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Laurent Mascart, "Sans dessein" (ed. Nuit Pyrtide / PUV)

Publié le 14 octobre 2010 par Blogcoolstuff

Non non vous ne rêvez pas, c'est bien une mise à jour. Pour autant Some cool stuff restera encore entre parenthèses jusqu'à nouvel ordre. Je profite juste aujourd'hui de la sortie du livre de Laurent Mascart - "Sans dessein" - aux éditions Nuit Myrtide pour mettre en ligne, en guise d'amical salut à ceux qui visitent toujours ce blog, la postface que j'ai rédigé pour lui et qui tente de mettre des mots sur ses dessins.
Dans l'Iliade, Homère donne la première description connue de cette créature mythique qu'est la chimère : réputée homicide, la chimère présente en un seul et même individu certains attributs du lion, de la chèvre et du serpent (respectivement la tête, le corps et la queue). C'est là du moins son portrait initial, portrait qui connaîtra tout au long de son interminable postérité à peu près autant de variations que d'illuminés et d'artistes désireux d'en utiliser l'inépuisable polysémie. Utopique, hétéroclite, monstrueuse, dangereuse, contradictoire, hideuse, fascinante la chimère est à l'image de l'univers tel que nous le concevons ou l'imaginons.
Derniers avatars du genre en date, les chimères de Laurent Mascart en disent à cet égard plus sur notre XXIème siècle balbutiant que sur la Grèce antique. Dans un univers où l'indistinction et la confusion font office de valeurs positives, ces chimères ne se contentent pas d'articuler entre elles diverses espèces animales. Elles se rient au contraire de toutes les limites réputées ontologiques permettant de différencier individus féminins et masculins mais aussi animaux humains et non humains, animaux et végétaux, animaux et... simples objets matériels. Etres composites relevant tout autant du castor que du parapluie, de la fougère que du scooter, les chimères de Laurent Mascart se présentent comme autant d'unités contradictoires symptomatiques de la propension de notre époque - du transgenre au transgénique - à la transformation sinon à la transfiguration de ce qui est. Créatures en pleine mutation, en perpétuelle métamorphose (consciente ou inconsciente, volontaire ou involontaire, éthique ou génétique), ces incarnations de ce que l’on serait tenté d’appeler la « post-nature » sont du même coup privées de réelle identité.
Pour autant les chimères de Laurent Mascart ne sont pas prétextes à une condamnation à peu de frais des errements d'une modernité nécessairement décadente. Elles ne sont pas plus des personnages de fiction issus de quelque récit d'anticipation. Ces créatures nous renvoient à nous-mêmes sans passer par le filtre du fantasme. Elles sont à déceler plus qu’à imaginer tant il est vrai que ces « curiosités » nous sont en réalité tout à fait familières...
Quant à la manière, c’est par le dessin que l’artiste nous donne à voir cette étrange familiarité. Pour ce faire, Laurent Mascart se joue des registres d’expression plastique comme ses chimères se jouent des distinctions d’espèce et de genre. Au premier abord son style ouvertement académique (bien que passant par le vecteur d’un outil - le stylo bille - l’étant bien peu) affiche son adéquation avec le sujet mythologique qui semble être le sien. Sauf que, comme nous l’avons vu, il n’est en réalité ici nullement question de mythe ! Et qu’à y regarder de plus près les compositions de Laurent Mascart évoquent plus, dans leur forme, des planches descriptives issues d’un ouvrage d’histoire naturelle qu’elles ne semblent illustrer quelque récit fondateur que ce soit. D’autres encore pourront même déceler derrière leurs principales caractéristiques (notamment l’absence de contexte comme de situation au profit de poses conçues pour valoriser les caractéristiques anatomiques des sujets) une familiarité assumée sinon pleinement revendiquée avec les portraits gravés de « curiosités » peuplant naguère les cabinets du même nom…
Illustration de mythe, description à vocation scientifique, portrait de « monstres »… La confusion est aussi volontaire que patente et Laurent Mascart n’hésite pas à ajouter encore une carte à son jeu déjà bien fourni de registres. Ses sujets (on n’ose écrire « ses modèles ») ne sont-ils pas en effet portraiturés dans des postures suggestives ? Ces créatures dont sont croqués les corps étranges comme on aimait autrefois exposer ceux des foetus à deux têtes et autres « monstruosités » ne jettent-elles pas vers l’artiste – et partant vers l’observateur de son travail – des regards séducteurs sinon ouvertement aguicheurs ?
On l’aura compris, il n’y a ici qu’un pas entre la planche anatomique et le portrait de charme. Pas que Laurent Mascart franchit allègrement, non pas pour le simple plaisir d’induire l’observateur en erreur mais bien pour lui révéler, en même temps que l’ambivalence des sujets qu’il dessine, l’ambiguïté du regard que nous sommes à même de porter sur ces curiosités du monde moderne.

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