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Ne pas croire est une croyance comme une autre

Publié le 26 septembre 2010 par Tudry

« Tout vrai philosophe ne se tient jamais contre les autres; mais avec les autres face à la vérité. » Charles Péguy

« Ne ricane pas, il en a une. C'est vous qui vous êtes mis dans la tête que si on ne la voit pas de ses propres yeux, s'il n'y a pas moyen de la toucher, c'est qu'y en a point. Chez qui y a une âme, y a aussi Dieu, mon gars. Et t'as beau faire tout ton possible pour ne pas croire, il est bel et bien en toi. Pas dans le ciel. Et c'est lui qui te bénit, te protège et te montre le droit chemin. Et il y a plus : c'est lui qui fait de toi un homme. Pour que tu naisses homme et restes homme. Que tu aies la clémence en toi... » Valentin Raspoutine, L'Adieu à l'île

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Monsieur Onfray est, semble-t-il, comme un archétype de ce qui se fait de mieux en matière de religion de l'homme. Comment lui reprocher de ne « pas croire » ? D'aucune façon, ceci, à la limite ne nous regarde pas, à ceci près que, précisément, en tant que chrétiens nous faisons du salut de tous, même et surtout de ceux qui ne le veulent pas, un devoir de responsabilité... Toutefois, d'un point de vue très personnel, je ne crois pas en la coercition, c'est-à-dire à une conversion forcée, rien de plus faux et de plus contraire à cette métanoïa de nous exigée. Nos saints Pères dans la foi s'exercèrent à convertir par la « raison » posant la Révélation Trinitaire comme aboutissement et acmé en même temps que renversement des philosophies antérieures. Il semble que de tels arguments ne puissent plus, en nos temps d'inflation du sentiment, avoir de prise sérieuse. Le renversement et l'autonomisation de la raison éloignent également cette perspective. Aussi, notre reproche va uniquement à cette conversion forcée à la religion athéiste que M. Onfray semble appeler de ses voeux. Néanmoins, avouerons-nous également, notre joie ! Oui notre joie, directement issue de notre amour chrétien pour l'entière liberté de la personne humaine, notre joie de ce que l'Amour de Dieu aille jusqu'à laisser la liberté à l'homme de nier qu'Il est. Que l'homme se nie lui-même en affirmant cette négation, c'est là l'expression du langage, nécessairement paradoxal, de Dieu dans ce monde agissant comme réfracteur et dans lequel, en conséquence, un grand bien peut apparaître sous formes de colères ...

« Je ne crois pas à l'existence historique de Jésus ...Dès lors, l'aventure chrétienne se résume à celle d'une mythologie parmi des centaines d'autres. C'est celle sous laquelle nous vivons... Elle n'en fait pas une vérité pour autant ! »

Arguments bien connus, et souvent (trop ?) entendu. Toutefois, notons que M. Onfray choisi de dire : « je ne crois pas ... » et non « Jésus n'a pas existé », ou « nous savons qu'il n'a pas existé » ou encore « je sais que l'existence de Jésus est uniquement mythologique ». Ainsi, de lui-même le philosophe se place au plan de la croyance, croyance négatrice certes mais croyance tout de même, non du savoir ou de la connaissance. En quoi, donc, M. Onfray n'a-t-il pas confiance ? Le témoignage des livres ? Avons-nous d'autres choix pour « asseoir » nos savoirs ou nos croyances ? En dehors des livres quelles preuves ai-je de l'existence historique de Platon, de Diogène, de Pythagore, d'Epicure ? Certes, il ne nous est pas demandé de croire en ces personnes, la doctrine que leur prête l'opinion publique ou scientifique nous est largement suffisante. Platon en choisissant de parler par la bouche de Socrate ne nous demandait pas de croire en Socrate, pas plus qu'en lui-même mais en une « vision du monde », en un système d'investigation et d'affirmation. Or, précisément, il nous est demandé par le Christ, par Lui-même, à travers les mots de Ses disciples, de croire en Lui, en Une personne, pas dans une doctrine et ceci, non pour acquérir une vision juste du monde, pour vivre d'une façon meilleure et plus belle, mais pour atteindre le salut, c'est-à-dire non pas une vie meilleure et plus belle et plus « saine » dans l'au-delà mais pour recevoir dès l'ici-bas les prémices de la vie future qui est communion trinitaire. Le Christ ne nous a pas demandé de « croire en son existence historique », Il n'impose pas Il transforme, Il s'est incarné pour proposer. « Venez et voyez », Il nous invite à le rencontrer, à le re-connaître. On ne rencontre pas une idée pas plus qu'une existence historique, on rencontre une Personne, après la rencontre, l'existence historique ne s'impose pas, elle apparaît pour ce qu'elle est. La science philosophique autant que matérialiste use toujours d'euphémismes et de sophisme. En effet, le Verbe ne s'est pas fait « existence historique », Il s'est fait homme, non pas objet ou sujet d'enquêtes sociologiques ou psychanalytiques mais « chair » pour que toute chair puisse être « verbifiée », selon l'heureuse formule de saint Irénée. Il l'a fait, une fois pour toute et depuis c'est par la chaîne de la transmission (paradosis, en grec) que nous sommes témoin de Sa présence, ce qui implique, confiance, fidélité et espérance. C'est donc, dans Son absence que nous devons établir fermement l'assurance de Sa présence. Malgré, et presque contre cette « existence historique », terrible perspective inversée, c'est donc dans le silence que Dieu se révèle, c'est, paradoxalement Son apparente absence qui enseigne le mieux sur Son inaltérable présence, « Toi, qu'on ne peut comprendre qu'en se taisant. » (Arnobe)

