs en danger, donc on ne peut les accuser de non-assistance à personne en danger ! La seule bonne question est la suivante : étant donné que les policiers  n'étaient pas certains de l'absence des adolescents dans l’enceinte du transformateur, pourquoi n'ont-ils pas alerté EDF, seule habilitée à intervenir sur ces lieux ?

Lorsque l’on remarque un bagage abandonné sur un quai de métro, on n’hésite pas à interdire l’accès à cet endroit et à interrompre le trafic, créant, le plus souvent, et fort heureusement, inutilement, des perturbations pour de nombreuses personnes. La vie de trois gamins ne valait pas la précaution élémentaire d'un appel à l'EDF et qui n'aurait  dérangé que cette seule entreprise ?


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