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Les chiens qu’on abat

Par Borokoff

A propos de Soldat de papier d’Alexei German Jr 3 out of 5 stars

Les chiens qu’on abat

1961. Daniel Pokrovski, un médecin d’origine géorgienne, est envoyé sur la base spatiale de Baïkonour au Kazakhstan pour superviser l’entrainement et la condition physiques du premier cosmonaute que l’U.R.S.S. cherche à envoyer dans l’espace. Ce sera Gagarine…

Mais entre son enthousiasme pour le progrès technologique et le prestige planétaire que l’U.R.S.S. rencontrerait en cas de succès, le cœur de Podrovki balance. Les Russes restent sur une série d’échecs (on se souvient que la chienne russe Laïka, premier animal vivant à être envoyé dans l’espace, était morte au bout de quelques heures à bord de Spoutnik-2 en 1957) et après des essais infructueux, le médecin craint le pire et notamment que des vies humaines soient sacrifiées.

Clin d’œil à une chanson au titre éponyme de Boulat Okoudjava, Soldat de papier décrit les états d’âme d’un médecin en proie au doute, une hésitation quant au risque très (trop ?) élevé de la mission et le prix à payer en vies humaines pour qu’elle réussisse. « Le dilemme de savoir si la suprématie de la conquête spatiale pour sa patrie mérite le sacrifice de vies » dixit le réalisateur.

Il faut reconstituer le contexte de l’époque. Nous sommes en plein post-stalinisme, à une époque où l’on veut absolument effacer les traces du passage au pouvoir du dictateur russe. La scène où des soldats russes brûlent au lance flamme des anciens baraquements où étaient emprisonnées des femmes, « épouses de traîtres de l’armée ou de la patrie », est emblématique de cette volonté de passe à une autre ère.

Et puis, on est en pleine guerre froide entre les USA et l’U.R.S.S. La concurrence et la bataille pour le progrès technologique battent leur plein. Et dans cette démesure technologique et ce « no man’s land » gelé du Kazakhstan, le personnage très tchekhovien de Podrovski erre, lui qui cite justement si souvent l’auteur d’Oncle Vania.

Le film a été tourné en réalité au lac Baskountchak, à la frontière avec le Kazakhstan. Cet immense lac salé donne l’impression d’un décor blanc presque irréel où errent des âmes en peine comme celle de Pokrovski (étonnante ressemblance de l’acteur avec Al Pacino). Comme chez Tchekhov, le mal être du héros est tangible et malgré le soutien de deux femmes qui l’aiment et l’entourent, le médecin finira mal. Pokrovksi est-il un idéaliste ? Un romantique ? Un peu de tout cela, mais surtout la seule part de conscience et de responsabilité humaines que les Russes puissent avoir dans leur mission.

Alors, on pense, dans l’ambiance du film, à Tarkovski, à Stalker et surtout à Solaris. Mais c’est encore à Tchekhov que l’on revient. Podrovski est un personnage tourmenté. Sa solitude et son désarroi rappellent ceux d’un Platonov ou d’un Ivanov. Et si des femmes l’entourent et l’écoutent , comme à son « chevet », les dialogues qu’ils livrent ressemblent plus des monologues intérieurs qu’à de réelles discussions avec elles.

Pokrovski semble porter la poisse alors même que c’est un médecin élégant et qui semble sûr de lui. Paradoxe du héros « partagé entre deux femmes, entre la science et sa carrière, entre l’essence et le paraître, entre le désir d’aimer et l’incapacité à aimer » souligne le réalisateur qui a aussi écrit le scénario.

Et encore une fois, le chien, si présent, si symbolique dans le cinéma et la littérature russes (voir une critique précédente), est omniprésent dans Soldat de papier. Le chien comme symbole de la solitude et de l’anachronisme du personnage du médecin. Dans Soldat de papier, on ne sait que faire des chiens, tant ils pullulent par dizaines. Alors on les abat, tout simplement, au fusil (une des scènes les plus marquantes du film). Gênants et inutiles à la fois. Que voulez-vous, le progrès est impitoyable…

www.youtube.com/watch?v=eSu9mlWhkWU


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