Peut-on comprendre une personne sans la connaître ? On peut comprendre une idée que l'on ne connait pas en se la faisant expliquer clairement. Qui expliquera jamais l'authentique personne humaine ? Alors, combien moins la Personne divine qui n'est « saisissable » (mais toujours incompréhensible) que dans une sincère communion (communion qui est de nature trinitaire). « Je ne crois pas en l'existence historique de Jésus », réduction et rétrécissement rationaliste, forclusion de l'instance possible du dialogue ! Un athée déclarant « je ne crois pas en Dieu » laisse ouverte la possibilité d'un dialogue avec celui qui « croit en Dieu », un athéiste militant déclarant « Dieu n'existe pas » ferme toute éventualité d'un débat possible, il réduit celui qui lui fait face à jouer le rôle, au mieux, du naïf un peu inculte qu'il faut éduquer et éclairer, au pire de l'affreux inquisiteur rétrograde et refoulé. « Je ne crois pas en l'existence historique de Jésus », là l'adversaire cesse même d'être envisageable, il est exclu de l'histoire.

« L'énorme différence entre le christianisme et le paganisme c'est que la personnalité du Christ est historiquement réelle », dit Schelling. Les savants athées de nos jours l'ayant bien compris, tous leurs efforts tendent à supprimer la personnalité historique du Christ. Mais la supprimer, c'est anéantir toute l'histoire, parce qu'elle est toute en Lui. » (Dimitri Mérejkovsky, Les Mystères de l'Orient)

Pour Onfray le Christ est un « personnage conceptuel », il décide de faire du Christ, Dieu incarné, une invention littéraire, une technique...

« Les religions relèvent d'une ère que je souhaiterais voir dépasser. Nous sommes assez adultes pour ne plus avoir besoin de fables, de mythes, d'histoires infantiles ( comme en proposent toutes les religions...) et pour construire nos règles du jeu non pas avec de l'illusion, mais avec de la réalité et de la vérité. Les temps de la philosophie me semblent venus... Le mieux vivre avec autrui est une affaire qui relève de la règle du jeu éthique, de la convention morale et non du commandement descendu du ciel. »

« Nous sommes assez adultes » ? Vraiment ? Regardons un peu l'état du monde après tant de siècles d'histoire et de systèmes philosophiques divers et variés, l'homme serait adulte, lui qui continue à courir après tant de vide, tant de choses qui, il le sait intimement, ne peuvent le mener nul part ? La philosophie pourrait nous indiquer la voie, nous permettre de dépasser les fables infantiles des religions... N'est-ce pas précisément ce que le christianisme proposait originellement ? La philosophie elle aussi ne devrait-elle pas remettre en cause ses propres fables et mythologies, celle de Hegel, de Marx, de Hengels, de Kant, de Voltaire n'ont-elles pas, elles aussi, largement démontrées leurs limites et leurs dangers ? En outre, voilà bien le souci, il s'agit de s'entendre sur ce dont nous parlons et ce n'est pas un « commandement » qui est descendu du Ciel, ni un avatara, c'est le Verbe, « le pain du Ciel », la personne du Fils. Sophismes ? Paroles creuses qui ne convaincront pas un « esprit libre » ? Certes, et en outre il existe bien des remises en cause tout aussi virulentes que celles de M. Onfray à l'égard des religions, elles semblent seulement rencontrer un moindre écho que les siennes (quoique le cas Dawkins soit également révélateur ...).

