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Ne voyez-vous pas, chers amis, que je meurs ?

Publié le 15 septembre 2010 par Deschibresetdeslettres

Ne voyez-vous pas, chers amis, que je meurs ?

Le Cinéma a entre autres une ambiguïté fondatrice : en captant le monde par à la fois un outil technique et un imaginaire, il ne cesse d'hésiter entre copie et simulacre, entre reflet sans objet et cuiller de recueillement du réel. La mort, toujours obsession de l'objectif, ressemble à un point de butée de cette dynamique. Impensable, inaccessible, elle demeure pourtant omniprésente. Mais ce que le Cinéma en saisit n'est que son rayonnement : incapable d'accéder à son noyau il se contente des oripeaux, larmes, pertes, deuil – tout ce qui est en définitive reste du côté des vivants.Pari tapé dans la main de personne, Weerasethakul décide dans sa palme d'or de se positionner au contraire du côté du défunt. Pas en filmant une mort réelle, Oncle Boonmee n'est pas un snuff movie, mais en présentant ce qui du personnage principal est déjà mort, ou plus exactement en train de mourir. Pris dans les tentacules de la spiritualité locale, fantômes et réincarnation, les derniers jours du vieux sage ne posent pas la question classique de ce qu'il faut accomplir avant le choc du néant, petit bolide de la vie s'écrasant soudain au mur, le sujet est autre puisque Boonmee est lentement happé dans la mort par l'étiolement de sa raison, et que tout le métrage thaïlandais baigne dans cette déliaison, dans ce processus incertain de la fin qui s'immisce.Collision et collusion des différents régimes de réalité, Oncle Boonmee ne vise néanmoins aucun puzzle mental, aucun jeu de piste cérébral, la chronologie est respectée mais elle est seulement le théâtre d'un bal funèbre : retour des disparus, hypothèses du futur, dernières angoisses et derniers plaisirs dans la délicate danse des repères qui s'effacent. Oncle Boonmee est également un lieu de contraste, avec effets de décrochage dans la coupe et le montage, ruptures entre réalisme narratif et puissance des contes, irruptions comiques incongrues et gestion étonnante de l'espace sonore. Nous sommes comme spectateurs nous aussi dans une position insondable, mais nous tenons bon par les miracles de la mise en scène et la formidable capacité d'émerveillement dont fait preuve Weerasethakul. Projet formel édifiant, Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures est également et peut-être avant tout une boîte à trésors poétique, ouverte et bricolée avec la naïveté d'un artisan de série B, la curiosité d'un aventurier et l'effort de synthèse d'un universitaire. Pour ces raisons, on coupera court aux comparaisons avec David Lynch, préférant l'évocation moins frontale des travaux de Shyamalan, où là aussi les sujets les plus sérieux font allégeance de légèreté, et ou inversement, les plus banales et les plus populaires des superstitions reprennent les honneurs, sans ironie, avec le regard lumineux des esprits les plus malins.

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