La non-croyance est une croyance, une superstition de l'ego (ce diviseur). La non-croyance est une séparation radicale. La base en est, pour la modernité contemporaine, le « cogito ergo sum » de Descartes. Poser pour fondement à la cognition la connaissance de soi pour soi c'est refuser la fidélité aux pères (la tradition) et le témoignage des autres, de l'autre, du prochain; c'est un isolement, un retranchement. C'est, proprement, le refus de la communion (d'essence trinitaire) comme mode d'existence du monde, réitération de la chute, volonté de connaissance unilatérale de moi par moi en moi, l'ego comme seule mesure de l'existence authentique et de sa vérité. Scepticisme jaloux, bilieux et envieux qui ne tarde pas à devenir gnosticisme égoïste, jouisseur et utilitariste. Fidélité et confiance sont ruinées, alors, oui il ne reste plus que la possibilité du « contrat », d'un acte légal et juridique qui exclut la communauté naturelle, aussi bien que l'amour fraternel gratuit en vue d'un bien et d'une fin commun, pour faire place aux intérêts fluctuants et aux nécessités contraignantes. Sur quel « vivre mieux ensemble » peut bien déboucher cette philosophie ?

« Si rater un aspect libérateur de la spiritualité passe par la pratique de l'illusion la plus ancestrale, l'autopunition pratiquée au quotidien, l'autocastration érigée en obsession existentielle, la pratique de l'idéal ascétique, le sacrifice de l'idéal misogyne, la mort à petit feu chaque jour pour, prétendument, mieux mourir le jour où il faudra vraiment passer l'arme à gauche, alors je veux bien passer pour quelqu'un de réducteur... Mais conservez présent à l'esprit l'idée qu'on reproche souvent aux autres ce que l'on n'a pas envie de se reprocher à soi. »

La plus grande misère c'est d'ignorer ce dont on parle ! C'est bien en effet une réduction, une vue pauvre et diminuée que de résumer ainsi le christianisme, puisque c'est bien de lui qu'il s'agit, quoiqu'en dise le misosophe. Tenant compte de la dernière remarque du misosophe il nous apparaît encore plus clairement que la définition de la vie spirituelle par ce dernier, ne ressort pas d'une stricte analyse « réaliste et véridique » mais révèle bel et bien, au contraire, la religion fantasmée par lui. Reproche-t-il à la religion, le Philosophe, ce qu'il craindrait de se reprocher à lui-même ?

Le misosophe souhaite faire du « passé table rase », dépasser l'illusoire religieux qu'il ne veut voir que comme tel; l'élan créateur, la transcendance de l'esprit vers ce qu'il reconnaît pour supérieur, les réalisations somptueuses, l'art, la grâce pacificatrice du chant, la force des hymnes, des poèmes, tout ce concret, ce réel, ce palpable fait sous le souffle de l'Esprit ... tout cela il faut le balayer vite fait, bien fait. De toute façon, le profane ou l'athée peuvent faire aussi bien. Le Beau, le Bon, le Vrai ne dépendent que de l'homme, d'un contrat éthique, d'une convention morale. Bien ! Alors finissons en aussi et balayons ce qui demeure encore bien ancré de marxisme (dont les chants et les oeuvres belles sont aussi peu nombreux qu'incertains), de positivisme (dont Comte voulut qu'il fusse une religion sans Dieu)... Que chacun fonde sa propre morale avec ce qu'il pourra sauver du grand nettoyage éthique du misosophe, mais que restera-t-il ?

En définitive, comme depuis si longtemps, le libre-penseur ne remet pas tant en cause « l'existence » du Christ, de Dieu, de la religion, que l'existence concrète du mal dans l'homme et le monde. C'est cette existence-là qui, précisément, est incompatible avec ses théories. Si il veut expatrier Dieu il doit avant tout expatrier l'idée du mal et du péché et créer un autre « bien »... C'est ce que Berdiaev reprochait déjà en 1918 à tous les révolutionnaires de son temps, et de tout temps. Mais, il nous faut toujours garder en mémoire toute les possibilités de retournement qui existent ou peuvent exister. Il nous faut aussi garder toute humilité et accepter le « scandale », accepter toute les voies de Dieu, les voies choisies par Lui, pour Lui. Devant la colère, la haine, les injures, le « blasphème » gardons en mémoire cette admirable sentence énoncée au nom du Seigneur par Maître Eckhart :

« PLUS ILS BLASPHEMENT ET PLUS ILS ME LOUENT. » 

EXTENSION du DOMAINE DE LA LUTTE :

« Le « dialogue » de la foi et de l'athéisme, du Fiat et de la négation, de la plénitude et du non-être, s'inscrit au plus secret de mon propre coeur. Et la seule prière dont je sois capable est celle du larron : « Souviens-toi de moi, Seigneur, dans ton royaume ». G. Matzneff, Comme le feu mêlé d'aromates

Comme il fut inscrit, ici-ailleurs (cf. Misosophie et généalogie de l'escriture internelle), les arguments de M. Onfray sont ceux-là du littératueur Berlioz dans Le Maître et Marguerite. Or, en cette oeuvre théorétique c'est le diable, le professeur Woland, qui vient affirmer Dieu, ou plus précisément, justement, l'existence historique de Jésus. Il vient rationaliser face à ceux qui, rationnellement, nient Dieu historiquement pour affirmer, et affermir, leur morale et leur histoire. La réaction satanique est d'ordre vitale car, en définitive, c'est le mal (i.e, Satan) que nient ces hommes-là, plus que Dieu, puisque le souverain bien (agathon) ils le veulent, ils le désirent mais, sans le témoin gênant. Ils veulent « l'essence » de Dieu mais sans Lui !

« De même que le démoniaque Kirillov croit de toute son âme que Dieu n'existe pas, de même ces nouveaux meurtriers du Christ croient que le Christ n'a jamais existé. Mais leur désir même de le tuer, de le supprimer démontre a contrario combien sa personnalité historique est encore réelle pour eux. » (D. Mérejkovsky, idem)

M. Onfray, le misosophe, a fait paraître un ouvrage intitulé « La religion du poignard ». Irais-je jusqu'à écrire que cette évidente jubilation, presque juvénile, à afficher des titres aussi ronflant, frise le comble de l'inutile ou bien révèle d'une superficialité touchant à l'absurde. Ce besoin, quasi systématique, de faire dans le « provocant » n'annule-t-il pas de lui-même toute l'hypothétique portée de la pensée mise en oeuvre ? Sans doute, non, puisque, bien que remuant cette question je rallonge encore la note ci-dessus. Ce n'est pas tant ce titre, pourtant, qui me fais réagir que la note de 4e de couverture. On peut y lire un résumé de l'exposé du livre, sorte d'apologue de Charlotte Corday qui aurait initié, en vue de la libération de tous du pouvoir tyrannique, ce que l'auteur appelle donc « La religion du poignard »... Mais, ceci resterait relativement anodin et fort peu intéressant si la note ne continuait en disant à peu près que cette « religion sans Dieu » s'avère être essentielle dans une époque de nihilisme grandissant comme la nôtre

Mais de qui se moque-t-on ? Pourrait-on se dire, au premier abord ! Moi le premier ! Et puis, finalement, je serais plutôt « heureux » de découvrir que le philosophe donne, finalement, raison à mes développements. Il agit donc au nom d'une « religion », religion athéiste certes, mais religion tout de même. Et puis, encore, il se trouve, comme très souvent dans mon cas, que cette découverte agit, en fait, en interaction avec une lecture; celle, en l'occurrence, de La philosophie du vin, un livre de prières pour les athées de l'excellent Béla Hamvas. Ouvrage admirable dans lequel le métaphysicien-romancier hongrois définit beaucoup plus largement qu'à l'accoutumée le cercle des athéistes. Pour lui, en effet, ceux-ci ne se limitent pas à ceux qui vivent dans « la religion de la matière » ou aux cartésiens fanatiques de la raison, non; ils se recrutent aussi parmi les zélotes, les dévots, les communiants quotidiens, « des fanatiques de la Weltanschauung aux boulimiques hypocrites, des adorateurs fous de la gloire, du rang, du pouvoir et de l'argent aux miséreux coeurs-de-pierre, des avocats obsédés de l'hygiène aux prudes indignes, des ascètes torturés aux alcooliques. » Pour Hamvas la « bonne religion » (vita illuminativa), celle qui n'est pas une maladie, est haute sobriété. Le premier signe de la guérison sera de voir Dieu dans les pierres, les arbres ..., dans l'amour, la nourriture, le vin. La « bonne religion » sait que la joie de vivre n'est pas interdite, non, mais, comme le disent les Evangiles, un plus. La nourriture, le vin et l'amour ne sont pas le but mais des moyens utiles. Pour Hamvas, ce monde est un lieu de crise et de séparation et chacun se doit de déclarer ses intentions...

« ... Michel Onfray [...] sous couvert d'intégrité et de déclarations redoublées de son attachement au respect d'autrui, laisse couler dans ses propos un perpétuel flot de haine, d'anathèmes et de manichéisme qui pourrait sans peine être réutilisé par quelques illuminés en manque de sang. Sa glorification des corps, de la pureté, de la force (celle des Condottieres), de l'élitisme n'est pas sans faire écho à certaines thématiques nazies; idem pour son hédonisme solaire : on sait l'importance des cultes païens dans la symbolique nazies, cultes dans lesquels le soleil, la lumière, la blondeur n'étaient pas absents. Il ne s'agit pas de dire que les propos d'Onfray sont nazis [...] mais que les thématiques qu'il aborde peuvent être lues sous des angles très divergents, qu'il le veuille ou non, qu'il l'assume ou non. » (Stéphane Beau, Michel Onfray, caricatural un jour, caricatural toujours ? in Philosophie Magazine N°14)

L'intention est bien déclarée du côté de notre misosophe. Je serais moins indulgent que l'auteur de ces lignes. Le « poignard de la joie » c'est bien le retour à une maladie de la religion, aux sacrifices humains exigés par la « pureté de l'idée ». Regressus ad paganus ! Ce qu'on ne veut pas voir chez soi on le dénonce chez les autres (ce qu'Onfray lui-même affirme très souvent) ! C'est la réponse cinglante apportée par le « philosophe » lui-même... Les alertes au fascisme, à l'obscurantisme... que sont-elles réellement ? Comment ne pas voir que toutes ces alarmes trop musclées pour être honnêtes, toutes ces vertueuses exhortations sont, précisément, trop vertueusement affichées pour ne pas cacher un désir sous-jacent, un désir extrême, violent extrêmement ?

Onfray s'est fait, par ailleurs, mais que ne s'est-il pas « fait », défenseur de l'eudémonisme dans l'histoire de la philosophie. Cela n'est pas pour surprendre. Il clame à qui veut l'entendre être le fidèle d'un hédonisme « solaire ». Ce qui semble plus surprenant c'est que notre ami-sosophe s'il ne dédaigne pas dans la généalogie de cette « mouvance » philosophique présenter certains chrétiens, il le fera toujours en prenant bien garde d'insister sur leur petit côté « hérétiques ». Il semble bien qu'il craindrait par trop qu'on ne vienne à voir en lui, en définitive, un rejeton, certes un peu rebelle, mais finalement très « dans la ligne » d'une certaine tradition chrétienne tout à fait assumée. En effet, pour nous, cette ligne défendue par Onfray est, malheureusement, déjà présente dans la scolastique suivant Thomas d'Aquin. Le psychologisme thomiste, optimiste et intellectualiste, considère, en effet, l'homme comme un être essentiellement sain (rompant en cela avec l'enseignement thérapeutique des saints Pères) et qui aspire au bonheur.

« D'après l'eudémonisme augustino-thomiste, la volonté se porte nécessairement vers son bien; or, l'aspiration au bonheur inhérente à tout être, est, chez la créature intelligente appétition ad beatitudinem, que seul Dieu peut satisfaire. » (Myrrha Lot-Borodine, De la déification de l'homme)

En déclarant Dieu concept nul et non avenu tout en gardant cette théorie le « bonheur », ou le « bien-être » ou tout autre concept reconnu valide, historiquement ou scientifiquement peut alors être « divinisé », l'ascèse peut être déclarée incompatible avec les « droits de l'homme », reconnue même comme une forme de torture intolérable. Les cours (payants...) de toute sorte de techniques de bien-être, de développement personnel pourront être tout-à-fait reconnus, et loués tant qu'il ne feront aucune référence à une transcendance quelconque. Où l'athéisme et le new-age peuvent marcher main dans la main...

L'eudémonisme chasse le mal, l'évacue au lieu de l'affronter afin de le transfigurer. L'ascèse et l'apatheia des saints Pères ne sont pas la mise à mort des passions (mauvaises parce qu'obsessionnelles) mais plutôt la « passion » des passions en vue de leur transformation totale, le renversement de polarité, la mise en conformité avec le flux des énergies divines qui irriguent tout en tous mais que nous ne savons capter de façon durable...

EXTENSION – RAPPORTS DE RAPPORTS INTERNELS

Que notre beau pays, contrée baignée béatement des plus qu'éclatantes Lumières, en notre très contemporaine ère notre beau pays s'enflamme pour deux philosophes qui seraient d'authentiques « phares » de la pensée, dissipant par avance, car postés à l'avant-garde, les ténèbres qui le menaceraient qui cela pourrait-il encore surprendre ?

Michel Onfray et Alain Badiou sont ainsi en passe de devenir les nouvelles mamelles de la France ! Notons tout de suite que si Onfray n'a pas été maoïste, ils ont tous deux une affection réelle pour le communisme, disons plutôt pour « l'idée » communiste. Bref, ceci est loin d'être rédhibitoire, quelques grandes intelligences que j'aime par dessus tout le furent...

Dans le cas de ce texte-chapitre se qui importe surtout c'est d'établir, pour nous-mêmes, cette forme de certitude que « ne pas croire » est une croyance !

A ce titre Alain Badiou, athée déclaré, et philosophe appuyant son système sur cette « certitude » nous fournira, à son tour, quelques circonvolutions cérébrales.

Selon Badiou (autre « misosophe » en puissance ), seule « une pensée areligieuse » serait « réellement contemporaine des vérités de ce temps ». Le débat serait donc clos. Les « arguments » sont donc résolument différents de ceux d'Onfray. Mais insistons d'abord sur cette emphase creuse et vide de la nécessité presque absolue d'être « contemporain » (qui, toutefois, rejoint quelque peu celle d'Onfray d'être « hédoniste » !). Qui donc, vivant, ne serait pas « contemporain » ? Tous ceux qui refuseraient peu ou prou les « avancées » de notre temps, le progrès, qui vivraient selon d'autres normes, d'autres tendances, celles d'un « autre temps » ? Le Christ en tout cas ne saurait l'être : clôture !

Etre contemporain est-ce donc possible ou souhaitable pour ceux-là qui, comme Badiou, dénoncent l'injustice, précisément, contemporaine ? N'est-ce pas courir après le vide mauvais du temps dévorant ? Pourquoi donc cette nécessité cruelle d'être contemporain de cette technique-monde ?

C'est un refus, propre et net, de reconnaître à la religion sa vérité qui, chez Badiou, sert d'axiome. « Il n'y a nul Dieu, ce qui se dira aussi : l'un n'est pas. » Alors même que celle-ci correspond au critère défini par lui : la vérité c'est le processus d'une fidélité à un événement. Mais ceci ne saurait se vérifier selon le misosophe que dans quatre domaines : art, science, politique, amour... C'est là un point extrêmement important tant le langage de ce monde a embrouillé les choses. En effet, la foi n'est pas, à proprement parler une croyance, elle est fidélité (fides – le « haut-fait » de la fidélité disait le Père Florensky) et, ce qui est ici symptomatique c'est que la démonstration de Badiou est tout à fait pertinente. Mais, en admettant la religion dans son système Badiou devrait alors tenir compte dans ses autres analyses de cette vérité qu'est Dieu. Il redeviendrait alors le témoin gênant qu'évoquait Nietzsche. Il n'est pas anodin d'évoquer ici le philosophe au marteau. En effet, ce dernier dans Le Gai Savoir définit la logique comme « l'art de forcer l'approbation par des raisons ». Or, notre si contemporain misosophe aime beaucoup, quant à lui, évoquer et expliquer sa notion de forçage, procédure mathématique qui permet d'imposer comme « véridiques » des énoncés « vrais ».

Par suite, Badiou affirme, avec Nietzsche que l'humanité serait essentiellement étrangère au Bien et au Mal. Et nous y revoilà : l'athéisme de Badiou le « conduit à nier l'égale dignité des êtres humains. » (K. Mavrakis, De quoi Badiou est-il le nom ?, p. 96) Nous aurions, d'un côté les « surhommes », les « Immortels », ceux qui sont saisis par une « vérité » (conforme au système du misosophe, bien sûr !) de l'autre « des animaux de l'espèce Homo sapiens » (Badiou). Ainsi donc le mal ne pourrait être « pensable en dehors de la prédation banale »...

L'objectif, la visée finale de tout ceci, est donc, et demeure, par-delà les systématismes philosophiques de façade, la négation de l'existence du mal... Ce n'est pas tant Dieu que le diable qui est visé par cet athéisme là !

Toutefois le misosophe enfonce plus loin le clou du philosophe au marteau et franchit avec l'art « contemporain » qu'il défend envers et contre tout la limite que le solitaire de Sils-Maria n'avait franchit. En effet, si Nietzsche a pensé par-delà le bien et le mal, par-delà le vrai et le faux il aura su arrêter sa pensée au seuil du beau et du laid, évitant ainsi le déferlement de l'indifférentisme nihiliste. L'art « contemporain » a fait céder la digue, Badiou suit la vague...

Dans leurs courses à l'époque voici les deux misosophes se rejoignant; Badiou, acceptant l'art contemporain accepte les conditions du « marché »; Onfray lui, déclare calmement ne pas être opposer à une « gestion libertaire (?) du capitalisme »...

Depuis longtemps déjà le culturisme contemporain a fait voler en éclat cette notion (si réactionnaire et autoritaire !) d'art et l'a remplacée avantageusement par celle de « création ». Or, pourquoi ? Mais pour voler, dérober ce mot à Dieu lui-même ! L'art peut se critiquer, la « création » non ! Et, se faisant, c'est l'ensemble de la création authentique, de tout art qui est mis à « mal ». Comme l'écrivait Gabriel Matzneff la source de l'oeuvre d'un artiste « c'était le dialogue du diable et du dieu qui se déroulait au secret de son coeur : dès l'instant que le diable s'est tu, la source a tari » (Comme le feu mêlé d'aromates).

Maintenant que les chose sont clairement établies nous pouvons « discuter ». La discussion sans but étant l'un des fondements de l'état de chose moderne. Pour Badiou le présupposé est « il n'y a nul Dieu », voilà le départ indiscutable, et pour discuter « il faut qu'il y ait de l'indiscutable ». Or, la discussion est déjà close et la (belle) dialectique, source de l'arme stratégique moderne de la discussion n'est plus de mise tout en s'imposant partout !

Ainsi par exemple de cet « échange » publié dans le n° 31 de Philosophie Magazine. Le soi-disant dialogue consiste en réalité à poser face-à-face les arguments, apparemment inconciliables, d'un écrivain et psychanalyste, Patrick Declerck, violemment « anti-chrétien » et ceux de Jean-François Colosimo, « théologien » (?).

Relevons immédiatement que les deux ne parlent pas à partir du même situs. Declerck élève, en effet, sa virulente critique depuis ce qu'il connait du catholicisme. Est-il besoin d'ajouter que cette connaissance semble assez caricaturale et qu'en tant que fondée sur cette base sa critique ne peut servir de départ à une discussion ?

Pourtant sa réception du sacrifice christique comme apaisement de la rage du Père vis-à-vis de ses créatures se base sur la conception juridique occidentale, conception qui ne correspond pas à la doctrine orthodoxe, pourrait offrir une ouverture à l'échange.

Quoique ? Le « mal » semble plus profond puisque l'écrivain pathologiste affirme également, très péremptoirement : « La vérité vraie (sic) de cette affaire -celle du corps, précisément – est que Jésus, en grande pompe et avec mille maniérismes délicats, se trouve être fécalisé tous les dimanches. »

Quel argument ! N'est-ce pas ? Tout d'abord, posons-nous la question de savoir si n'est-ce pas celui qui se focalise sur de tels arguments en en tirant, apparemment, un certain ravissement, qui ne peut « s'élever longtemps au-dessus du génito-sphinctérien » (propos de P. Declerck) ? L'aspect positif de ce déferlement d'analyses pseudo-scientifiques mais très réellement violentes c'est de déballer d'un seul coup toutes les dérives de certaines options chrétiennes et dans le même temps de démontrer assez radicalement tout ce que les critiques progresso-modernistes doivent elles-mêmes à ces « déviations ». Soit qu'elles en découlent très directement, moyennent des adaptations ou suppressions, soit qu'elles en dérivent par voie de réaction !

Selon notre autueur « l'adoration du corps crucifié de Jésus, représenté ad nauseam dans la chrétienté » formerait la preuve que le christianisme est une religion du mépris du corps. Allez, je vais le redire ici encore : la voie christique est conçue comme une thérapie pour guérir de la maladie de la religion (conséquence pathologique de la Chute). Ainsi, pour ma part, je me trouve d'accord avec le psychanalyste lorsqu'il affirme (avec Freud) que « toute question religieuse est d'abord une question clinique. Une affaire de maladie. » Nous divergerons sur les moyens curatifs et sur l'étendue du phénomène « religieux » puisque j'y inclus, pour ma part, la psychanalyse, précisément.

Bref, et revenons au très fameux mépris du corps. Tout d'abord, petite précision, pour l'Orthodoxie il n'y a pas « d'adoration du corps crucifié », le crucifix est largement sous-représenté en Orient et l'art des icônes à moins insisté sur la Crucifixion que sur la Transfiguration ou la sainte Résurrection ! Par ailleurs, les chrétiens, parce que le Christ s'est incarné, vivent dans le présent et non dans un non-temps mythologique, ils ne peuvent donc adorer le « corps crucifié du Christ » et ce, sans compter, donc, les autres facteurs, par ce fait même qu'ils communient au Très précieux sang et au Très précieux corps de Notre Seigneur ce qui est rendu possible par « la mort, la résurrection et l'ascension au ciel » !

Nul mépris du corps chez ceux qui souhaitent (ne séparant pas le corps de l'âme et de l'esprit) non sa mort et sa corruption mais la révélation de sa vraie nature. Le corps d'aujourd'hui c'est l'assemblage des « tuniques de peau », c'est à lui que se réfèrent tous ceux qui dénoncent le « mépris » du corps par l'Église. Elle a, à maintes reprises, par le biais des saints Pères rejeté l'encratisme et le manichéisme et si l'insistance sur la virginité et la chasteté peut encore en choquer certains c'est sans doute qu'ils conçoivent mal comment des êtres humains, comme eux, peuvent volontairement mettre un frein à ce qui les obsèdent tant qu'ils ne peuvent que retourner contre les autres ce qui les accuse. Cette « insistance » c'est, encore une fois, un appel à la préfiguration des « biens à venir » sans condamnation des autres possibilités de vie. Ajoutons que de nombreux Pères ont insisté sur ce fait que la « chasteté » ne concerne pas le corps seul mais l'ensemble de la personne, le composé humain en sa totale entièreté, la virginité en tant que telle, si l'âme est encore soumises aux passions ne sert pas à grand chose.

Malentendu fâcheux, comme pour tant d'autres réalités puisque notre « quark doctor » ajoute encore : « Ce qui est effectivement figuré et fétichisé n'est pas le corps de lumière du ressuscité ayant vaincu la mort, mais bien celui du déchet. Un déchet qui se complique encore du cannibalisme à peine voilé de l'eucharistie... ». Par pure charité je n'insisterais pas trop sur le terme « déchet » pour désigner le corps d'un homme mort et sur l'étrange conception, donc, du mépris reproché à l'Église.

En outre, la « communion » ne se limite pas seulement à cet instant précis. Le Corps et le Sang, spiritualisés dépassent les caractères « naturels » et biologiques. Pour qualifier le mystère de la transformation (la transubstantiation n'étant pas « dogmatisée » en Orient orthodoxe) les Pères utilisaient le terme de metapoiéssis ! Le Verbe et l'Esprit re-créés entièrement les éléments naturels, les re-configurent. Le « sacrifice » est non-sanglant, il ne s'agit pas d'un apaisement quelconque, ni d'une « sacralisation », il s'agit d'un sacrifice spirituel, une spiritualisation des corps, une corporisation des esprits... Ce ne sont pas les communiants qui assimilent les saintes espèces, se sont elles qui nous assimile, travaillent en nous à une déiformation.

Pour avoir accès à cela et pouvoir en parler il ne suffit pas de posséder une « culture », un savoir livresque érudit ni même une expérience « existentialle » contraire ou négative. La voie, la cure christique ne peut être qu'une expérience vécue, une « vie vécue » dirais-je même ! Comme il est impossible de « dire » ou de « penser » quoique ce soit de Dieu, il est impossible a quiconque n'a pas reconnu et vécu cette « vie » de dire ou penser quoique ce soit qui puisse être « pertinent ». Toutefois, les critiques athéistes portent effectivement le fer sur toute les déviations qui ce sont greffés sur ce tronc commun nommé christianisme et qu'il est dans l'avantage de ce « monde » de confondre avec ce qu'on nomme religion. La voie christique survit comme cachée au grand jour sous tous les camouflages socio-culturels, politiques, rationalistes, scientifico-théologique ou philosophiques... Elle ne peut dès lors être ni dites ni atteinte par ces biais... L'athée, l'indifférent, le religieux, celui qui doute... tous se battent et se débattent des les limites étroites d'un monde borné par des conceptions soeurs, dérivées, déviées, détournées, retournées qui toutes tournent autour du coeur brûlant de la réalité christique sans jamais pouvoir semble-t-il se ré-orienter !

IRRELIGION NATURELLE ou RELIGION NATURELLE, DEFINIR L'ATHEISME

Ainsi en est-il par exemple; pour étendre encore le domaine de la lutte; de la notion d'irréligion naturelle de Del Noce. Quoique tout à fait pertinente dans le domaine occidental cette théorie, relativement vraie par rapport à son sujet, échoue à cerner concrètement cette extension du mystère d'iniquité.


Dimitri Mérejkovsy à l'orée de son livre magistral Mystère de l'Orient, se débattait, avec plus d'acuité dirais-je, dans ce vaste sujet : « Notre athéisme est une chose unique, inouïe. L'athéisme individuel a toujours existé et existera toujours, de même qu'il y eut et y aura toujours la religion individuelle. Les uns croient en Dieu, les autres n'y croient pas. Et ceux qui supplient Dieu de secourir leur incrédulité, sont peut-être plus croyants que les autres. En quoi donc notre athéisme est-il extraordinaire ? Voici... Les anciens ne sont athées que pour eux et en eux; leur athéisme est « chose privée »... En dépit de toutes les négations religieuses, individuelles et privées, la société antique, l'Etat, la Cité, Polis, restait sous le signe de la religion... Selon Hésiode et Hérodote, « l'impiété » est le mal suprême... »

Ce grand coeur pose de bonnes questions mais passe à côté d'une simple réponse qui a été rendue fort complexe. Le grand philosophe italien suivra la même sente.

[...]

Lien / Rapport de rapport internel :

Misosophie et généalogie de l'escriture internelle

Snobisme théoricien, in TROPINKA, revue n°2, décembre 2010

Entretien avec Kostas Mavrakis, ibid.

Ce grand cadavre qui inverse

Corps-machine


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